Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Didier K. Expérience
8 août 2021

Bouche-à-nœuds E.28/35

Bouche-à-noeuds

J’étais rentrée à la maison mettre mes achats à crédit au congélateur, sous les yeux éberlués de ma mère. Elle ne s’attendait pas à ce que je revienne victorieuse aussi vite, pensai-je. Cependant, on n’allait pas crier cocorico bien longtemps : les infos de cet après-midi avaient livré les premières conclusions de l’enquête sur le chantier d’hier soir. Ma mère en était toute tourneboulée.

La télé était allumée sur BFM, comme d’habitude.

-          Regarde le bandeau qui passe en bas de l’écran ! Lis-le bien, ma fille !

Je lus à voix haute ce qui était inscrit pendant que ça défilait.

-          Alerte info ! Une des deux victimes du chantier du quartier d’Ovalie à Montpellier, serait une prostituée notoirement connue des services de police, ce qui porterait à trois le nombre de prostituées assassinées en un mois dans cette ville. Sûrement l’œuvre d’un déséquilibré, voire d’un serial-killer.

-          Tu te rends compte ? N’y va plus, c’est trop dangereux. Je t’en conjure, reste à la maison, ma fille.

Bon, bien évidemment, je le savais, mais je ne pouvais pas faire autrement que d’être sidérée.

-          Putain de merde ! Sait-on qui est la victime ?

-          Non, ils ne l’ont pas dit, mais on le saura bientôt ! Ça c’est sûr ! … Alors, comment te sens-tu ?

-          C’est dur à encaisser, mais je ne vais pas me terrer à cause d’un maboul frustré.

-          C’est-à-dire ?

-          Je sors ce soir, je me sens mieux, donc, je vais retourner sur le tarmac.

-          Mais tu es une vraie tête de pioche, ma parole ! C’est trop dangereux. Marly, non !

Je rompis la conversation, ce n’était plus la peine de commenter. Ma mère me faisant son grand numéro de poule couveuse qui me réjouissait dans un sens, mais qui me gonflait dans l’autre. J’avais décidé d’y retourner après mon rendez-vous galant avec Régis. Fallait que je tâte le terrain, que je sache ce qu’en pensaient les autres filles.

Puis ma mère vint me rechercher pour voir le décrochage régional sur BFMTV :

-          Rachid M’Barki avec le capitaine Alesi de la SRPJ de Montpellier. Vous avez des infos concernant le développement de l’enquête me semble-t-il.

-          Affirmatif ! Si une des victimes a été tué par balle, l’autre l’a été par un coup de couteau porté à la gorge, vraisemblablement par la même arme qui a tué le Père Arnaud et les deux autres personnes sur l’avenue d’Assas. Donc, vraisemblablement par la même personne également. Ce qui veut dire : que si on a un déséquilibré qui tue des prostitués, on a peut-être aussi un vengeur. Ce qui accréditerait la thèse du règlement de compte par bandes rivales interposées pour le contrôle de secteurs liés à la prostitution et au trafic de drogue. Reste à comprendre les liens entre toutes ces personnes, car dans cette hypothèse, que viendrait faire le Père Arnaud ?

-          Des prostitués, un curé ! Une histoire de mœurs sordide peut-être ? répondit le journaliste sardonique.

-          A ce stade de l’enquête, nous n’en savons rien. Toutes les personnes susceptibles d’avoir approché le prêtre de près ou de loin ces dernières 72h, sont actuellement entendues dans nos locaux.

-          Ce peut-il également que la personne égorgée, soit ce serial-killer ?

-          Nous en doutons fortement. Cette personne était plutôt connue pour des vols à la tire, voire des vols de scooters, mais pas pour des affaires de ce genre. Et puis, il est fortement suspecté d’être à l’origine de la mort de la seconde personne… Sans aucun doute, il y en avait au moins une troisième cette nuit-là.

-          Merci capitaine ! C’était Rachid M’Barki en direct de Montpellier pour BFM mène l’enquête !

Intéressant ! Mais ces personnes n’étaient pas toutes interrogées, puisque je ne l’étais pas, moi. Affaire à suivre !

-          Alors, t’as vu ? On a deux dingues qui courent dans la ville, maintenant ! Je t’en supplie, Marly, n’y va plus. Reste à la maison !

Moi, j’étais prête pour mon rendez-vous romantique à l’arrière du quai de déchargement. Car Business is business, comme on dit ! Et les affaires reprenaient now !… J’en savais assez pour me tranquilliser. Cependant, je devais admettre que les flics avaient fait de gros progrès, sauf pour Gina, là pas de nouvelle ! Le jeu semblait se resserrer dangereusement autour de mon cou ! Je sentais presque le gibet de potence se rapprocher de plus en plus. Mais ce jeu était excitant, quelque part.

J’arrivai comme une fleur sur le parking du Carrefour City à l’heure convenue. Je trouvai sans problème la direction des quais où je me garai. Effectivement, l’endroit était désert, pas un chat ne trainait, pas même le Régis. Je fumai négligemment une clope tout en chantonnant « Three Little Birds », ma chanson préférée de Bob. Je me sentais légère, pourtant il n’y avait pas de quoi. Mais bon, ce soir, j’allais reprendre du poil de la bête, ou des poils à la bête !

Bob Marley résonnait en sourdine dans la voiture quand le gérant se pointa enfin ! Manifestement, il avait déjà terminé son service, mais il accusait la fatigue de la journée, ça promettait ! Bon, c’est bien d’avoir une carcasse de rugbyman, encore faut-il la trainer. Il avait la démarche lourde d’un pachyderme qui fonce dans la savane.

Sans plus de cérémonie, il s’installa sur le siège passager et mit la ceinture de sécurité.

-          Où va-t-on ? dis-je surprise.

-          Pas très loin. On va juste changer de parking. On va aller sur celui du Pôle emploi, c’est à deux cents mètres à vol d’oiseau.

Quelque chose n’avait pas l’air d’aller, son visage était fermé. Peut-être m’en voulait-il pour mon esclandre de l’après-midi ? Pendant les quelques minutes que durèrent le trajet, Régis ne prononça pas un mot, ne desserra pas les dents. La musique chaloupée de Bob Marley paraissait incongrue dans cette ambiance de cimetière.

Effectivement, il n’y avait aucun autre véhicule à cette heure-ci, mais Régis m’indiqua quand même l’endroit où il voulait que je me gare, c’est-à-dire, près du camp des Roms. Il débloqua sa ceinture de sécurité et ouvrit la portière. Son mutisme avait entrainé le mien, mais je ne savais pas s’il fallait s’en inquiéter… Une odeur de plastiques brulés et de substances diverses empuantaient l’air. Les cheminées qui sortaient des baraquements en taule tels des périscopes, crachaient une fumée noire et âcre. A première vue, on était plus proche de la décharge publique que du campement de scouts. Comment des gens pouvaient-ils vivre dans une merde pareille ?

Le paradoxe amusant, c’est que le Pôle emploi jouxtait cette poubelle à ciel ouvert, seulement séparé par un chemin de terre. Comme si ces baraques étaient l’étape suivante quand on tombait en fin de droits.

-          Qu’est-ce qu’on fait là ?

Régis ne répondit pas, mais s’engagea imperturbablement sur le petit chemin qui menait soit vers un petit parc privatif, soit vers l’entrée du camp. N’étant pas une adepte des mystères, je commençai à discerner qu’un mauvais plan se préparait. Aussi, je me saisis discrètement de mon cran et le fourrai dans ma poche arrière. Si je ne connaissais pas déjà Régis, jamais je ne l’aurais suivi dans un endroit aussi glauque.

On se retrouva derrière le campement, à l’ombre de hauts buissons : voulait-il faire ça en pleine nature ? C’était loin d’être bucolique et romantique, mais à part l’odeur des fumées, nous étions seuls.

-          Tu veux qu’on s’allonge sur l’herbe ? demandai-je anxieuse.

Et là, comme si la foudre divine m’était tombée dessus, j’ai reçu son poing en pleine figure !

-          Mais tu vas la fermer ta putain de gueule ? Ce n’est pas possible d’être aussi bavarde ! Tu parles toujours pour ne rien dire, ma parole.

Le choc me fit détaler en arrière de plusieurs mètres, je ne tenais plus sur mes guiboles. J’avais l’impression que toutes les étoiles de la galaxie dansaient devant mes yeux, et j’eus soudain atrocement mal à la mâchoire. Je ne savais plus ce qu’il fallait faire.

Régis m’attrapa par la gorge, je sentis sa grosse main m’agripper et je vis sa bouche approcher de la mienne, qu’il embrassa vigoureusement. Puis il me força à m’abaisser, je me retrouvai sur les genoux, soumise et toujours sonnée. Il me tenait par la nuque et me maintint plaquée contre sa braguette. J’essayais de résister en vain quand une gifle magistrale me décolla la tête en arrière, me faisant chuter sur le cul. Je sentis mon cran me heurter la fesse et se rappeler à mon bon souvenir. Régis me souleva comme une poupée désarticulée pour me remettre face à sa braguette. Et là, une autre gifle me fit dégringoler sur l’herbe… puis plus rien. Ecran noir…

Quand je me suis réveillée, la nuit commençait à tomber, donc il ne devait pas être loin de 22h. La première chose que je vis, fut un cercle de têtes avec des bouches édentées.

-          Hey madame ! Madame, tu vas bien ?

-          Qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce que je fais là ?

-          On ne sait pas, madame ! On vient de te trouver devant le camp.

J’avais atrocement mal au crâne. Comme si je l’avais cogné contre un mur pour le faire exploser. Les têtes s’écartèrent et je pus en distinguer au moins trois : une appartenant à un homme et deux de vieilles femmes. Mon short était baissé à mi-cuisses, mon t-shirt déchiré au niveau des seins. Une des femmes me couvrit d’une couverture tout en houspillant l’homme qui s’en alla sans dire un mot. J’entendis des murmures derrière moi, je supposai qu’il y avait du monde qui nous observait.

-          Le spectacle n’est pas beau, pas pour les hommes… Quelqu’un t’a attaquée et t’a frappée ! Mais ce n’est pas nous. Je le jure devant Dieu ! Ma pauvre ! Qu’est-ce qui t’ont fait ! Quel malheur ! Jésus, Marie, Joseph ! Quel malheur ! répéta-t-elle en se signant plusieurs fois.

Le souvenir me revint en boomerang : le Pôle emploi, le camp des Roms, Régis, les coups ! Ah, ce salaud de Régis ! D’après l’état de mes vêtements, il avait dû abuser de moi, cette enflure ! … Les deux femmes m’aidèrent à me relever. Je sentis mon cran dans ma poche arrière : cette fois-ci, il n’avait servi à rien.

-          Si toi appeler la police. Ce n’est pas nous ! Toi comprendre, hein ? Da bine ? *

-          Merci pour votre aide. Je sais que ce n’est pas vous. Ne vous inquiétez pas.

Je me tins debout encore flagada, enroulée dans la couverture qui puait le moisi, mais comme j’étais à moitié nue, c’était mieux que rien.

-          Tu peux marcher ?

-          Je crois que oui. Je vais reprendre ma voiture. Merci pour tout.

Je récupérai mon sac, rien ne manquait, les Roms n’en avaient pas profité pour me voler. Je retrouvai mes clés de voiture, c’était le plus important.

*Oui d’accord, en romanès.

 

Didier Kalionian - Le Blog Imaginaire (c) 2021

Copyright photo Didier Kalionian "Abribus" instagram (c) 2021

(Si cette histoire vous a plu, n’oubliez pas de liker. Merci. Retrouvez la communauté des lecteurs sur Facebook, DKalionian BlogImaginaire)

Publicité
Publicité
Commentaires
Didier K. Expérience
Publicité
Archives
Newsletter
12 abonnés
Visiteurs
Depuis la création 21 580
Publicité