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Didier K. Expérience
23 juillet 2021

Bouche-à-nœuds E.12/35

  

Bouche-à-noeuds

Ma mère s’était inquiétée de ne pas me voir rentrer plus tôt. C’est vrai, j’aurais pu la prévenir, mais j’avais envie de savourer mon moment de tranquillité sur la plage sans interférences. Mais elle se calma dès que je lui allongeai les talbins durement gagnés sur la table. C’était bien ma mère, mais c’était aussi une vraie mère-maquerelle, avec le portefeuille à la place du cœur, parfois…

En fait, je ne pensais qu’à la façon dont j’allais régler le problème « Gina ». Je n’allais quand même pas lui envoyer des fleurs avec une carte de regret. Mais un texto d’excuses s’imposait.

« Cc Gina, désolée pour la mauvaise humeur de cette nuit, j’étais à cran. Tkt, on est toujours copines. Passe le bonjour à Coquillette et aux filles ».

Fallait faire simple sans faire faux-cul, ce qui n’était pas gagné avec Gina, étant donné qu’elle ne comprenait pas bien les subtilités du langage. Mais j’avais retourné ma phrase dans tous les sens, et envoyé ce qui m’avait paru le mieux. Fallait espérer qu’elle me réponde positivement, car j’avais besoin d’elle pour ma couverture, maintenant.

J’étais fatiguée, mais mon pote Morphée semblait m’avoir abandonnée. Même Mishka, qui s’était installé sur mon lit, me gênait moins que ma mère faisant les cent pas dans le salon : le claquement de ses savates sur le sol avait le don de m’énerver et donc de me laisser éveillée.

Bien entendu, la réponse de Gina n’arriverait pas tout de suite. Elle assumait une double journée et elle me ferait sûrement galérer, rien que pour avoir le plaisir de se vanter d’avoir eu raison. Mais j’étais certaine qu’elle me pardonnerait.

En revanche, au moment où mes paupières faisaient enfin la fermeture, j’ai reçu un texto de Jenny qui m’annonçait qu’elle ne viendrait pas ces prochaines nuits parce qu’elle avait ses règles et qu’elle serait indisponible pour trois jours, au minimum. S’il n’y avait que les règles, ça pourrait aller, mais l’alcool n’aidait pas non plus : fallait vraiment qu’elle y aille mollo sur tout, en fait. J’imaginai aisément sa tête d’ourse mal léchée se tournant et se retournant dans sa couche en attendant que passent ses problèmes de jeune fille en fleur. D’ailleurs, fallait aussi que je surveille les miennes car elles ne tarderaient pas à venir aussi, m’obligeant à rester à la maison avec ma mère : putain, la double guigne !

Bon, pas grave pour Jenny, je gérerais seule notre petite cour des miracles.

J’allais d’ailleurs me rendre compte de ce que le mot « gestion » voulait dire car ce travelot de Gina, qui elle, n’avait jamais de problèmes avec ses règles, ne me répondit pas. En revanche, elle serait bien dans son abribus, avenue d’Assas la soirée suivante. J’étais certaine qu’elle serait accompagnée de ses copines Roms, mais je ne me doutais pas qu’elles viendraient à six au lieu de trois : une sorte de détachement de l’armée mexicaine, quoi. En les voyant, je sentis une haine sourde monter en moi, cependant il fallait que je reste calme, mais j’étais vénère.

Non seulement, il y avait une contrepartie, mais en plus l’Albanaise nous la mettait bien à l’envers et profondément. Je réglerais ça plus tard, me dis-je. Pour le moment, il fallait se débarrasser des six pétasses.

Gina entreprit même de toutes me les présenter comme à la parade : Sara, Cynthia, et Léonta que je connaissais déjà, et trois autres sosies sortis du même moule, Perla, Zorita et Zymme. Les sept filles piaffaient toutes en même temps. Ce qui m’étonnait, c’est que Gina semblait les comprendre malgré leur accent et leur brouhaha continuel. En tout cas, elle savourait ce moment comme une grande meneuse de revue au Crazy Horse.

-          Tu parles le roumain, en plus ? dis-je étonnée.

-          Ben, non ! Gé parlé fransé avec elles. Porqué ?

Gina ne cessait de m’épater, même si je doutais de ce qu’elles comprenaient vraiment.

-          Coquillette n’est pas là ? dis-je ironiquement.

-          Inquiète-toi pas trop pour elle ! Elle venir plus tard.

Puisque tout le monde parlait soi-disant la même langue, j’entrepris d’expliquer aux filles simplement la situation actuelle, soit le sanglant fait divers des jours passés, le rodeur qui butait des filles, et la police qui ne manquerait pas de nous surveiller, voire de nous arrêter, mais ça ne sembla pas les impressionner plus que ça. J’oubliai volontairement l’histoire des bandes rivales qui voulaient se venger, pas tout le même jour, me dis-je… Du coup, j’embrayai sur le lieu où elles devraient se placer sur l’avenue d’Assas, voire jusqu’au rond-point du Père Soulas, et surtout après le carrefour Henri Marès / Père Soulas en direction du bâtiment du Century 21, là où il y avait d’autres abribus. Et bien sûr finalement, elles me firent des yeux tout étonnés, plus ronds que la poule devant la hache du boucher : quoi qu’elles eussent sûrement le QI un peu plus élevé que celui d’une basse-cour, mais guère plus.

Puis, comme l’apparition de la Vierge à Bernadette, Gina se révéla aussi interprète avec son charabia, et ô miracle, elles s’accordèrent. En tout cas, elles se levèrent toutes d’un bond, ramassèrent leurs affaires et quittèrent notre abribus. Et comme les femmes africaines dans la savane, elles partirent en file indienne en direction du rond-point du Père Soulas. Ce n’était pas très discret, mais on n’était plus à ça près. Enfin, elles nous débarrassaient le plancher, ce n’était pas trop tôt. Resterait à m’occuper de la Lady Gaga des Balkans ensuite…

Je n’avais pas encore statué sur ce qu’il conviendrait de faire. J’avais moi-même introduit le ver dans le fruit, et pour l’en extirper, ça allait être coton. Bien évidemment, je ne pouvais pas expliquer à Jenny les vraies raisons de tout ce chamboulement, mais je savais qu’elle me soutiendrait pour trouver une solution. Notre escapade d’une seule nuit sur l’avenue de Toulouse l’avait dissuadée d’abandonner notre terrain : on était tranquille à Assas et on maitrisait bien le secteur.

En attendant le Grand Remplacement, il fallait supporter cette réelle nouvelle concurrence qu’on ne pouvait pas freiner : l’espace était quasiment libre, seulement occupé par des filles rebeus, à la limite du carrefour Henri Marès / Voie Domitienne. Là, un terrain de pétanque servait de plateforme pour choper les clients en voiture ou à pied.

Coquillette nous rejoignit un peu avant minuit, elle s’installa directement avec Gina, me laissant seule sous mon abribus. Elle fut à peine cordiale, me saluant d’un signe de la main. Je pense qu’elle n’avait pas dû apprécier notre départ en trombe d’hier soir. Bon, on rendait le service comme convenu, mais sans en faire plus… Contrairement aux petites Roms qui découvraient les contraintes de notre avenue, Coquillette connaissait tout par cœur, cependant ça ne l’affectait pas plus que ça. Je ne savais pas encore s’il fallait attribuer ce j’m’enfoutisme à la fatalité de la vie, ou à une naïveté à toute épreuve, ou bien à une grande force de caractère. Je ne m’attardais pas trop sur ce genre de réflexion, car mon but était quand même de m’en débarrasser, pas de les comprendre.

Le premier test grandeur nature eut lieu une bonne demi-heure après le départ des Roms : une patrouille de la police-municipale débarqua depuis la rue Pitot, gyrophares éteints, sans tambour ni trompette ; dans un moment d’une rare lucidité, Gina sonna l’alarme la première. Le temps que les flics passent les feux rouges, elle et Coquillette s’étaient cachées derrière les platanes. Quant à moi, je me mis à l’abri derrière le parking de la boulangerie Paul, du côté de l’avenue de la Gaillarde, accroupie entre deux voitures. Et puisque j’étais déjà en position, j’en profitai pour faire mes besoins. Eh oui, on n’a pas les toilettes, nous ! … La patrouille remonta tranquillement notre avenue sans se presser, s’arrêtant quelques secondes au niveau de l’église. Toutefois, personne ne descendit. Ils reprirent leur route tout aussi tranquillement. On n’allait pas tarder à savoir comment les petites Roms s’étaient comportées devant ce premier danger. Nul doute qu’elles contacteraient Coquillette pour avoir des nouvelles. D’ailleurs, j’étais certaine que cette dernière avait textoté quelque chose pour les avertir. Mais on ne change pas la nature des gens comme ça : elles étaient si distraites et bordéliques, que je ne voyais pas comment elles feraient pour ne pas se faire repérer.

Apparemment, la police était passée sans déranger personne. C’était trop beau pour être normal, mais je me gardai bien de révéler mes pensées, je comptais aussi sur la police pour me débarrasser des sept transfuges. J’avais semble-t-il, pas mal d’atouts dans mon jeu, mais je n’avais pas l’impression de maitriser quoi que ce soit.

 

Didier Kalionian - Le Blog Imaginaire (c) 2021

Copyright photo Didier Kalionian "Abribus" instagram (c) 2021

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