Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Didier K. Expérience
11 août 2021

Bouche-à-nœuds E.31/35

   

Bouche-à-noeuds

Il n’y a pas de meilleure compagnie qui ne se quitte, comme on dit. Même si j’aimais vraiment les gens du CeGIDD, ils ne m’étaient d’aucune utilité pour la suite des évènements. En attendant de trouver un plan, il fallait que je parle à ma mère, je ne pourrais pas lui dissimuler mon cocard bien longtemps.

Je récupérai ma voiture que j’avais garée dans le parking sous la Comédie, je me mirai une dernière fois dans le rétroviseur mural : mon œil était bien marqué, et même avec les lunettes de soleil qui en masquaient une partie, ça se voyait toujours. J’allais encore devoir inventer une histoire à dormir debout pour justifier ma tête de punchingball. Je me rendis compte que je me vautrais dans le mensonge et qu’il fallait que j’en invente de plus en plus, mais que finalement, ça ne me gênait pas. C’était comme une montagne dont on ne voyait jamais le sommet, et plus on s’en approchait, plus il s’éloignait… En voilà une belle métaphore, faudrait que je pense à m’en rappeler pour quand j’aurais besoin de faire mon intelligente.

Bien évidemment, ma mère me prit la tête. Elle qui ne quittait pas BFM, voilà que je lui ramenais un fait divers à la maison.

-          Maman ! Je me suis fait agresser par un client, c’est tout ! Je n’ai pas été assez méfiante. Désormais, je serai sur mes gardes, tu peux me croire.

-          C’est tout ? On dirait que ça n’a pas d’importance. Moi, j’ai peur pour toi. Tu ne vois pas ce qui se passe dans Montpellier en ce moment ? Des meurtres, des règlements de comptes, des trafics de drogue, des vols à l’arraché, j’en passe et des meilleurs…C’est pire qu’à Bagdad, ici. Un jour, on se fera tous tuer…

Ma mère ne s’appelait pas Esmeralda pour rien. Une vraie tragédienne italo-espagnole-juive-pied noire : encore un moment et elle s’arracherait les cheveux… Bon, je coupai court pour ne pas m’expliquer toute la journée.

-          Autre chose, je ne veux plus que tu ailles faire tes courses au Carrefour City. Puisque le gérant ne veut plus nous faire crédit, autant aller ailleurs.

-          J’irais ailleurs quand tu arrêteras ce métier. J’ai mes habitudes dans ce magasin. Tant pis pour le crédit, on mangera moins, ça sera tout.

-          On mangera moins ? C’est toi qui dis ça ? Faudra vraiment que tu changes d’habitudes, alors. Je me suis gravement fâchée avec le gérant. Entre lui et nous, c’est mort…

J’avais lâché la dernière phrase, sûrement prémonitoire, sans le vouloir. Mais ça me fit quelque chose de m’entendre la prononcer en public. Je crois que je venais de le condamner, et quoi qu’il arrive maintenant, la sentence serait appliquée.

Pendant qu’on parlait, Mishka vint se réfugier dans les bras de ma mère.

-          Qu’est-ce qu’il a ce chat ? Il a grossi ou quoi ? C’est devenu un vrai patapouf. Arrête de le gaver. On fera peut-être aussi des économies.

-          C’est un des effets de la castration. Avant il engrossait, maintenant il grossit !

Voilà qui me donnait des idées, mais j’avais, jusqu’à présent, privilégié la simplicité et l’efficacité. Même si je me débrouillais bien, je n’étais pas encore une pro du carnage.

J’avais passé les heures suivantes loin du tumulte hystérique de ma mère, coincée devant sa télé, à maugréer… Autre problème, je ne pouvais plus sortir sans passer du temps à me maquiller, ça me prit deux bonnes heures pour résorber mon désastre facial, mais ça me permit d’être enfin tranquille.

Régis finissait vers 20h, je savais où et quand le trouver. Donc, pas la peine de se précipiter, même si j’avais hâte d’en finir.

Je me pointai tranquillement vers 19h30, le parking clientèle était encore plein. Les deux videurs africains à l’entrée, commençaient à refouler les retardataires : vaudrait mieux les éviter, ceux-là. Je restai tranquillement dans ma voiture, garée pas très loin du quai de déchargement, endroit désert à cette heure-ci. Je ne savais toujours pas comment j’allais opérer quand une camionnette passa devant mon véhicule pour se diriger vers les quais. Je la suivis du regard et avec intérêt. Bingo ! Mon gars Régis vint lui-même réceptionner les colis. Dès que la camionnette repassa dans l’autre sens, je démarrai et me dirigeai aussi sec vers l’emplacement pour prendre sa place. Régis arriva en courant pour savoir ce que ce nouveau livreur apportait. C’est vrai, il n’y a rien de plus emmerdant que de recevoir un chauffeur lorsque le magasin va fermer et qu’on est pressé de rentrer chez soi.

Je baissai ma vitre pour qu’il me voie bien, j’avais le cran d’arrêt dans la main droite, posée sur ma cuisse, mais prête à frapper. Etant donné sa corpulence, et les coups qu’il m’avait donnés, je tenterais le tout pour le tout en une seule fois.

Au moment où il me reconnut, il ralentit sa course. Il s’avança pourtant lentement. De ma portière, je vis clairement le même sourire de satisfaction que les hommes affichaient quand ils s’étaient bien dégorgés le poireau. Il était content de lui, quoi !

-          Ah ! C’est toi ! Qu’est-ce que tu veux ? Ou tu en reveux, peut-être ? dit-il en riant.

Moi aussi, je me forçai à sourire tout en serrant la crosse de mon poignard. Il fallait qu’il approche encore un peu pour être à portée de tir.

-          Pourquoi pas ! J’ai un œil qui dit merde à l’autre ! Y aurait comme de la jalousie dans l’air. Si tu pouvais m’arranger ça ! Tu vois ce que je veux dire, hein ?

-          J’ai été obligé de t’en allonger une, t’arrivais pas à fermer ta gueule. Et après t’en avoir mis une pour te faire taire, j’ai été obligé de t’en mettre une autre pour que tu l’ouvres car comme tu devrais le savoir, c’est mieux pour pomper… Putain ! Ce que tu peux être compliquée comme fille, c’est dingue, ajouta-t-il en éclatant de rire.

Ses sarcasmes firent mouche : j’avais envie de l’étriper sur le champ, mais il n’était toujours pas assez près. Gentiment, je lui fis signe de la main gauche de s’approcher, tout en serrant mon cran de la droite.

-          Viens ! Regarde le beau cocard que tu m’as mis ! Admire ton travail ! Allez, n’aies pas peur, tu sais ce que je vaux, maintenant. Tu m’as dérouillée comme un homme, un vrai, mon salaud !

Et voilà ! Comme on le sait depuis longtemps, les cons ça ose tout, et c’est même à ça qu’on les reconnait*. Régis, en grand futur vainqueur de la confrérie des machos à quatre balles, se rapprocha enfin pour contempler son œuvre, mon œil au beurre noir. Et là, un seul élan me suffit pour lui plonger ma lame dans sa gorge. Il se recula d’un bond, choqué, haletant, portant ses mains à l’entaille profonde qui pissa le sang instantanément. Moi, je le regardai mimer sa souffrance comme un pantin qui essaierait d’aspirer l’air sans pouvoir dire un mot. Je savais qu’il n’en aurait plus pour longtemps, mais j’attendais l’indice qui me l’indiquerait avec certitude.

Il plia les genoux, le sol le réclamait. Voilà, c’était ce que j’espérais : il suffoquait, le coup avait été fatal, je pouvais redémarrer et me tirer sereinement car dans une minute il serait mort et bien mort. En quittant la scène, je jetai un œil au rétroviseur mural, ce salaud s’était effondré sur le ventre, face contre terre, c’était fini. Moins de cinq minutes avaient suffi pour régler mon problème. Si Jenny avait parfois un côté Marie-Madeleine, moi je devais en avoir un plus proche de Ponce Pilate car désormais, tout comme lui, je m’en lavai les mains, ou comme on disait aujourd’hui, je m’en battais les couilles.

Quand je suis sortie du parking, il me parut vide. Le rideau du magasin était baissé, les videurs avaient disparu, les clients aussi, ainsi que les éventuels témoins, évidemment.

Je fonçai sans demander mon reste, mais je gardai un calme olympien qui ne me surprenait plus. Sûrement le signe que j’avais gagné en assurance. J’étais devenue souple, féline, manœuvrière**, presque une tueuse professionnelle, quoi ! Je méritais mon diplôme…

Même s’il était encore trop tôt pour prendre mon service, je me dirigeais vers l’avenue de Toulouse. Pas grave, j’irai manger un morceau au Bar des Sports. Après tout, c’était toujours l’heure de dîner. Et puis, ma vengeance m’avait donné faim, j’avais la dalle.

Contrairement au Carrefour City, le Géant Casino n’était pas encore fermé à cette heure-ci, et le parking était encore bien occupé, des zonards faisaient la manche à l’entrée… J’eus quelques difficultés pour me garer. Il faisait encore jour et la circulation était toujours dense, l’abribus était encore réservé à ceux qui prenaient vraiment le bus. Bref, ce décor diurne n’était pas encore le mien.

Heureusement, le Bar des Sports n’était pas très loin du parking… Si la clientèle était encore bigarrée, des filles se mélangeaient déjà aux convives ordinaires. Dès qu’il me vit, le patron se jeta littéralement sur moi. Je mis mes mains en avant comme pour l’arrêter :

-          Oh là Ben-Hur ! Calme ton char ! Je viens manger. Peace, mon frère !

Résigné, il m’indiqua le fond de la salle tout me tendant un menu. Je m’y dirigeai prestement quand je reconnus Perla et une autre gamine rom dont je ne me souvenais plus du prénom, qui finissaient leurs soupes. Perla écoutait de la musique au casque et braillait quand elle voulait s’exprimer.

-          Pookie, Pookie ! Blah blah blah, t’as la pookie dans l’side ! Wesh ! J’comprends rien de keskédi celle-là ? Tu connais Aya Nakamura ? me hurla-t-elle. C’est trop d’la balle !

-          Non, je ne connais pas… Coquillette n’est pas dans le coin ?

Perla ne m’entendait pas, elle continuait à gémir en rythme, dans une langue qui singeait le français, qui singeait l’anglais. Elle était visiblement ravie d’être sur une autre planète grâce à sa musique. Quant à sa copine, elle avait l’air absente, comme si elle avait été mise sur pause. Je fis signe à Perla que sa pote avait l’air dans le coma et que c’était inquiétant.

-          Ouais ! Elle est dans le coma, confirma-t-elle. Cette teubée a pris un truc, mais chépa quoi. Elle est défoncée, quoi !

Le patron m’apporta un bol de Pho avec des nems. Je commençais à manger quand l’autre en face de moi se mit à baver. Le patron la fixa, inquiet.

-          Qu’est-ce qu’elle a, celle-là ? me dit-il.

-          Elle est fatiguée, répondis-je. Rien de grave !

Puis, commençant à la secouer comme un sac à patates.

-          Toi pas dormir ici, hein ?

-          Ça va, elle est pas morte, non plus ! Lâche-nous, l’autre là ! s’interposa Perla.

Je me dis que j’aurais peut-être dû m’installer ailleurs, finalement. Manger en face de ces deux zombies ne m’inspirait pas du tout, ma soupe n’avait plus le même goût. Ça ambiançait bizarre ici.

-          Hey ! T’as un beau cocard, toi ! C’est ton mari qui t’a mis une torgnole ? argua Perla.

-          Ouais, voilà, c’est ça !

-          Ça veut dire qu’il t’aime, ton gadjo ! T’as trop d’la chance !

Décidément, elle me ferait presque regretter d’avoir rectifié le gérant pour m’avoir humiliée, mais on n’avait sûrement pas la même définition du respect et de l’amour, pensai-je… Je profitai de la présence du patron pour lui régler la note et ciao la compagnie. Tant pis pour Coquillette, je la verrais à un autre moment…

*Cf Michel Audiard.

** Cf Général Bigeard

 

Didier Kalionian - Le Blog Imaginaire (c) 2021

Copyright photo Didier Kalionian "Abribus" instagram (c) 2021

(Si cette histoire vous a plu, n’oubliez pas de liker. Merci. Retrouvez la communauté des lecteurs sur Facebook, DKalionian BlogImaginaire)

Publicité
Publicité
Commentaires
Didier K. Expérience
Publicité
Archives
Newsletter
12 abonnés
Visiteurs
Depuis la création 21 580
Publicité