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Didier K. Expérience
12 juillet 2021

Bouche-à-nœuds E.1/35

Bouche-à-noeuds

« Quand on est mort, les droits de l’homme s’effacent devant les droits de l’asticot ! » Pierre Desproges.

Il m’avait donné rendez-vous sur le parking de la piscine Neptune, situé dans le quartier de la Mosson vers 23h. Si l’endroit semblait accueillant le jour, il paraissait glauque à cette heure-ci de la nuit, coincé entre les barres HLM et la station de tramway. En tout cas, c’était bien désertique, ce qui arrangeait mes affaires. L’adresse qu’il m’avait envoyée sur Tinder était bien celle-ci. Pas de doute.

Il faisait encore chaud en cette fin d’été. La moiteur de l’air était palpable, c’était franchement désagréable.

Le type tourna plusieurs fois autour de ma 208 avant de se décider. Mais à peine était-il monté qu’il a cherché à m’embrouiller. Bégayant, mélangeant du verlan et des mots en pseudo rebeu, me parlant comme si j’étais une pauvre conne qui taillait des pipes pour vivre. Et surtout, répétant qu’il n’avait pas d’argent.

J’en restai bouche bée dans un premier temps. J’avais affaire à un idiot congénital plus qu’à une racaille. Il se permit même d’allumer un joint sans me demander la permission, m’exhalant la fumée dans le nez, comme si Al Pacino, ou plutôt Tony Montana, investissait ce corps grossier pendant quelques secondes. Quel toupet !

Pourtant, il avait été cool, prévenant, presque timide sur Tinder, et moi j’avais été claire, sûre de moi, concernant ce qu’on pouvait faire pour une modique somme. Là, l’image et le son ne collaient plus. Le rendez-vous de ce soir était raté, il fallait que je me débarrasse de ce têtard.

D’une voix sèche, je lui demandai de descendre et de se barrer, mais il préféra baisser sa braguette, comme si j’allais m’attendrir devant son paquet démoulé ; comme si j’allais l’entreprendre comme dans les pornos qu’il devait mater pour se donner du courage. Cependant, il avait osé, révélant un caractère plus trempé qu’il n’y paraissait. Je flairai le danger. Une copine qui bossait avec nous avenue d’Assas avait été retrouvée morte quelques jours plus tôt, je n’avais pas envie d’être la suivante.

Cette histoire embaumait les problèmes et il fallait que j’en sorte tout de suite. Comme il ne bougeait pas, c’est moi qui descendis. J’ouvris la portière sans toutefois la refermer, m’éloignant du véhicule et du lampadaire qui l’éclairait tel un phare. Du regard, je cherchais un coin plus sombre que je trouvai assez vite. Je réagissais à l’instinct, improvisation totale… Au bout de quelques minutes et reculotté, il finit enfin par me rejoindre. L’obscurité enveloppait totalement ce coin de parking. La lumière blafarde du lampadaire l’aveuglait. Je décidai de profiter de cet avantage pour me saisir de mon cran fermement, malgré ma main moite. Il faisait meilleur, il faisait nuit, je humais l’air chaud de cette soirée qui allait être marquée, c’était inévitable.

La pointe de la lame pénétra dans sa gorge, juste ce qu’il fallait pour lui trancher la carotide. Même si je ne m’étais pas assez rapprochée, mon geste s’était révélé tout de même parfait ; une chance quand on y pense. Le sang gicla comme on perce un tuyau d’arrosage ; j’en reçus quelques lampées malgré moi et malgré la distance qui nous séparait. Le type porta ses mains instinctivement à hauteur de sa gorge pour empêcher de tout perdre, et son sang, et sa vie. J’étais tétanisée par le spectacle, mais moins que lui quand même.

Il gémissait, crachait, toussait, hoquetait. Voilà qu’il s’affaissait maintenant ! Je me reculai pour le laisser tomber (c’est le cas de le dire), mais je ne quittai pas la scène pour autant. Je le regardai défaillir sans intervenir, je voulais être sûre du résultat, je ne pouvais pas me permettre de rater mon coup. J’avais appréhendé ce moment sans savoir à quoi m’attendre, mais l’adrénaline aidant, ça passait comme une lettre à la poste… Il tardait quand même à expirer... Ce qui est bien avec « l’égorgement », c’est que le résultat est irréversible, mais ça prend un peu de temps. Enfin, pas trop quand même, une à deux minutes, mais certains sont très résistants, cela dépend du sujet, me direz-vous !

Contrairement à ce que tout le monde croit, on ne meurt pas d’être égorgé, mais d’être noyé dans le sang qui vous étouffe : par asphyxie donc. La gorge est l’endroit du corps le plus sensible, le plus tendre, et qui se coupe facilement, comme les parties génitales, mais je me voyais mal lui trancher les couilles. Dans les films, les types qui y passent, hurlent atrocement de douleur. Lui, il était resté digne. En fait, l’égorgé n’a pas le temps de crier, il ne peut plus émettre aucun son.

Il faut que le coup soit bien porté. J’aurais bien voulu m’entrainer avant, le faire sur les animaux que j’avais à ma portée, mais ça me répugnait, et puis le chat de ma mère méritait mieux que de finir de cette façon. J’avais juste répété le geste devant ma glace pour me familiariser. Ce manque d’entrainement aurait pu me coûter cher. Mais non, j’ajoutais une nouvelle corde à mon arc, une ligne de plus sur mon CV quand je chercherais du boulot…

Pendant que béate, j’admirais le travail, lui s’écroulait les yeux exorbités en position du fœtus. Ses jambes semblaient repousser quelque chose d’invisible, comme si le bitume allait s’ouvrir en deux pour le protéger. Ça m’aurait bien arrangé que le sol puisse s’ouvrir et faire disparaitre le corps, qu’il l’absorbe quoi, mais je n’étais pas la réincarnation de Moïse, qui lui avait réussi à fendre la mer Rouge. Cet endroit sombre ne le resterait que le temps que dure la nuit, c’était déjà ça, mais ce n’était pas suffisant !

Un pauvre râle doublé d’un étranglement mal dégluti. Il avait réussi à garder les yeux ouverts, mais pour voir quoi ? Je lui avais éteint la lumière définitivement. Ecran noir…

J’ai quand même hésité : devais-je lui baisser les paupières ? Je n’ai pas eu besoin de réfléchir longtemps : je ne voulais pas le toucher. Et puis, on n’était pas dans un film, et je ne souhaitais pas m’attendrir. Le temps ne comptait plus pour lui, mais il tournait toujours pour moi… Il fallait que je me débarrasse du sang que j’avais peut-être reçu sur le visage et sur mon blouson. Aussi, j’essuyai consciencieusement la lame de mon cran-d’arrêt, qui avait si bien fonctionné.

Achetée au marché aux puces de la Paillade, payée pas trop cher, l’arme m’avait plu tout de suite. Le manche incurvé en nacre noire, la longueur de la lame qui dépassait la largeur de ma main, donc illégale pour se promener avec. La pointe effilée était impressionnante : à peine avais-je posé délicatement mon doigt dessus que le derme en fut transpercé, et qu’une bulle de sang avait pointé. Terriblement dangereux, pensai-je. Je l’avais acheté sans négocier, je le voulais. J’adorais le manier, le manipuler, m’entrainant à faire sortir la lame, à faire des moulinets pour assouplir mon poignet, pensant naïvement devenir invincible.

Et ce soir-là, le mécanisme avait percuté à la perfection, à peine appuyé sur le bouton déclencheur : ce « click » si reconnaissable. Le « tchack » de la lame m’annonça que j’avais fait mouche. La détente nerveuse de cette arme avait été l’élément gagnant de notre fatale rencontre.

Le temps était resté en suspens pendant quelques secondes interminables, et quoi qu’on puisse dire et faire, le temps n’est jamais notre allié… Je retrouvai vite mes esprits, je ne devais plus trainer dans cet endroit. Je m’attardai encore une fois sur son visage : il était plutôt mignon pour un cafard. Malheureusement, sa tête était remplie de conneries, et même si, comme on dit « ce n’est pas le cerveau qu’on suce », c’était toujours plus agréable d’œuvrer pour un client sympa.

Je retournai à la voiture, un coup d’œil vite fait au rétroviseur mural, tout allait bien, un peu stressée, plus aussi fraiche qu’une fleur des champs sous la rosée... L’adrénaline qui m’avait aidée à tenir jusque-là était en chute libre, comme les actions en bourse. Merde ! Je n’allais quand même pas tomber en syncope. Cet idiot avait voulu profiter de moi et je m’étais défendue, voilà c’était tout. De toute façon, on ne pouvait plus y revenir… Je démarrai.

 

Didier Kalionian - Le Blog Imaginaire (c) 2021

Copyright photo Didier Kalionian "Abribus" instagram (c) 2021

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