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Didier K. Expérience
17 septembre 2021

Les Circumpolaires E.17/34

Circumpolair

Lorenzo m’avait dit qu’il me recontacterait dans le courant de la semaine, et le mercredi soir, je n’avais toujours pas de nouvelles de lui, et bien évidemment, je ne pensais qu’à lui envoyer un message. Le concernant, j’essayais de paraitre détaché, mais j’avais du mal à résister car malheureusement j’avais trop besoin de lui… Mon compte en banque criait de plus en plus famine et mon contrat se terminait le mois prochain. Donc, chômage pendant quelques temps, plus serrage de ceinture obligatoire, mais cette fois-ci, ça s’annonçait plutôt mal.

Ses plans étaient franchement les bienvenus, mais là il y avait un hic ! Je ne pourrais pas fournir la preuve que j’étais bien safe. J’avais bien compris les enjeux, et je ne pouvais même pas mythoner, sauf à prendre moi-même un risque : j’étais coincé sur ce coup-là.

Allongé sur mon lit, je fumais tranquillou un reste de pet’, quand sur les coups de 22h, n’y tenant plus, je lui envoyai un petit texto : « ça va ? »

Je ne reçus la réponse qu’une bonne heure plus tard : « bah oui ! »

Puis il m’appela :

-          Alors ! Qu’est-ce que tu fous ? Tu ne vas pas faire ta gonzesse à m’envoyer des textos, non plus ? On peut se parler. Ce n’est pas plus simple ?

-          Euh ouais, okay ! … Sinon, rien de spécial, bafouillai-je … Ah oui, je me suis inscrit pour la PrEP, mais j’ai une mauvaise nouvelle : pas de rendez-vous avant le 10 juillet.

Je n’arrivais jamais à anticiper avec lui, il me désarmait à une vitesse fulgurante à chaque fois, et je me sentais encore plus con.

-          Ah, okay ! Pas grave, répondit-il tranquillement.

-          Pas grave ? Et pour le plan du Parisien ?

-          Bah, ce n’est pas toi qui le feras, c’est tout. Ne te tracasse pas pour ça. Des plans y en aura d’autres. Les gens sont avides de cul en ce moment, y en a qui feraient n’importe quoi pour baiser, surtout des mecs plein de fric qui sont supposés choisir qui ils veulent, mais heureusement, la vie c’est plus compliqué que ça. Ces mecs friqués ont aussi des vies très compliquées et ils n’ont pas le temps de s’embarrasser de nos problèmes, ils ont déjà les leurs à gérer. Sous oublier que les lar-do attirent les parasites. Donc, plus ces mecs ont confiance en toi, mieux c’est. Cependant, s’il faut six mois pour construire une confiance, il faut cinq minutes pour la détruire. Donc, pas de faux pas. Si tu n’es pas encore sous PrEP, pas grave. On verra plus tard.

-          Okay ! Si tu le dis.

-          Ouais garçon ! Je te le dis, soupira-t-il… En attendant, j’ai Martial le prof, qui n’arrête pas de te réclamer. Il me saoule grave celui-là. Je lui ai refilé ton tel, vous vous débrouillerez pour vous voir sans passer par moi. Celui-là, je te le donne.

-          T’es trop gentil ! Mais il veut me voir quand ?

-          Je ne sais pas, tu verras ça avec lui. C’est un plan tranquille : drive-le bien et il te mangera dans la main.

Pendant qu’on se parlait, je n’avais pas osé fumer mon pet’ qui s’était consumé tout seul dans le cendrier. D’ailleurs, même si je ne fumais pas beaucoup, je n’avais pas arrêté pour autant. Mais j’espérais que Lorenzo ne s’en apercevrait pas. Heureusement que les téléphones n’étaient pas encore en odorama, sinon j’aurais eu droit à une sévère réflexion sur les méfaits du tabac. A ce propos, je n’avais toujours pas été voir le bar à sourire pour blanchir mes dents. Encore une chose qu’il fallait que je fasse rapidement. Donc, faudrait que je me retape le Martial et sa bave de crapaud !

Lorenzo avait raccroché sans plus de cérémonie à la fin de son laïus, mais ça ne me choquait plus : sa façon de communiquer restait fluide, il allait toujours droit au but, et toujours sans fioriture. Seule une forte personnalité pouvait maintenir une telle constance dans son rapport aux autres. Ou alors, il l’avait appris quelque part, dans une vie professionnelle antérieure : c’était même évident maintenant que j’y pensais. Il n’avait sûrement pas joué les entremetteurs ou les dealers depuis sa majorité. Mais comme il déboulait dans votre vie avec cette facilité déconcertante, on ne se posait pas de questions. J’aurais volontiers parié sur une reconversion inopportune, comme celle que j’étais en train de faire depuis que je le connaissais. Je réalisai que je ne le connaissais pas vraiment. En fait, on avait parlé du présent, un peu du futur, mais jamais du passé, et qui plus est : jamais du sien.

Oui, il devait utiliser des techniques managériales pour être tellement à l’aise partout et dans n’importe quelle situation. Soudain, sa façon d’être ne m’apparaissait plus du tout naturelle. J’en fus convaincu, c’était une stratégie. Ça voulait dire qu’on était tous, moi Martial, Joël, Christopher, et ses clients, que des pions dans un jeu. Ce qui signifiait qu’il était bien plus intelligent ou plus fou que nous tous réunis, donc potentiellement dangereux parce que ce genre de mecs se moquent généralement des conséquences de leurs actes pour les autres. Tout d’un coup, je plaignis Roberto d’être en couple avec un tel lascar. Enfin, ça c’était leur problème.

Pourtant, si Joël le trouvait super fake, et m’en avait averti plusieurs fois, moi il continuait de m’amuser plus qu’autre chose. Rien ne me semblait vraiment grave. Même si dealer était plutôt illégal, moi je ne vendais rien, donc je ne risquais rien. Et puis dans ce jeu j’y gagnais pour l’instant, donc on pouvait continuer de jouer ensemble.

Voilà, il avait suffi qu’on se parle cinq minutes pour que ma machine à parano se mette à tourner à plein régime.

En tout cas, il me motivait gravement. Comme il me l’avait demandé, j’allais à la salle tous les jours maintenant, pour rester en forme et m’améliorer : là-dessus j’obéissais… Bon, en ce moment, je ne cumulais pas vraiment les super conquêtes, et je préparais plutôt mon corps d’athlète pour des types minables qui ne me méritaient pas vraiment, mais c’était le jeu. Les beaux mecs, c’était pour le plaisir, pas pour le boulot.

En parlant taf, Lorenzo m’avait prévenu que le prof voulait me revoir, et j’étais prêt à parier que ça serait pour ce week-end. Le mec était en manque de sexe, il pédalait dans la choucroute pour en obtenir. Puisqu’il fallait le faire, alors je le ferais mais avec quelques petits changements, dont l’éviction de son clébard hystérique pendant nos ébats… Je me couchai bien naze, lassé de réfléchir à mon avenir incertain…

Comme je l’avais prévu, je me levai aux aurores, direction Gym-Up. Ce n’était pas le réveil qui m’avait fait sursauter, mais le bip d’un texto : mon prof libidineux me voulait pour ce soir ! Enfer et damnation ! il était déchainé celui-là, il ne pouvait même pas attendre la fin de la semaine. Ça avait bien changé dans l’Education Nationale ! Bon, fallait que je réponde mais avec tact et doigté pour ne pas le vexer : « Okay, mais le chien reste dehors. Merci ! ». Dix bonnes minutes pour confirmer, j’avais dû lui mettre un peu les nerfs : « OK ! » répondit-il finalement. Plus laconique, tu meurs. Donc, il était vénère !

Bien évidemment, le jeudi soir, je quittais vers 20h, donc, Martial ne pourrait pas « m’avoir » avant 21h. Je l’avais prévenu que s’il me « voulait » plus tôt, je ne pourrais pas prendre de douche ni m’apprêter pour la circonstance, et vu son standing bourgeois montpellierain de souche, ça ne le ferait peut-être pas. Eh bien, pas du tout, il me voulut tel quel ! Avec la sueur et mes odeurs corporelles du jour. J’aurais dû me douter que l’habit ne faisait jamais le moine, et sous ses allures de ne pas y toucher, il était bien dans son trip.

Chez lui, je ne fus pas accueilli par son teckel crispant cette fois-ci, mais par la Traviata ou par Carmen, ou par une cantatrice torturée du même genre : un truc à vous détruire les tympans. Marlon, le clébard, était enfermé dans une autre pièce, et il ne se gêna pas pour accompagner les hurlements. Entre Karl qui aimait Céline Dion et Martial qui écoutait de l’opéra, j’étais servi en glapissement gutturaux féminins. Pourquoi pas du hard rock pendant qu’on y était ? Pourquoi nombre de pédés éprouvaient-ils le besoin d’écouter ce genre de musique qui vous suppliciait les oreilles ? Ne pouvait-on pas apprécier d’avoir des émotions sans les beugler au monde ? Un peu de pudeur, quoi ! D’ailleurs, en y pensant, Karl et Martial avaient ce truc en commun, c’étaient des divas tout aussi excessives, mais chacun dans son genre tout de même.

Martial me remit l’argent de la même façon que la première fois, puis passa de la réserve à l’action. Je notai qu’il me vouvoyait pendant les présentations, puis me tutoyait pendant qu’il m’astiquait le manche, lors des entractes. C’était un peu déroutant mais amusant également, comme se faire sucer avec l’accent du Sud : ça donne un certain charme… Sinon, que dire de la prestation de Martial ? La soi-disant « reine de la sucette » usurpait plutôt son titre, je dirais qu’il en était encore au stade de « marquise ». Et il n’avait pas progressé d’un pouce depuis le week-end dernier. J’avais du mal à rester dur, vu que son travail ne m’excitait pas du tout : je perdais en concentration. Toutefois, au bout de trente minutes d’acharnement thérapeutique je réussis à jouir. Ouf, c’était fini !

Cependant, Martial en voulait encore. Pas moi. N’étant pas une mitraillette, je ne rechargeais pas assez vite pour retirer ensuite. Heureusement, il le comprit très bien. Seulement, il n’en avait pas encore terminé avec ses revendications, il souhaitait m’embrasser maintenant, et là non plus, ce ne fut pas possible. Le mec ne me plaisait pas dès le départ et l’idée de poser mes lèvres sur les siennes et avoir sa langue dans ma bouche me dégoutait plus qu’autre chose.

-          J’aurais voulu te câliner ?

-          Ah, désolé ! Je ne câline pas.

Je ne savais pas quelle matière il enseignait mais je l’imaginais bien en prof de math : généralement, ces profs-là suivent la logique des chiffres comme une religion, et ils sont surtout ultra bornés. Ils ont un mal fou à concevoir un autre monde en dehors du carré ou du rectangle. Et tout ce qui ne rentre pas dedans est forcément une erreur. Ben non ! Je n’embrassais pas malgré ce qu’il avait payé, et ma réponse le déçut forcément. Je le vis à sa tête même s’il n’osait pas encore faire des réclamations. Moi j’avais envie de partir comme on a une envie de pisser. Cependant, comme c’était lui le client, il me retint encore quelques secondes, il avait un truc à me dire, et je fus bien obligé d’attendre, je ne pouvais pas me sauver comme un voleur.

-          Voilà, on peut se revoir demain soir ?

-          Déjà ?

-          Oui ! Ça me ferait grandement plaisir !

Gros soupir intériorisé.

-          Bon, bah okay alors ! Même heure, même punition.

Merde ! Fallait vraiment que Lorenzo ou Roberto me refilent d’autres plans, parce que celui-là commençait à m’inquiéter : ça serait bien ma veine s’il tombait amoureux. Ce serait pour lui une voie sans issue, un Rubicon infranchissable et heureusement. Fallait qu’il garde les yeux bien ouverts sur notre relation et qu’il ne se fasse pas trop de films. Moi j’avais juste besoin de son fric, pas de lui, et encore moins d’un boulet.

 

Didier Kalionian - Le Blog Imaginaire (c) 2021

Copyright photo Vincent Desvaux "Circumpolaire" instagram VDESVAUX (c) 2021

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