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Didier K. Expérience
16 juillet 2021

Bouche-à-nœuds E.5/35

Bouche-à-noeuds

Mishka ronronnait dans son panier sans s’occuper du reste du monde, et après avoir mangé, il avait l’air de cuver. Mishka était un gros chat noir dont l’origine était incertaine, que ma mère gâtait plus que de raison. Il était apparu un jour dans le jardin, puis il était resté, ma mère le nourrissant quotidiennement. Elle avait trouvé là un compagnon qui ne la contredisait jamais et qui l’écoutait jusqu’à l’écœurement. Aucun être humain normalement constitué n’aurait pu supporter sa logorrhée permanente, mais Mishka oui ! Mon père ne supportant pas grand-chose, parait-il, nous avait quittés très tôt et très vite. Et de ce point de vue, je ne le blâmais pas. Sa disparition cessa de me traumatiser le jour où je compris que les hommes n’étaient que des bons à rien et qu’on pouvait largement se passer d’eux. Comme je ne comptais pas me reproduire, je ne perdrais rien. Et puis, des hommes, j’en voyais toutes les nuits et ils étaient vraiment tous faits pareil, sauf la taille de leur engin qui était souvent proportionnelle à leur connerie. Alors ma mère et ce chat me suffisaient largement.

Notre greffier partageait son temps entre la sieste, manger, et courir la gueuse. Fallait voir toutes les chattes en chaleur miauler sous nos fenêtres l’été, voire qui attendaient le divin matou à la grille du jardin le soir venu. A croire qu’il n’y avait qu’un seul mâle dans le quartier pour s’occuper de toutes ces chaudasses à contenter. Lui s’amusait, mais certains propriétaires des chattes venaient aussi nous reprocher de ne pas tenir suffisamment en laisse notre reproducteur olympique, qui devait être le géniteur d’un bon millier de chatons, qui finissaient inexorablement dans la cuvette des WC.

Mishka ne m’aimait pas car je ne m’occupais jamais de lui : il me le rendait bien puisque dans mes moments d’inattention, il venait me griffer le bas des jambes, le saligaud. Ça faisait belle lurette qu’il n’y avait plus d’homme à la maison, mais ce chat représentait toute la gent masculine dans son intégralité. Fainéant, affamé et libidineux, voilà ce qu’on pouvait dire de lui et des autres sans se tromper. Mais ce mâle-là, je le supportais volontiers, c’était bien le seul, d’ailleurs. A choisir entre mon fuyard de père et Mishka, il n’y avait pas photo, je prenais le chat. Ma mère et lui étaient toute ma famille, sauf que le félin ne ramenait pas d’argent à la maison, mais des paquets d’emmerdes quand ces dames étaient en chaleur.

Il y avait fort à parier que dans les 150€ que je devais ramener, plusieurs dizaines seraient attribués à l’achat de croquettes, mais c’était okay pour moi.

Mishka s’était machinalement installé dans mon lit encore tout chaud, mais il devrait aller voir ailleurs maintenant, parce que j’y retournais pour au moins deux heures, et seule.

-          La putain de ta race d’enculé de saleté de chat ! Dégage de mon plumard.

Généralement, l’indolent matou sursautait comme s’il avait reçu une décharge électrique, puis décampait avec des miaulements suraigus. Là, je savais qu’il me haïssait, mais moi ça me faisait doucement rigoler, c’était ma petite vengeance. Ma mère prenait sa défense immédiatement après :

-          Marly ! Tu n’as pas honte de faire peur à cette pauvre petite bête sans défense ? Ma bébête, mon pauvre Minoshka, mon mimi à moi ! Viens mon doudou d’amour, mon Mishka ! Viens voir ta maman !

Et le chat se refugiait entre ses jambes pour réclamer des caresses, comme tous les hommes, quoi !

Sinon, ma mère avait une autre astuce imparable : elle agitait une boite de croquettes, et il détalait sur le champ, alléché par le bruit et la promesse d’un repas facilement gagné. Ensuite, il ronronnait dans les bras de sa pourvoyeuse, comme payement de sa gratitude soi-disant infinie.

Avant de m’endormir, j’envoyai un texto à Jenny pour la prévenir que je serais à l’abribus cette nuit. Puis, je m’allongeai, et irrémédiablement je sombrai dans les bras de Morphée : je n’ai jamais connu d’homme avec un prénom aussi féminin, tu parles que j’étais bien dans ses bras. Enfin ! C’était un rêve, pas une réalité. Dans ma vraie vie, les hommes se rapprochaient plus des mythos que des mythes.

Je me levai toujours de mauvais poil, surtout que dans cette deuxième partie, je somnolais plus que je ne dormais. Sinon, je restais molle toute la nuit et les hommes détestent les filles sans énergie… Machinalement, je regardai mon portable : je n’avais aucun message, rien sur Tinder, même pas de Jenny. Bon, pas grave, cette grosse dinde devait encore en écraser, elle me répondrait sûrement plus tard.

L’après-midi, la télé tournait non-stop, c’était la présence dont ma mère avait besoin pour se sentir moins seule. A cette heure-là, soit on se tapait Drucker, soit c’était BFMTV. On avait le choix entre le mort-vivant ou le robinet à ragots ininterrompu, sauf par la pub. Mais j’aperçus ma mère plantée devant, comme tétanisée.

-          Alors, les nouvelles sont bonnes ? dis-je narquoise.

-          Chut ! Tais-toi, donc ! Ils ont retrouvé un cadavre atrocement mutilé sur le parking de la piscine à la Mosson.

« Mais c’est mon cadavre ! » m’exclamai-je mentalement mais fièrement ! Bon, « atrocement mutilé », là, je n’étais pas trop d’accord. La balafre était nette et propre, du beau boulot, quoi ! L’enquête démarrait soi-disant : ça me laissait du temps pour apprécier leurs capacités à tourner en rond car sans témoins ni caméras, ça serait vite classé. Cependant, ça passait à la télé et sur BFMTV, en plus. Qui aurait cru que pour une première, ça serait une réussite complète. Quelque part, j’étais contente de moi. Je méritais des acclamations.

-          Ouais et alors ? dis-je.

-          Un règlement de compte, ou un truc dans le genre, ils n’en savent rien pour l’instant, la police mène l’enquête. Le type aurait été égorgé ! Tu te rends compte ? Quelle horreur ! Cette ville devient de plus en plus dangereuse, c’est Chicago, quoi !

-          N’exagère pas ! Un dealer de moins, voilà tout ! Tant que c’est entre eux, on s’en fout.

Ma mère resta dubitative, mais je savais que ce qui la contrariait, c’était la proximité du lieu. Elle était à la fois flattée et choquée. Ce n’était pas tous les jours qu’on passait sous les feux de la rampe. Comme je la comprenais !

Le pire était que je n’éprouvais ni regret ni remords. Moins de vingt-quatre heures après, la magie opérait encore… Ça faisait longtemps que le bien et le mal n’avaient plus aucun sens pour moi. Etant donné le métier que je faisais, j’étais jugée en permanence par ceux qui employaient mon corps, mais aussi et surtout par ceux qui mataient, ceux qui me voyaient sans rien dire, qui déambulaient le long des trottoirs ou qui passaient en voiture. Seul mon miroir aurait pu me juger, comme celui de la sorcière dans Blanche Neige. Le mien restait désespérément silencieux ou bien il ne parlait que par la voix de ma pauvre conscience. Donc, j’étais tout le temps absoute de tous péchés. Je n’allais pas m’emmerder, non plus.

J’adressai un clin d’œil complice à Mishka, mais celui-ci préféra me snober, me montrant son plus beau profil je présume, son arrière-train. La sale bête hypocrite ! Faudra que je pense à lui régler son compte un de ces jours. Mais lui ne passerait pas aux infos, je le craignais ! pensai-je, rigolarde.

Bon, il fallait que je me bouge pour aller bosser. Entre l’ardoise du Carrefour City à régler et les croquettes du chat, j’avais du pain sur la planche.

Ce qui était bien avec l’été, c’est qu’on n’avait pas besoin de beaucoup de temps pour s’apprêter. De toute façon, j’étais censée pouvoir me mettre à l’aise rapidement. Donc, un t-shirt très échancré et un short raz la fouffe pour exciter les chauffeurs du dimanche soi-disant perdus sur l’avenue d’Assas feraient l’affaire. Je me chaussais d’une paire de sandalettes légères. Mon sac à main, des préservatifs, un tube de gel, un paquet de clopes, deux briquets au cas où j’en perdrais un, sans oublier mon cran-d’arrêt magique, qui était en train de faire de moi une star. Je finirais de me maquiller dans la voiture, sur le parking des Arceaux. Un ripolinage en règle tout en ayant l’air de sortir de la salle de bain. Pratique, quoi !

 

Didier Kalionian - Le Blog Imaginaire (c) 2021

Copyright photo Didier Kalionian "Abribus" instagram (c) 2021

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