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Didier K. Expérience
14 septembre 2021

Les Circumpolaires E.14/34

Circumpolair

Joël m’avait surpris ce soir en m’incitant a accepter l’argent que m’offrait Lorenzo pour ma soi-disant participation. Comme revirement spectaculaire, on ne faisait pas mieux. Mais bon, les humains n’étant pas à une contradiction près, j’avais quand même hâte d’entendre sa version. Je le fixai sans rien dire, j’attendais que ça vienne de lui et il commença vite à se sentir gêné.

-          Quoi ? Pourquoi tu me regardes comme ça ? Qu’est-ce que tu veux que je te dise ?

-          Tu le sais très bien. Alors, crache ta valda ! J’attends.

-          Bon, okay ! Je vois que tu vas me tenir la grappe jusqu’au bout… Tu sais, il n’y a pas trente-six raisons pour faire des choses, mais quand un type te donne 50€, ben tu les prends, c’est tout.

-          Mais je croyais que tu te méfiais de Lorenzo ?

-          Et ça n’a pas changé. Tu prends l’argent cette fois-ci et si tu ne veux pas que ça se reproduise, tu évites ce type. C’est aussi simple que ça.

-          Parce que tu penses qu’il ne s’agirait que d’une question d’argent ?

-          C’est le nerf de la guerre, mon pote.

-          D’accord ! Et comment pourrais-je éviter Lorenzo ?

-          Ça ! Ça ne dépend que de toi ! Je n’ai pas de solutions à tout.

Comme c’était facile à dire ! En fait, tout le monde avait des bonnes raisons pour faire ce qu’il avait à faire sauf moi. De plus, je ne voulais pas révéler à Joël tout ce que je faisais pour Lorenzo et Roberto. Donc, problème insoluble pour l’instant !

Du coup, je taxai une clope à Joël comme pour me libérer de l’emprise de Lorenzo, pour ce soir en tout cas. Joël n’eut pas le temps de ranger son paquet, qu’un gars qui descendait la rue en profita pour lui en taxer une aussi. Personne ne payait ses cigarettes dans cette ville, ou quoi ?

Je me rendis compte que j’avais été le seul mec sage de la soirée et que j’en avais marre de faire la sainte nitouche. Et puis, le vice et la vertu ne faisaient-ils pas toujours bon ménage ? Un coup l’un et un coup l’autre… Ce soir, si je n’avais toujours pas vu la queue de Lorenzo, j’avais clairement aperçu ses cornes de petit diable. Je n’avais même pas besoin d’imaginer ce dont il était capable de faire, puisqu’il m’annonçait tout le temps la couleur. Même ce soir, il avait été clair, sans ambiguïtés et surtout sans scrupules. C’était juste moi qui n’avais pas voulu voir.

Soit ce type était d’une franchise à toute épreuve, soit c’était une tactique, mais j’étais bien en peine de savoir laquelle. En fait, à force de vouloir chercher midi à quatorze heures, on finissait par se perdre dans les méandres de sa parano. Donc, j’optai pour ce qui me sembla évident : Lorenzo était un type intelligent, un pragmatique du genre séducteur.

Bien sûr, je gardai pour moi cette révélation quasi divine. De toute façon, Joël ne pourrait pas saisir.

On avait beau être samedi soir, cette première soirée de week-end m’avait déjà épuisé. Tant pis pour Lorenzo, on ne se reverrait pas au Cubix. De plus, Joël travaillant au club ce dimanche, il fallait qu’il rentre se coucher, et moi je n’avais pas spécialement envie de rester seul au Coxx. A cette heure-ci, il ne resterait plus que ceux qui allaient partir en boîte, ou les mecs bourrés. Très peu pour moi…

La vache ! Gravir les cinq étages à pied à 1h du mat’ était une vraie torture, même pour un mec entrainé comme moi. Enfin, la bonne nouvelle de la soirée, le calme régnait sur notre palier. Dans l’appart, la lumière était allumée dans le salon, mais pas un bruit ne filtrait, le bordel dû à l’apéro était toujours en place, mais tous les invités s’étaient taillés. Je trouvai Karl assis sur le sofa, sanglotant : scène étrange.

Je m’approchai de lui calmement, j’allais encore devoir le consoler, je sentais que ma soirée n’allait pas se terminer si bien, finalement.

-          Qu’est-ce que tu as ? T’es triste ? Tu t’es fait larguer ? Tu sais, ce n’est pas si grave.

-          Mais nan ! Je viens d’écouter la chanson « Pour que tu m’aimes encore » de Céline Dion, et ça m’a rappelé des trucs. Voilà, c’est tout.

-          Et tu pleures pour ça ?

-          Bah, c’est une chanson triste aussi, non ?

Ouais ! Je voyais surtout qu’il était bien perché, encore.

-          Tu te rappelles de ce que tu as pris ? Qu’est-ce que tu as avalé ?

-          Sais plus, docteur. Me rappelle de rien. On a bien rigolé ce soir. Nan, tu ne trouves pas ?

Oh mais on rigole encore là, pensai-je ! Je crois même que ce n’est pas fini.

-          Ouais, c’était cool. Allez, sèche tes larmes, tu vas aller te coucher. Hop, au dodo Rihanna !

-          Nan ! mais elle est trop triste cette chanson, c’est trop la vérité, ce qu’elle dit. Tu ne trouves pas ?

-          Si, bien sûr. Allez, lève-toi ! Et arrête de chialer, ça me saoule !

-          Vas-y, laisse-moi, c’est bon. De toute façon, je finirai seul, c’est comme ça, c’est ma vie !

De l’entendre miauler et renifler me donnait des envies de le trucider. Mais je pris sur moi.

-          Mais oui Calimero, t’as raison.

-          Quoi ?

-          Rien ! Calimero, c’est un canard. Et un chieur pleurnicheur comme toi.

Oh bordel ! il ne connaissait même pas ce vilain petit canard casse-couille. Vouloir rester jeune, c’est vraiment une sinécure.

Pendant, que je l’aidais à se mouvoir jusqu’à sa chambre, lui continuait à me débiter ses déboires.

-          Tu sais, je ne pourrais pas être un oiseau, moi.

-          Ah oui ! Et pourquoi ?

-          Parce que j’ai le vertige, tu vois.

-          Bien sûr, je vois.

Puis, comme si ça ne suffisait pas, il se mit à vomir ses tripes sur le carrelage. Je venais de comprendre l’allusion au vertige. Et surtout comprendre que j’avais vécu cette scène plusieurs fois et que j’en avais définitivement marre.

-          Merde Karl, bordel ! fulminai-je.

-          T’inquiète, je vais nettoyer. Je te le jure !

Du coup, je le laissai à l’entrée de sa chambre, accroupi devant sa flaque de gerbe, ses rêves de princesse triste et ses chansons philosophiques. Je n’étais ni son frère ni son mec, ni sa conscience, et puis il ne risquait vraiment rien sauf à réaliser, qu’enfin, il devait se comporter en adulte. Rien de mieux que d’être face à son vomi pour le comprendre. Enfin, avec Karl, même les choses les plus évidentes devenaient hyper compliquées parfois.

Je m’enfermai dans ma pièce, m’allongeai sur le lit, saoulé de tout et de tout le monde : comme un samedi soir raté, quoi… J’eus une furieuse envie d’appeler Lorenzo, le seul qui semblait avoir vraiment les pieds sur Terre. En tout cas, ses propos résonnaient toujours dans ma tête. Karl n’était qu’une preuve vivante que notre société n’était qu’une société de consommation, que cela avait une réelle emprise sur les gens, et que la majorité se laissait bouffer la laine sur le dos. Lorenzo avait juste entrepris de participer à la tonte des moutons. Et s’il y en avait pour lui, il y en aurait pour moi aussi.

2h du mat’ passées. Cependant, il ne devait pas être trop tard pour parler à un oiseau de nuit comme lui.

-          Ouais, Lorenzo ! C’est Alex ! Enfin Théo, quoi !

-          Okay ! Que veux-tu ? On s’est vu toute la soirée et tu as encore des choses à me dire ?

-          Je crois que je n’ai pas été très cool tout à l’heure quand tu m’as proposé les 50€. Mais en fait, j’apprécie le geste, quoi. Tu vois !

Voilà que je commençai à parler comme Karl !

-          Ouais, je vois ! Ben, c’est cool… C’est tout ?

-          Euh, ouais !

-          Bon, ben ça tombe bien que tu aies appelé parce que j’aurai un plan pour dimanche soir. Juste un service à rendre pour 100€. Rien que tu ne puisses pas faire, je te l’assure. Je te textoterai demain avec les éléments. Okay garçon ?

-          Ça roule !

Merde ! J’avais bafouillé comme une débutante, pire que lorsque je racontais des bobards à ma patronne. Heureusement qu’il avait comblé sinon la conversation aurait tourné vinaigre.

Lorenzo ne me tenait rigueur de rien, c’était l’information principale de la soirée… Comme quoi, l’humeur des princesses finissait par déteindre sur moi, je m’inquiétais comme Karl, maintenant. Fuck !

 

Didier Kalionian - Le Blog Imaginaire (c) 2021

Copyright photo Vincent Desvaux "Circumpolaire" instagram VDESVAUX (c) 2021

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