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Didier K. Expérience
17 janvier 2023

Entretien Sans Freins (Une vraie fausse interview de Jake E. Lee) 17/20

  

Jake E

Pendant que nous nous préparons à sortir, je repense à tout ce qui s’est dit durant ces dernières minutes. Jake m’a paru légèrement excédé par certaines questions, surtout celles qui concernaient les défaillances. Pourtant, je pense avoir été correct là-dessus. Ce qui m’intéressait, était de pointer les bonnes comme les mauvaises choses : je n’avais pas l’intention de tirer sur l’ambulance, comme on dit. Seulement, on ne peut pas raconter une histoire qui ne serait cousue que de fils roses, ça n’aurait pas de sens, et ça sonnerait faux. Jake me l’a assez rabâché, il n’est pas une rock star et ne se comporterait jamais en tant que telle. Une chose que je peux confirmer et affirmer, c’est qu’effectivement, Jake E. Lee n’est pas une rock star en 2019. On dirait un ado américain de 61 ans qui joue encore de la guitare et qui n’aurait pas encore décidé d’entrer dans l’âge adulte. Je ne sais pas encore comment je pourrai transcrire ça, car je vois bien le raccourci que certains lecteurs pourraient faire en disant qu’il n’est pas une star du tout. Et il faut bien que mon article reste intéressant et excitant pour pouvoir le publier.

Bon, « Patina » n’a pas marché malgré d’évidentes qualités. Dix-huit mois après sa sortie, il n’est plus possible de douter, c’est cuit. Si on était encore dans les eighties, soit le groupe aurait enregistré un autre album rapidement, soit ils auraient été éjectés de leur label tout aussi rapidement. Bien sûr, depuis ce temps, le marché a changé, tout le monde le sait, et la durée de vie d’un album n’est désormais plus que de deux mois avec deux choix possibles : soit il marche soit il ne marche pas. Les critères de qualité n’existent plus, seuls les chiffres dirigent ce business. On ne peut plus tergiverser avec eux : les tendances, les chapelles (rock, punk, thrash, metal etc.) ou les rattrapages sur scène n’y peuvent rien : ça passe ou ça casse !

Pourtant, l’album est bon, les chansons sont bonnes, les clips sont superbes, et le groupe est au top. Cependant, le concert raté du Whisky-a-gogo à Los Angeles aura révélé que le chanteur Darren Smith pouvait devenir le maillon faible de la formation. Si Anthony Esposito, le bassiste, et Phil Varone, le batteur, sont des recrues de choix, Darren est souvent en manque de voix, ce qui peut fragiliser et décrédibiliser l’ensemble… Je l’avais déjà vérifié sur You Tube, les fans postant de nombreux extraits de concert. Ce qui est dommage, c’est que Darren a l’air d’un gars plutôt sympa qui s’accorderait bien avec le groupe. Mais s’il doit y avoir une suite aux deux premiers albums, il a intérêt à faire des progrès ou à laisser sa place…

Ce qui ne va plus non plus dans le paysage rock d’aujourd’hui, c’est l’âge canonique de tous les membres du groupe. Ils ont tous la cinquantaine passée, voire plus pour Jake qui affiche au compteur, 61 ans bien tassés. Comme nouveauté, on a vu mieux ! Donc, ce groupe s’adresse majoritairement aux anciens fans d’Ozzy Osbourne et de Badlands, et Jake n’arriverait pas à intéresser de nouveaux fans, malgré la qualité de sa musique. Je pense que ne plus interpréter de titres de l’époque d’Ozzy Osbourne est une erreur, car beaucoup de fans viennent à ses concerts aussi pour les entendre. Mais la vérité est sûrement plus économique que stratégique ou artistique. N’oublions pas que les titres que Jake n’a pas pu signer « Bark At The Moon » ou « Shot In The Dark » ne sont pas libres de droits, et donc Jake devrait payer des royalties à son ancien patron, ce qui est un comble quand on connait l’histoire. Cependant, lors de la très courte tournée US du « Patina Tour 2019 », Jake daignait encore jouer « Spider » en fin de show. Enfin, tout ça je le pense, je ne pourrais pas l’écrire. On verra bien !

Recapitulons ! Jake n’est plus le jeune homme qu’il a l’air d’être, mais quand on sait que son ex boss, Ozzy Osbourne a 71 ans, ça ne devrait pas être un problème. La réelle différence entre les deux, ce n’est donc pas l’âge, mais le fait qu’Ozzy soit toujours une rock star respectée dans le monde entier, toujours en quête des dernières modes, alors que Jake n’est plus qu’un souvenir qui s’accrocherait à un fantasme de monde du rock qui n’a peut-être jamais existé. En tout cas, sa façon d’être et ses façons de faire n’ont pas cours en ce moment dans ce milieu, ça c’est sûr. Tout d’un coup, il me fait penser à un Don Quichotte du rock qui se battrait contre les invincibles moulins à vent des maisons de disques, qui font la pluie et le beau temps dans ce business depuis trop longtemps pour être inquiétés par une ex starlette, qui a eu son heure de gloire dans les eighties.

Cependant, à première vue, Jake n’a pas l’ambition de changer quoi que ce soit, ni même d’essayer, il veut juste jouer sa musique et ne demande aucune faveur particulière, c’est assez rare pour ne pas le mentionner. Jake n’est plus une star, mais un authentique musicien dont l’honnêteté tutoie l’âme, et c’est ce qu’il s’évertue à montrer depuis ses débuts.

Je le regarde se préparer, il me sourit, je ne résiste pas à l’envie de faire un selfie. Je lui demande si on peut immortaliser la rencontre. Il accepte, je suis ravi. Il relève ses Ray Ban qui révèlent ses yeux fatigués, m’attrape par la taille, fait un sourire forcé mais amusant en direction de mon portable : on prend la pose. C’est dans la boîte !

-          Tu sais donc où trouver des clopes ?

-          Bien sûr ! En direction de la Gare de Lyon, on trouvera sûrement un vendeur ouvert.

Jake semble étonné.

Je lui explique qu’en France, tous les magasins ferment vers 18h, au plus tard 20h, mais comme on est dans une zone touristique, on devrait bien trouver quelque chose d’ouvert... Il n’a aucune idée de la distance entre Bastille et Gare de Lyon, mais il n’est pas contre le fait de marcher un peu. Moi, je suis ravi de partager encore un moment avec lui. Je compte bien lui poser encore quelques questions, en « off » toutefois.

On dévale les escaliers jusqu’à la réception où une jeune fille récupère le pass-ouverture. A peine a-t-elle vu le numéro de la chambre qu’elle nous demande de rester un instant, elle a un message à donner à un certain « Jacky Lou Williams » ou « Jake E. Lee ».

-          J’ai un message pour ces deux personnes, c’est bien vous ?

Jake éclate de rire. Il lève la main pour se signaler, elle lui remet le papier en main propre. En attendant, j’explique en français à la gentille et plutôt jeune réceptionniste qui est ce client qui se tient devant elle si simplement. Tout comme le serveur d’hier, elle ne le connait pas du tout, ou croit l’avoir vu quelque part à la télé. En fait, elle ne sait plus, bref, elle ne sait pas.

Jake la remercie, ouvre le pli et lit à haute voix. Les gens de Frontiers Records viendront à l’hôtel sur les coups de 20h comme prévu. Jake explique à la jeune réceptionniste qu’il attend des invités, il lui demande de le prévenir quand ils arriveront. Je m’apprête à traduire en français quand la jeune fille répond directement, et dans un anglais parfait, à notre guitariste américain, qui la remercie chaudement. Je ravale ma langue et me contente de la saluer d’un sourire : ça m’apprendra à me croire indispensable.

Jake lui explique qu’il sort quelques minutes pour aller chercher des cigarettes et que si jamais ses invités arrivent plus tôt, qu’elle les fasse patienter. Elle acquiesce volontiers, moi je me tais cette fois-ci.

Nous sortons de l’hôtel comme deux amis en vacances. L’automne est bien tombé sur Paris, froid, humide et sale. Il est à peine 17h et il fait déjà presque nuit. Jake fourre ses mains dans les poches de sa gabardine, laisse ses Ray Ban sur son front et me suit… Nous marchons boulevard Richard-Lenoir jusqu’à la place de la Bastille : il s’extasie devant la colonne et ne peut pas s’empêcher de la prendre en photo. Il fait même un selfie avec la colonne dans son dos.

-          Je vais envoyer cette photo à ma femme, c’est cool !

Jake m’amuse, il n’a vraiment rien à voir avec les stars blasées de tout, lui ne découvre pas à cet instant, que le monde ne tourne pas forcément autour de son nombril. Il joue les touristes comme ceux qu’on croise sur le trottoir. Moi seul sais sur cette place, que ce type a joué devant les plus grandes foules dans le monde, mais qu’à ce moment précis, ça n’a aucune importance. Alors que son ex patron, Ozzy Osbourne ne se déplacerait jamais sans son staff et des gardes du corps, Jake vit sa liberté de mouvement tranquillement. C’est aussi ça qu’il a retrouvé en quittant le circuit du rock commercial, il est redevenu invisible mais il est libre.

Il me demande quelques minutes pour expédier le message à sa femme qui se trouve à Las Vegas. Comme on n’est vraiment pas loin de la Gare de Lyon, je lui accorde tout le temps qu’il désire, on n’est pas en retard. Il en profite pour photographier l’opéra, en long, en large et en travers. Cette séquence touristique inattendue le détend complètement. Je l’observe, je le regarde évoluer avec les autres touristes avec qui il échange quelques mots. Jake est le type le plus cool qu’il m’ait été donné d’interviewer ces derniers temps.

Après avoir fait ses photos, il revient vers moi. Je lui montre le kiosque à journaux où l’on vend des cigarettes, il s’y précipite.

La transaction ne dure que quelques minutes, il revient vers moi avec un sac en plastique.

-          Je n’ai pas trouvé ce que je voulais, mais j’ai pris des Marlboro lights, ça fera l’affaire jusqu’à ce que je quitte la France, demain.

Il me sourit.

-          Que fait-on ? me demande-t-il

-          Je vais te raccompagner à ton hôtel, dis-je résigné.

De Bastille à son hôtel, le Bastille Excelsior, c’est toujours tout droit, c’est pratique, il suffit de suivre le boulevard Richard-Lenoir, il ne pourrait pas se perdre s’il rentrait seul, mais ça me permettra de discuter encore un peu avec lui.

-          Tu as fait des photos avec ces touristes sur la place ?

-          Ouais, des touristes américains. J’imagine qu’il doit y en avoir des milliers à Paris.

-          C’est cool de pouvoir se mélanger comme ça, sans appréhension, non ?

-          Je vois ce que tu veux dire : tu sais, la célébrité est une drogue, et une drogue puissante, dévastatrice, pire que le crack ou l’héroïne. J’ai la chance de n’avoir pas été contaminé, c’est tout. Même si j’ai côtoyé les plus grandes stars, certaines n’étaient que des trous du cul sur pattes. Ne me demande pas les noms, je ne te les dirai pas… J’ai été plus que vacciné avec Ozzy, même s’il s’est plutôt bien comporté avec moi pendant ces quatre années ensemble. Alors que son entourage pue la suffisance, lui c’est un gentil dingue, marrant au début, difficile à supporter sur la longueur, mais pas méchant. Je préfère largement ma place à la sienne, actuellement.

-          Tu as pu le revoir ?

-          Eh non, mec ! Ni revu ni rien du tout depuis 1987. J’ai bien tenté de discuter avec lui, mais je tombe inexorablement sur Sharon, sa femme …

-          Il a récemment déclaré qu’il voulait remasteriser « The Ultimate Sin », qu’en penses-tu ?

-          Sans blague ! dit-il en riant. Qu’il essaie déjà de me contacter, on verra après… C’est du bla-bla tout ça, mais je n’en ai plus rien à foutre.

-          Tu as quand même des amis dans ce milieu ?

-          Très peu ! A part les mecs du groupe, je ne côtoie personne d’autre. Je ne sors pas, je ne participe jamais à rien, je préfère rester dans mon coin. Je vis à Las Vegas avec ma femme, on est heureux comme ça…

Bon, je n’en saurai pas plus, cette fois-ci l’interview est bien finie. On est finalement arrivés plus vite que prévu devant le Bastille Excelsior, je lui serre la main, il me fait une accolade à l’américaine, me remercie chaudement d’avoir agrémenté son séjour. Je lui promets de lui faire parvenir le magazine dès que l’entretien sera publié. (S’il l’est un jour, bien sûr).

Il passe la porte de l’hôtel, s’y engouffre sans se retourner…

A peine rentré à la maison, mes doigts me démangent, j’ai envie de tout reprendre depuis le début et de tout retranscrire sur mon ordinateur. Je suis pressé de voir le résultat pour pouvoir le présenter lundi… Je sais que Jake E. Lee reprendra l’avion pour Los Angeles demain matin, Paris ne sera plus qu’un souvenir parmi d’autres pour lui…

 

Didier Kalionian - le Blog Imaginaire (c) 2020

Credit photo : Charvel Guitar US (c) 2020

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