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Didier K. Expérience
15 septembre 2021

Les Circumpolaires E.15/34

Circumpolair

Je me suis réveillé tard ce dimanche, mais avec la sensation d’avoir bien dormi. Cela faisait une bonne dizaine de jours que j’avais drastiquement réduit ma consommation d’alcool et ça commençait à porter ses fruits, dirait-on. Le sommeil était revenu, je dormais plus profondément et je rêvais, et ça j’en étais sûr.

Karl avait oublié d’éteindre la lumière du salon, comme d’habitude, et rien n’était rangé non plus. Toutefois, il avait nettoyé son dégueulis, même si l’odeur acide flottait encore dans l’air. J’ouvrais les fenêtres en grand dans le salon pendant un moment, y en avait besoin. Un rapide coup d’œil dans sa chambre, mon kuaffeur déluré dormait comme un bébé, j’entendis clairement sa respiration. Donc toujours vivant malgré ses pseudos malheurs existentiels.

Je fis couler un café, j’en aurais bu des litres. Lorenzo m’avait envoyé « les éléments » concernant mon rendez-vous de ce soir, qui était en fait, en fin d’après-midi. J’inaugurais enfin ses plans… On m’attendait à la terrasse du Café de la Mer pour 18h30, c’est-à-dire, à deux pas de chez moi. Le mec en photo n’était pas terrible, d’ailleurs je n’avais que son visage. Mauvais présage. Le texto était court, je ne savais même pas ce que ce mec voulait faire. Simplement, Lorenzo avait insisté pour que ma tenue soit « sobre ». Ce qui voulait dire en langage pédé : le type était hors milieu, ne se baladait jamais dans la rue avec une plume dans le cul. Et en langage « Lorenzo » : discrétion ultra recommandée.

Bon, il commençait à faire chaud en ce mois de mai. Je n’allais pas porter une cagoule non plus. Donc, pantalon, chemise claire et tennis feraient l’affaire. Et puis, je n’avais pas le dressing de Tom Cruise : j’avais pas mal de fringues mais ma penderie n’était pas encore extensible à volonté.

Je me pointai à l’heure pile au Café de la Mer. Je ne pouvais pas me tromper de bonhomme, il n’y en avait qu’un attablé à cette heure-ci. C’était quand même un bar très connu de Montpellier. Bizarre ! On faisait sûrement mieux comme discrétion.

On échangea de brèves présentations, le gars disait s’appeler Martial, il était prof. Dégarni, empâté, il n’avait sûrement jamais vu une salle de sport… Point positif, il faisait plus jeune en vrai qu’en photo, mais il aurait fallu être aveugle pour ne pas voir que ce n’était pas un perdreau de l’année, il aurait pu être mon père. J’avais vu juste concernant la tenue, il était quasiment habillé comme moi, plus passe partout, tu meurs ! Il buvait un demi, me demanda ce que je prendrais. Comme j’étais plus en service commandé qu’à un date*, je ne me lâchai pas : un café verre d’eau serait parfait.

Comme je ne savais pas ce qu’il me voulait, je restai sur la défensive pour l’instant, il le remarqua tout de suite.

-          J’habite à deux pas d’ici. On pourra aller chez moi après, si ça vous dit.

-          Pourquoi ne pas m’avoir donné votre adresse tout de suite ?

-          Je voulais vous voir, savoir si vous étiez bien celui que Lorenzo prétendait me présenter. On a des surprises, parfois.

-          Cela vous est-il déjà arrivé de ne pas avoir la bonne personne ?

Là, j’étais intrigué. Lorenzo aurait-il mythoné ?

-          Laissons cela. Ça n’a pas d’importance… Lorenzo vous a-t-il dit ce qu’on ferait ?

-          Non ! J’ai juste le tarif… Alors, je vous écoute.

Il me fit signe de m’approcher, comme pour me parler dans l’oreille, comme s’il redoutait que toute la ville puisse l’entendre.

-          J’adore tailler des pipes au jus, articula-t-il tout doucement.

Bon, maintenant j’avais son programme coquin, mais il y avait juste un petit problème. « Au jus » signifiait qu’il irait jusqu’à recevoir mon éjaculation, soit en bouche soit ailleurs sur lui, et moi je ne travaillais pas sans filet de protection, c’est-à-dire que je mettrais un préservatif.

-          Mais, on ne fera pas ça bareback ! Je suis sous PrEP, vous savez. Je suis suivi par mon médecin, je fais des tests tous les trois mois, je suis une personne sérieuse et responsable, aucun risque avec moi. Lorenzo ne vous a-t-il rien dit ?

-          Non ! D’ailleurs, je vais l’appeler, si vous le voulez bien… Je reviens !

Je me levai et laissai en plan le soi-disant prof qui me regarda m’éloigner, dépité.

Lorenzo décrocha tout de suite, je lui expliquai brièvement mon dilemme.

-          Je sais que toi, tu n’es pas sous PrEP, mais ce n’est pas un souci. Que tu sois clean ou pas, on s’en fout puisque lui est protégé. Mais toi aussi tu ne risqueras rien… Je le connais, je n’ai jamais eu de problème avec lui. Et puis, tu vas seulement te laisser faire, tu ne le toucheras pas. Alors, risque zéro pour toi. C’est tout bénef et ça passe crème !

Je l’écoutai sans répondre pour l’instant. Il soupira.

-          Bon, tant pis ! Tu fais comme tu le sens. Si tu ne veux pas, pas de soucis. Je me débrouillerai avec lui. Je vais trouver quelqu’un d’autre, ne t’inquiète pas.

-          Non, attends ! Je n’ai pas dit que je ne le ferais pas. Je voulais… Euh, je voulais t’informer, quoi.

Ça y est ! Je bafouillais encore. Je ne voulais surtout pas que Lorenzo me prenne pour un faux mec, ou un baltringue de plus.

-          Alors ?

-          Alors, c’est okay !

-          Très bien, garçon ! Dès que tu as fini avec lui, tu me rappelles, d’accord ?

De toute façon, j’avais besoin de cet argent. J’étais pris la main dans le bocal, mais je ne lâcherais rien.

Je retournai retrouver Martial et finir mon café. J’avais du mal à déglutir, mais la potion était amère… Je venais d’abdiquer quelque chose d’important pour de l’argent. Etais-je prêt à tout, maintenant, y compris à jouer avec ma santé ? Et puis, contrairement aux autres fois, le mec ne me plaisait vraiment pas du tout, il me dégouterait presque. Donc soit Lorenzo me faisait passer des étapes, soit ses plans ne valaient pas une cacahuète.

-          Okay, on y va ?

Martial se leva, paya les consos et nous quittâmes la place du Marché aux Fleurs tranquillement pour aller dans la rue d’à côté.

Chez lui, nous fûmes accueillit par un chien, genre teckel à poils longs, qui se faufila entre mes pattes en poussant de petits cris stridents à vous lacérer les tympans.

-          Tais-toi Marlon, papa est là !

C’était un grand appartement cossu dans un vieil immeuble bourgeois de l’Ecusson. Le parquet craqua quand on s’avança vers le salon, la hauteur sous plafond m’impressionna. Il me demanda de me mettre à l’aise pendant qu’il tirait les tentures. Je me retrouvai au beau milieu de sa bibliothèque sous la surveillance du clébard. Il me donna l’argent qu’il sortit directement de son portefeuille comme s’il payait ses courses au marché.

-          Tu vas voir, je vais te faire la meilleure sucette de ta vie, promit-il en me dégrafant le pantalon.

Bon, j’en avais connu de plus savoureuses et des gars qui astiquaient largement mieux que ça. Lui, ce n’était pas vraiment un professionnel de la pipe, il était nul. C’était lamentable de s’y prendre autant comme un manche : à croire que c’était sa première fois. En plus, il n’arrêtait pas de baver, j’en avais des hauts le cœur quand je le regardais. Et puis, la présence du chien qui n’en avait pas loupé une, me gêna franchement. Comment pouvait-on partager un moment aussi intime avec son animal de compagnie ?

Fort heureusement pour moi, il reçut ce qu’il désirait plus rapidement qu’il ne l’aurait souhaité. J’avais résisté autant que j’avais pu, je n’avais même pas eu besoin de simuler, c’était parti d’un seul coup : un jet gluant en pleine face. Je n’étais toujours pas acteur porno et encore moins Superman, mais j’étais soulagé d’en avoir fini. J’avais rempli ma part du deal. Basta !

Je me sentis un peu bête, mais j’en profitai pour me rhabiller et déguerpir fissa, le laissant sur les genoux. Je ne voulais pas partir en ayant l’air de le mépriser, mais je n’avais vraiment plus rien à lui dire. Plus vite je serais dehors, mieux ça serait pour nous deux.

Dans la rue, les quinze minutes les plus lucratives de ma vie me semblèrent plutôt satisfaisantes, mais j’étais dégouté d’avoir été avec ce type. Fallait vraiment être cinglé pour payer autant pour une pipe. Quel pouvait bien être son niveau de frustration pour en arriver-là ? Maintenant, je n’étais plus certain que l’argent puisse être la seule motivation pour moi. Tout comme je n’étais plus sûr de bien comprendre Lorenzo : des pièces devaient me manquer dans le puzzle.

Je retraversai la place du Marché aux Fleurs, téléphone à l’oreille, direction le quartier St Roch. Lorenzo décrocha tout de suite.

-          Alors, c’était bien ?

-          Bof ! On va dire oui !

Il éclata de rire.

-          Martial vient de m’envoyer un texto : il est très content et espère te revoir. Quel succès !

-          C’est génial, mais on va attendre un peu, répondis-je blasé.

-          Ne t’inquiète pas, c’est le métier qui rentre ! Je sais que ce gars n’est pas joli-joli, c’est comme ça parfois, mais je t’avais prévenu. Alors, assieds-toi sur tes préjugés sinon tu ne t’en sortiras pas.

Je soupirai, je ne savais pas quoi répliquer. Lui restait froid en toute circonstance semblait-il.

-          Bon, maintenant, laissons tomber ces pipes foireuses : je vais bientôt avoir un super plan à te proposer, mais il y a quelques conditions : faudra que tu sois sous PrEP et que tu acceptes de baiser sans capote, et c’est non négociable. Tu comprends, tous les bons plans sont ultra safe, j’allais dire « sécurisés », mais tu m’as compris. Donc, il faut que tu le sois aussi.

-          Et c’est tout ?

-          Bah, c’est payé 1000 boules, et faudra passer la nuit avec lui… Et ça ne sera pas à Montpel’ mais à Paris.

-          …

-          Allo ? T’es toujours là ?

J’avais laissé un blanc, surpris par le tarif annoncé.

-          Euh, ça fait beaucoup de conditions là, non ?

-          Réfléchis bien ! J’ai d’autres personnes qui seront intéressées… Ah oui ! Je prends une com’ bien sûr. Je n’ai pas encore fourni tes photos, mais le mec attend que je le recontacte.

-          Ça ressemble quand même à de la prostitution déguisée ? lançai-je.

Les avertissements de Joël revenaient en première ligne.

-          Mais non, garçon ! Qu’est-ce que tu vas chercher-là ? Nous, on est des potes, ce n’est pas pareil. D’ailleurs, c’est pour ça que je te fais profiter de mes plans. Donc, c’est normal si je palpe aussi. En une nuit tu gagneras ce qu’on te paie en quinze jours. Alors réfléchis bien, mais vite.

-          Tu sais que je ne prends pas la PrEP !

-          Je le sais, tu me l’as déjà dit cent fois... Dès lundi, appelle le centre de dépistage pour avoir un rendez-vous. Le gars voudra la preuve que tu es bien protégé et que tu n’as pas de MST non plus. Donc, dès que tu as fait tes tests, t’arrêtes tous tes plans cul pour être sûr que tu seras bien clean le jour J. Et tu ne déconnes pas avec ça, je compte sur toi ! Pour ce tarif-là, tu comprendras que le mec ait des exigences, n’est-ce pas ? En contrepartie, lui aussi te fournira la preuve qu’il est bien clean. Comme ça, zéro blabla, zéro tracas.

-          Et c’est pour quand ?

-          Quand tu seras prêt. Mais pas pour la Saint Glin-glin non plus. Démerde-toi pour avoir un bon délai pour le rendez-vous.

J’avais lu des articles dans le magazine Têtu sur des mecs qui avaient fait ce genre de plans : tous exprimaient leurs regrets d’avoir mis la main dans cet engrenage. Et puis finalement, c’était tous des prostitués : ce que je ne voulais absolument pas devenir. Lorenzo jouait cartes sur table avec moi, ne travestissait sûrement rien, et m’avait même mis au courant pour sa com’. Pourtant, j’étais plus que partagé cette fois-ci. Je n’étais plus sûr de vouloir la même chose que lui… D’avoir vu la misère sexuelle et affective de ce prof ne m’avait pas amusé du tout, j’avais même envie de lui rendre son argent. Bien sûr, prendre de l’argent aux pigeons, c’était sympa, mais là ç’avait été trop flagrant.

Un spot « attention danger » clignota de plus en plus fort dans ma tête. Et quand l’instinct et la raison se rejoignent, c’est à prendre en considération, surtout.

-          Alors, garçon ?

-          Faut que je réfléchisse ! J’ai besoin d’un peu de recul.

-          Okay ! Pense aux 1000 boules, on se rappelle dans le courant de la semaine. Ciao !

Lorenzo avait coupé net la conversation. Je l’imaginai un peu énervé, montrant au monde ce sourire carnassier fluorescent qui éblouissait les plus récalcitrants. Cependant, j’espérais ne pas être entré dans une sorte de quitte ou double avec lui, car quoi qu’il arrive, j’avais besoin de cet argent…

*Anglicisme pour dire : rendez-vous amoureux. Abréviation de speed dating.

 

Didier Kalionian - Le Blog Imaginaire (c) 2021

Copyright photo Vincent Desvaux "Circumpolaire" instagram VDESVAUX (c) 2021

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