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Didier K. Expérience
18 septembre 2021

Les Circumpolaires E.18/34

Circumpolair

Durant les jours qui suivirent, je finis par mettre les points sur les I, les barres aux T et les jambes aux Q avec Martial, et je fis bien parce que c’était vraiment en train de partir en couilles. Monsieur s’était mis en tête de vouloir me faire changer de vie. Comme l’un de ces vieux types dans les films américains qui tombent amoureux du mignon prostitué blond aux yeux bleus humides, qui souffre de son atroce condition, et qui finit par filer le parfait amour avec son pygmalion loin du caniveau. Un vrai conte de fées de chez Disney, quoi ! Seulement la réalité et le cinéma sont rarement connectés… Quoique ce schéma me rappelait un peu à la vie de Lorenzo et Roberto. Alors qui sait ?

Si Martial avait été un réel playboy friqué, pourquoi pas ! Mais c’était loin d’être le cas. Et puis le seul vrai point commun avec ces scenarii à l’eau de rose, c’est que lui était déjà vieux ! Alors que je n’étais plus un jeune moineau tombé du nid. Aussi, je n’étais pas non plus escort-boy, même si sur le moment notre situation pouvait paraitre ambiguë ; surtout, je n’avais pas du tout envie d’un daddy protecteur ou bienfaiteur. Moi je voulais être libre et vivre ma vie sans me poser trop de questions

Notre relation s’était transformée en rente hebdomadaire : on avait convenu de se voir tous les vendredis soir au lieu du jeudi : je gardais les week-ends pour m’amuser ou pour les plans plus sérieux. On faisait toujours la même chose, moi je me laissai faire, debout dans son salon rococo, et lui s’activait pour me faire reluire. Ça lui faisait plaisir, et il avait l’impression de me sauver, moi je m’emmerdais. Cependant, je ne partais plus en coup de vent, j’acceptais de boire un verre en sa compagnie et de discuter un peu. On se tenait mutuellement la jambe.

Invariablement, Martial me servait un verre de vin rouge de sa cave, je dois dire qu’il ne se moquait pas de moi concernant la qualité. Je n’y connaissais rien mais j’appréciai sincèrement, et il en tirait une certaine fierté parce qu’il m’apprenait quelque chose. Son salon était trop cosy pour moi, mais après notre séance, plaisante pour lui et stressante pour moi, boire un verre en compagnie me détendait.

-          Vous voyez d’autres mecs à part moi ?

-          A part vous et Lorenzo, je n’en vois pas d’autres. Vous êtes les seuls. Pourquoi ?

-          Comme ça, pour savoir. Vous avez pu remarquer que je n’étais pas vraiment escort. Donc, je pensais que vous aviez pu connaitre d’autres mecs.

-          Les prostitués ne manquent pas dans cette ville, les mythos non plus d’ailleurs. Je n’ai qu’à allumer mon Grindr et je reçois une pluie d’invitations. Mais c’est aussi rempli d’arnaqueurs et de voleurs. « Chat échaudé craint l’eau froide ». Je me suis fait avoir plusieurs fois, c’est pour ça que j’étais très méfiant la première fois.

-          Mais Lorenzo vous a quand même proposé d’autres mecs ?

-          Non, du tout !

Voilà une nouvelle intéressante. Comment se faisait-il que j’ai été le seul ?

-          Lorenzo est déjà pris avec Roberto. C’est pour ça que je vous ai fait cette proposition. Je me suis dit que j’avais une chance avec vous.

-          Vous connaissez Roberto ? dis-je surpris.

-          Bien sûr ! Roberto Rongione est un de mes vieux amis. On se connait depuis longtemps, très longtemps.

Donc, on était en circuit court, là ! Pas normal.

-          Et pourquoi payer ? Vous avez des atouts : un bel appartement, une belle situation, vous pouvez attirer qui vous voulez ?

-          C’est plus compliqué que ça ! Je n’ai jamais osé vivre ma vie comme je le voulais. J’ai été marié, j’ai des enfants et je vais bientôt partir à la retraite, mais il me manque quelque chose d’important : assumer ma vie d’homosexuel au grand jour. En fait, si je ne le fais pas maintenant, j’aurai raté ma vie, j’en ai pleinement conscience ! Ce que j’ai construit avant, c’était surtout par intérêt, donc ça n’avait pas d’intérêt réel. Et à part la mort, rien n’a vraiment d’importance dans ce monde, mais c’est un autre débat… J’ai tout bazardé dès que mes enfants ont été majeurs. On s’entend tous très bien sauf avec mon ex-femme, mais ça c’est normal, les femmes ne comprennent jamais rien.

Lorenzo n’étant jamais très loin dans mes pensées, je me rappelai qu’il ne fallait pas trop en demander sinon ça pouvait devenir lourd, et là Martial était en train de s’épancher sur les affres de sa morne vie. Donc, il était temps de prendre congé.

-          Au fait, qu’enseignez-vous ?

-          Moi ! Je suis prof de philo et de français à l’université Paul Valéry, ici à Montpellier.

Là, je faillis tomber de ma chaise. Je m’étais complétement trompé. Ce qui voulait dire qu’il y aurait plus de nuances que prévu. A voir sur la durée. Un bon point pour lui.

-          Le milieu gay est rempli d’imbéciles surfaits, incultes et prétentieux, surtout le milieu montpellierain. J’ai visité le Marais à Paris, et ce n’est pas mieux, mais tous ces bars c’est quand même sympa. Alors qu’ici c’est glauque, voire minable. Et ici les mecs ne sont pas sérieux, toujours à aller voir ailleurs, c’est pour ça que je ne veux rien à voir à faire avec ce milieu… Payer est la meilleure façon d’avoir une relation satisfaisante pour le moment, comme ça je ne suis pas déçu, et même si je manque de pratique, je m’améliore sûrement.

J’acquiesçai d’un signe de tête pour ne pas le froisser. Pourtant depuis qu’on se connaissait, je n’avais pas vu un seul signe de progrès. Peut-être que les femmes n’étaient pas son truc, mais je crois bien que les hommes non plus. Bon, il lui restait quand même la littérature, la bouffe ou l’alcool, mais le sexe, pas sûr ! Seulement, je n’étais pas là pour le décevoir. Quant à son choix de vie, il était pour le moins baroque : il voulait être visible sans être vu. Sûrement que dans ses cours de philosophie il y avait de quoi expliquer ce paradoxe ! Mais c’était son problème : il apprendrait vite ce qu’être gay signifiait.

-          Cependant, je n’ai pas encore réussi à allier sexe et tendresse, et j’ai besoin des deux. Mais je ne désespère pas de vous faire changer d’avis.

Gloups ! J’avalai les dernières gouttes de vin, il était temps que je parte. Si je répugnai franchement à l’embrasser sur la bouche, je consentis tout de même à lui faire la bise, ce qui lui plut. On en était quitte de nos conventions.

En sortant, je me posai cinq minutes au Café de la Mer, j’avais besoin de réfléchir. Si la terrasse était souvent pleine, même à 22h passées, il restait quelques tables de libres. Ce qui était bien dans ce bistrot, c’est qu’on avait le temps de voir tomber la nuit et de compter toutes les étoiles du ciel avant d’obtenir sa commande, les serveurs battant des records de lenteur ou faisant carrément semblant de ne pas vous voir. Sans oublier que je m’étais fait taxer deux clopes en cinq minutes, et ça ne faisait que commencer. Si la place était une des plus plaisantes de la ville, je trouvais ce lieu franchement désagréable par son j’m’en foutisme ambiant, et il n’était malheureusement pas le seul à Montpellier.

Bon, j’avais appris des choses qui me turlupinaient un peu. Pour commencer, il fallait que je fasse encore plus attention avec Martial, je lui avais manifestement tapé dans l’œil, et il prenait exemple sur le couple que formait Lorenzo avec Roberto pour essayer de me séduire. Seulement, ce couple était aussi assorti que moi avec le Pape : on faisait tous semblant d’y croire, c’était tout… Mais si c’était un plan de Lorenzo pour me le foutre dans les pattes, ce n’était carrément pas cool car je n’oubliais pas non plus ce qu’il m’avait dit, « celui-là, je te le donne ». Qu’avait-il insinué au juste ?

Et puis, Martial avait peut-être aussi le « syndrome du sauveur », ce qui d’après Internet, était presque pire que celui du « pervers narcissique », qui déjà, infestait un max de gays en temps normal : j’avais même l’impression qu’ils étaient tous concentrés sur Montpellier. Au moins, ce « sauveur » payait pour m’aimer, ce qui mettait une barrière plus ou moins étanche entre nous, mais ne lui donnait aucun droit sur moi, à part celui fixé par notre contrat tacite. La rente était plaisante, mais la routine pourrait s’avérer rébarbative sur le long terme. Fallait vraiment que je déniche d’autres plans et rapidement.

Ses illusions restaient des fadaises tout à fait gérables. Le vrai problème était que Martial ne voyait que moi. Pire, Lorenzo ne lui avait présenté aucun autre mec : ce qui laisserait supposer que j’étais le seul, et ce qui expliquerait la raison pour laquelle il me collait lui aussi. Pourtant, on avait bien été deux « escorts » lors du plan à trois aux Parasols, mais c’était Roberto qui régalait cette fois-là.

Je m’étais imaginé que Lorenzo avait toute une écurie de mecs avec lui alors que j’étais sûrement son seul canasson. En extrapolant encore, il était fort possible que tous les plans dont il m’avait parlé soient bidons, y compris le fameux à « 1000 boules ». En revanche, Martial et le deal en tout genre existaient bien. Il y avait malgré tout des choses tangibles. Comme je n’étais sûr de rien, je ne pouvais pas encore taxer Lorenzo de mytho et m’en écarter - car il ne faut jamais garder les mythos comme amis - sinon les problèmes sont assurés. Je l’avais peut-être mis sur un piédestal un peu trop vite.

J’essayerais d’être plus avenant avec Roberto la prochaine fois que je le verrais. C’est vrai, j’avais été plutôt froid et distant, mais maintenant que j’avais des doutes sur son mec, il fallait que je change de braquet. Et puis, je lui avais déjà mis une cartouche, alors que c’était toujours à l’état de promesse avec Lorenzo. Là aussi, c’était curieux.

Au bout de trente minutes d’attente, mon demi finit par arriver sur la table. Tiédasse, bien sûr ! Le serveur portait un plateau démesurément trop chargé pour lui ; je ne savais pas comment il faisait pour se souvenir de tout, et de toute façon, trop de commandes en même temps créait des mécontents. Je supposais qu’il n’y avait pas assez de personnel pour une si grande terrasse. Ce manque d’organisation flagrant lassait les plus endurants. En plus, en parler au patron revenait à pisser dans un violon contre le vent, c’est dire s’il s’en foutait, me dis-je en buvant ma bière.

On ne connait jamais totalement les tenants ni les aboutissants de toutes choses, mais j’avoue que je ne comprenais pas non plus où Lorenzo voulait en venir ni ce qu’il cherchait avec moi. Mais ça me gonflerait d’être potentiellement manipulé par quelqu’un que j’aimais bien.

Si Joël avait eu raison concernant Lorenzo, alors mon avenir serait compromis dans cette voie et je n’aurais plus qu’à prendre un vélo et trimer comme un esclave chez Deliveroo.

 

Didier Kalionian - Le Blog Imaginaire (c) 2021

Copyright photo Vincent Desvaux "Circumpolaire" instagram VDESVAUX (c) 2021

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