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Didier K. Expérience
9 août 2021

Bouche-à-nœuds E.29/35

  

Bouche-à-noeuds

Revoir ma voiture sur le parking me procura un bonheur comme je n’en avais jamais éprouvé jusque-là. J’ouvris le coffre et en sortis un petit gilet qui ferait l’affaire pour ce soir. Le short était déchiré, mais restait mettable. Je me déshabillai rapidement. Je rangeai la couverture puante : faudrait que je la leur rende propre, c’était la moindre des choses.

Je mis un coup de clé et le moteur démarrai d’un coup : heureusement, Régis n’avait rien saboté. Mais manquerait plus que je sois obligée de le remercier ! Seulement, au lieu de partir, je m’affalai sur le volant, en larmes. Je chialai comme une madeleine, les vannes ouvertes au maximum. Je n’avais pas pleuré comme ça depuis que j’avais perdu ma virginité, et ça faisait des lustres. J’aurais pu haïr tous les hommes de cette foutue planète et tous les massacrer jusqu’au dernier, mais la colère est toujours mauvaise conseillère. Ça fait juste du bien de crier sa haine un bon coup. Le monde était pourri, je n’allais pas le changer à moi toute seule. D’ailleurs, j’en étais bien incapable.

Je me mouchai dans les manches du gilet et je m’essuyai les yeux avec ce que je pouvais. De toute façon, je ne pouvais pas faire pire que les Roms… Et puis, je n’étais pas morte, c’était l’essentiel ! Dieu merci !

Je jetai un coup d’œil dans le rétroviseur mural, j’avais les yeux rougis et la lèvre supérieure gonflée mais pas que : la pommette droite l’était aussi, et bien enflée. Quelle guigne ! J’étais bonne pour avoir un marron au beurre noir. Dire que je m’étais moquée de la petite Perla quand elle était revenue de sa GAV avec un œil bleuté : elle aurait bien raison de se moquer de moi aujourd’hui. Rien à ajouter, ça avait été ma fête ce soir !

Maintenant, il fallait que je quitte ce parking de malheur ! Pas question de rentrer à la maison retrouver ma mère qui ne manquerait pas de jouer les madones éplorées et me soûlerait. Le mieux serait de voir Coquillette sur l’avenue de Toulouse : elle, elle saurait m’aider à maquiller ce désastre : comme tous les Gitans, elle s’y connaissait sûrement en voiture volée. Enfin, si elle était disposée.

Comme je n’étais pas loin, je ne mis pas longtemps pour rejoindre notre aire de jeux pour pauvres adultes consentants, et le parking du Géant Casino. Comme il n’était pas encore minuit, je savais qu’elle serait sûrement chez les Chinois, au Bar des Sports.

Effectivement, je reconnus sa silhouette en forme de 8. Je m’approchai doucement pour ne pas l’effrayer avec ma dégaine d’accidentée de la route.

-          Salut Coquillette ! Je peux te voir une minute ?

Elle écarquilla les yeux comme si elle avait reconnu sa vieille mère disparue depuis Mathusalem.

-          Boudi ! Qu’est-ce qui t’est arrivé ?

-          Je me suis fait agresser, balbutiai-je

Elle se leva d’un bond et m’entraina.

-          Viens ! On va aller dans les toilettes. On sera plus tranquille.

Bien évidemment, à peine avais-je mis un pied dans l’établissement, que le patron nous sauta dessus. Coquillette s’en chargea :

-          Apporte-nous un seau de glace s’il te plait. Et deux cafés au lait !

-          Glace et cafés olé ! Ça marche ! répéta-t-il en s’éloignant.

Dans les toilettes, j’ai raconté à Coquillette ce qui s’était passé, en évitant certains détails, comme le pourquoi de ma rencontre avec Régis. Elle appliqua tendrement les glaçons sur ma joue pour faire dégonfler l’œil. Cette délicatesse inattendue me toucha. Cependant, je n’avais pas mal, je n’ai jamais été douillette comme fille. Je devinai que c’était elle qui avait aidé Gina à survivre dans la jungle française, elle avait le cœur sur la main, cette fille.

-          Je crois que la fête du slip, c’est mort pour toi ce soir ! Comment tu vas avoir un sacré gnon, j’te dis que ça !

-          Avec un peu de maquillage, ça devrait passer, non ?

-          Si tu le dis ! Après tout, il y a peut-être des hommes qui aiment ça ? dit-elle en riant jaune.

Sa bonne humeur à toute épreuve me rassura quelque peu.

-          Les types qui font ça, faudrait leur couper les couilles ! J’te jure, si y en a un qui essaie de me toucher, il est mort recta, le gadjo !

Je ne répondis pas, mais c’était clair que le Régis ne profiterait pas longtemps de m’avoir dérouillée.

-          Heureusement que les Roms m’ont secourue ! C’était sympa de leur part.

-          Bien sûr qu’ils sont sympas. Ce sont des êtres humains comme toi et moi, pas des bestiaux ! Ils ont sûrement plus de cœur que le bâtard qui a abusé de toi.

Et bim ! Une leçon pour ma pomme.

-          Peut-être tu devrais penser à porter plainte, non ?

-          Tu vois une pute porter plainte pour viol, toi ? Personne ne me prendra au sérieux dans le commissariat. Et puis, je ne sais pas si on peut dire que c’était un viol ?

-          Tu déconnes, là ! Tu t’es fait agresser ! Je sais que c’est dur, mais il faut le faire. Les keufs ne sont pas si cons : ils savent reconnaitre un viol quand c’en est un, t’inquiète !

Elle n’avait pas tort, mais si je le faisais, je me privais de ma vengeance qui serait plus expéditive et surtout radicale. Attendre des mois pour que la police et la justice se bougent peut-être, n’était pas dans mon tempérament, et puis j’étais hors de moi, il fallait que je réagisse vite. Ce sale type, que je ne pouvais plus décemment appeler par son prénom maintenant, avait même eu l’outrecuidance de m’humilier à une centaine de mètres de son boulot, puis à me jeter sur le tas d’ordures que constituait le camp des Roms. Ce type était une racaille déguisée en honnête citoyen, il paierait plus cher que les autres, j’en faisais le serment. Et s’il y avait un Dieu là-haut, il avait intérêt à bien m’entendre, parce que je serais sans pitié.

-          Okay ! On verra pour la plainte. En attendant, il faut transformer Mamie Nova en Super Jaimie.

-          J’suis pas magicienne ni mécano, mais avec un peu de fond de teint, du blush et du gros rouge à lèvres, ça devrait aller. T’as la peau mate, ça aidera, mais faut pas t’attendre à des miracles, non plus. Il t’a bien amochée, le salaud !

Au bout d’une heure, la glace avait fait son effet et le maquillage camouflait ce qu’il pouvait, c’était presque parfait. On sortit enfin des toilettes pour dames qui n’étaient, d’ordinaire, pas l’endroit le plus glamour de ce bar, mais ce soir c’était un mix entre les urgences, le psy et le carrossier… Avant de réapparaitre, j’ai dû m’admirer dans le miroir une bonne plombe, et franchement, j’avais vraiment l’air d’une poupée gonflable avec ce rafistolage ! Pas de doute, on voyait bien que je n’allais pas faire les vendanges. Une vraie tête de Bouche-à-nœuds quoi !

Les cafés arrivèrent dès que le patron nous revit dans la salle… J’hésitai à parler de Jenny à Coquillette. Manifestement, elle n’était pas encore au courant de sa mort. Valait mieux que j’attende avant de l’évoquer… Je repoussai mon café et j’interpelai le patron.

-          Hey l’Asiate ! Deux vodka-oranges, s’il te plait ! Et une aspirine, j’ai mal au crâne !

-          Toi aller mieux ! Moi content ! Toi payer plus cher, maintenant, répondit-il en riant.

-          Tu ne perds pas le Nord, le bridé !

Coquillette avait l’air plus préoccupée que moi. Elle sirotait son café olé sans passion.

-          Que comptes-tu faire maintenant ? implora-t-elle presque.

-          Maintenant ? Ben, je vais faire un peu de thunes, cette nuit !

-          T’es une fille forte ! Moi je ne pourrais pas. Je sais qu’on peut se faire agresser, mais je ne veux même pas y penser, j’ai trop peur.

-          Qu’est-ce que tu veux que je fasse d’autre ? Que je me coupe les veines ? J’ai un loyer à payer et il faut que je mange tous les jours. Je pleurerai plus tard !

Que dirait-elle quand elle apprendrait la mort de Jenny, alors ? Bref, pas le temps de m’apitoyer sur mes déboires. J’avais été assez conne pour relâcher ma confiance parce que ce sale type présentait bien. J’avais été tellement naïve que je finis par me demander si je n’avais pas mérité ce châtiment. Bon, c’était un problème entre moi et ma conscience, et heureusement, je finissais toujours par m’assoir dessus. Sur ma conscience, bien sûr.

-          Alors, faut qu’on y va ! m’apostropha-t-elle. Ne trainons pas ! Sinon, les kainfres* vont nous piquer la place.

Elle avait raison. Les autres filles avaient déserté le bar, il était temps qu’on y aille aussi… Coquillette avait bu les deux cafés et moi les deux vodkas, qui m’avaient un peu cassée mais bien remontée. Sur le chemin, les écouteurs dans les oreilles, je dansais presque en marchant, sous l’œil amusé de ma nouvelle copine. « Sun Is Shining » chantait le Bob, et c’était vrai. Même quand ça allait mal, le soleil brillait toujours, lui. Et puis, il fallait donner le change, sinon les clients me fuiraient aussi sec.

-          C’est quoi comme musique ? J’veux dire quel genre ?

-          De la musique pour fumer !

Et hop ! Un petit joint qu’on se partagea en écoutant ma musique. Ça me rappela illico les bons moments avec Jenny. Pourtant, même si Coquillette était sympa et cent fois plus fiable que Jenny, je ne voulais plus de cette complicité car l’autre en avait profité pour me rouler. On peut commettre une erreur une fois, mais deux, ça serait abuser.

D’habitude, j’ai vraiment l’air d’attendre le bus, mais avec ce maquillage outrancier, les voitures ralentissaient plus souvent pour voir qui j’étais. Une curiosité malsaine : alors que j’avais l’impression de ressembler à la femme de Frankenstein, mes bobos semblaient attractifs. Les hommes ont vraiment des goûts pas très catholiques, je trouve ! Cependant, je ne fis aucun effort pour choper des clients, je n’en avais pas envie, je crois que j’avais eu ma dose en émotions fortes. Et puis, la compagnie de Coquillette me suffisait…

Ce qui était vraiment chiant, c’est qu’on ne pouvait pas rester assises. Il fallait tout le temps s’approcher et se positionner debout sur la piste cyclable. Pas de problème au début de la nuit, mais ça se gâtait ensuite, j’avais les jambes gonflées à la fin du service J’avais l’air d’aller mieux, mais le triomphalisme que j’affichai depuis plusieurs semaines avait été allègrement piétiné par ce sale type et ma connerie.

*Verlan du mot : Africains

 

Didier Kalionian - Le Blog Imaginaire (c) 2021

Copyright photo Didier Kalionian "Abribus" instagram (c) 2021

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