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Didier K. Expérience
18 juillet 2021

Bouche-à-nœuds E.7/35

 

Bouche-à-noeuds

Je restai prostrée près de la voiture quelques minutes, laissant la tension redescendre. Après une telle course, il fallait que je reprenne mon souffle et surtout mes esprits. Les voisins aux alentours ne réagissaient plus, le calme avait repris ses droits dans cette avenue. La nuit poisseuse finissait tranquillement, balayée par un petit vent tiède.

Fallait vraiment que je me bouge, maintenant. La première chose fut d’astiquer la poignée de la portière : je l’avais sûrement touché puisqu’elle était refermée, et par acquis de conscience, je fis un peu de ménage… Je me rajustai tant bien que mal, puis je m’inspectai rapidement. Sous la lumière de la nuit, pas facile pour repérer les traces de sang sur moi, mais à première vue, c’était bon. J’essuyai ma lame avec un kleenex que je gardais dans mon sac, je le jetterais plus loin.

Deuxième chose : retourner dans la rue des Roses, voir si l’autre y était toujours. En me déplaçant, j’eus l’impression d’être observée, mais ma parano devait sûrement être à un niveau maximum. Je restai prudente, toutefois… De la voiture à cette rue, il n’y avait pas plus de cents mètres, et de l’angle, je vis le corps étalé sur le dos, raide comme la justice gisant sous le lampadaire. Pas besoin de m’approcher pour savoir s’il était bien mort, l’égorgement ne pardonne jamais. S’il n’avait été que blessé, il serait déjà loin. Quelque part, j’étais rassurée.

Je quittai le coin de la rue des Roses et de l’avenue d’Assas en pressant le pas : direction le parking des Arceaux… Quelque chose avait bougé de l’autre côté de la rue, tout prêt de l’église. Peut-être que le vent me jouait des tours ? Je me dépêchai, j’avais suffisamment mis le brol* pour cette nuit, ça serait bien pire quand les deux corps seraient découverts.

Je montai en voiture, payai le parking et je détalai quasiment en trombe, direction l’avenue de la Liberté. Pendant que je roulais sur ce qu’on appelle par ici, le periph’ de Montpellier, quasi désert à cette heure-ci, je repensai au travail que je venais d’effectuer… J’avais à peine ramassé de quoi rembourser l’ardoise du Carrefour Market. Mais j’avais liquidé deux racailles misogynes. Je devenais bien meilleure pour occire que pour tapiner. Allais-je enfin avoir un problème de conscience si je continuais à réfléchir de la sorte ? Car parait-il : « Les femmes, ça ne pense pas, ou alors ça ne pense à rien ! ». Cette phrase qu’un imbécile de client m’avait sortie un jour, me revenait en tête tout d’un coup ! Pas de doute, j’étais bien une femme, mes boobs** remuaient toujours autant quand je bougeais, même en conduisant ils ne restaient pas en place. Etaient-ils connectés à mon cerveau ?

Visiblement, des neurones étaient en train de me pousser et je faisais mentir cette stupide phrase. Etais-je en train de passer de la gourdasse d’élevage à l’Amazone, libre et conquérante ? Drôle de mutante ! Car s’il fallait égorger tous les relous de la terre, j’allais avoir subitement beaucoup de boulot. Et pour l’instant, c’était encore très mal payé.

Bon ! Trêve de réflexion sur la réflexion. Avais-je merdé quelque part ? Car cette fois-ci j’avais officié sur mon terrain, et les conséquences pleuvraient dru dès le lever du jour. Pour l’instant, j’avais beau chercher, je ne décelais aucune erreur.

J’arrivai comme une fleur à la maison, surexcitée. Fallait que je me calme, car d’habitude j’étais plutôt harassée en rentrant du boulot. Ma mère, miraude mais pas crétine, trouverait ça louche et comme je la connais, elle me torturerait en me posant mille questions. J’avais un secret que je ne pouvais pas partager, même pas avec mon oreiller. Malheureusement, les secrets finissent toujours par être divulgués.

Je déposai les deux cents euros péniblement gagnés cette nuit, sur la table de la salle à manger, et je filai rapidement dans ma chambre. Là, j’inspectai méticuleusement toutes mes fringues, et manque de bol, mon short en jeans était taché de sang par endroit. Et le sang, ça s’incrustait bien sur ce genre de toile. Merde ! m’exclamai-je. Tant pis, faudra que je m’en débarrasse dès mon lever, tout à l’heure… Ma mère dormait, je l’entendais ronfler clairement : entre ça et le moteur du ventilo, j’étais gâtée. Seul le chat, bien éveillé, savait ce que je tramais. Mais c’était un chat, et je pouvais compter sur son silence !

J’étais encore nerveuse, mais bien moins que dans la voiture, le contre-coup sûrement. Je me déshabillai intégralement et me couchai de suite. A peine la tête posée sur l’oreiller que mon pote Morphée vint me souffler un vent léger à base de CBD*** pour m’endormir.

Je ne savais plus vers quelle heure je m’étais couchée, mais j’avais très mal dormi. Comme d’habitude, le son de la télé me réveilla. J’avais envie de « massacrer » ma mère dans ces moments-là ! Comment pouvait-elle écouter aussi fort la télé ?

Je me levai de mauvaise grâce. Le lundi, c’est toujours le remake du « retour de la momie » tellement j’avais la tête en vrac.

-          Maman ! Tu ne peux pas baisser le son, non ? J’ai bossé cette nuit, moi ! Je suis crevée !

-          Je sais ma chérie, mais ça te concerne, là !

-          Quoi ? Mais qu’est-ce que tu racontes ?

Ma mère était bloquée sur les infos de BFMTV qui avait dépêché un reporter sur les lieux d’un crime atroce. Et en lisant le bandeau qui défilait en bas d’écran, je pus lire, circonspecte : « Alerte info, Montpellier, règlement de comptes au couteau, crimes sanglants ».

Waouh ! Ça devenait du sérieux, mon affaire ! Du coup, je restai avec elle pour écouter la suite… Avec BFMTV, on n’était jamais déçu sur ce qu’ils ne savaient pas. En fait, ils ne savaient quasiment rien, mais ils extrapolaient à volonté sur des détails insignifiants, et ça pouvait durer des heures, un vrai brassage d’air en cette période d’été. Bon, c’était aussi un fait divers qui se mélangeait aux autres encore plus sordides en France. Des fois, j’ai l’impression qu’on n’a jamais quitté l’âge des cavernes, tellement il se passe des choses étranges dans ce pays et dans le reste du monde. En tout cas, si c’est ça la civilisation, on n’est pas encore tiré d’affaire ! On patauge même dans une sacrée mélasse !

Bon ! C’était un soi-disant règlement de compte entre bandes rivales, les deux gars égorgés étaient bien connus des services de police, pouvait-on entendre. D’ailleurs, la police recherchait activement des témoins. J’avais rendu service à la société, alors ? Je me sentis pousser des ailes, j’avais l’impression de décoller. Cependant, il me fallut redescendre sur Terre aussi sec. Car si c’était un règlement de comptes, leurs copains ne tarderaient pas à rappliquer pour se venger, et ça, ça n’allait pas du tout dans le sens de nos affaires, à moi et à mes copines de chantier.

-          Tu te rends compte ? Ça s’est passé avenue d’Assas ! Tu n’as rien vu ?

-          Maman ! Tu crois que ça se serait bien passé pour moi, si j’avais vu quelque chose ? mentis-je. Réfléchis un peu ! Parfois, ça me désole d’être ta fille unique !

-          Moi je tremble pour toi, et toi tu te moques !

-          Tu ne trembles pas pour moi, mais pour l’argent que je dois te ramener ! Pour ça, oui, tu t’inquiètes ! D’ailleurs, j’ai bien vu que tu avais empoché les billets, ils ne sont plus sur la table.

Ça y est ! Elle me faisait ses yeux de biche implorants censés me faire craquer ! Mon Dieu que je la détestais quand elle me prenait par les sentiments. Fallait toujours qu’elle veuille me faire culpabiliser. La culpabilité n’était plus de mon ressort, mais de Jenny et de son curé libidineux.

-          Et puis, tu n’es pas ma fille unique. Mishka est ton frère aussi. Ne l’oublie pas.

-          Maman ! Mishka n’est pas mon frère, c’est un chat ! soupirai-je.

Trêve de balivernes, il fallait que je réactive mes neurones, et en vitesse. La police allait tourner dans le secteur pendant un bon moment. Donc, on ne pourrait plus tapiner dans le coin sans se faire alpaguer. Ah, la guigne ! m’exclamai-je.

-          A quoi tu penses ?

-          Je pense qu’on ne va pas pouvoir retourner avenue d’Assas. Et qu’on n’aura pas le choix d’aller avenue de Toulouse avec ces teubées de poufs de Roms.

Ma mère avait interrompu momentanément le cours de mes réflexions avec ses bêtises, mais il fallait que j’envoie un texto à Jenny et à Gino leur demandant de regarder les infos sur la chaine en continu. Je n’allais pas être déçue de leurs réponses…

*Brol = argot belge, mettre le bordel.

*terme anglophone = nichons

***CBD, cannabidiol, substance dérivée du cannabis ne contenant plus de psychotrope.

 

Didier Kalionian - Le Blog Imaginaire (c) 2021

Copyright photo Didier Kalionian "Abribus" instagram (c) 2021

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