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Didier K. Expérience
8 janvier 2023

Entretien Sans Freins (Une vraie fausse interview de Jake E. Lee) 8/20

Jake E

Dès la fin de la tournée, le 19 janvier 1985 à Rio de Janeiro, il était clair que tout le monde avait besoin de prendre des vacances, notamment Ozzy qui était littéralement sur les rotules. Son addiction à l’alcool était telle, qu’il ne pouvait plus envisager de continuer comme ça : il lui fallut donc profiter d’un break pour partir en sevrage au Betty Ford Center en Californie, et ce pendant plusieurs mois.  

En 1985, Jake E. Lee avait sans aucun doute accédé au statut de star mondiale du rock. Il était devenu impossible de ne pas associer son nom à celui d’Ozzy Osbourne, son mentor. Si la tournée « Bark At The Moon ’83 – ‘85 » et l’album du même nom avaient été un succès colossal, il restait au duo à confirmer ce succès pour assoir définitivement son emprise sur le monde du heavy metal, voire de la variété internationale.

Bien évidemment, la route allait être encore longue et semée d’embuches. Jake pourrait compter sur Ozzy pour complexifier encore les choses.

On est toujours confiné dans la chambre d’hôtel, Jake a quasiment descendu la bouteille de vin blanc tout seul, et me demande d’en commander une autre. Il a toujours envie de parler, mais il a besoin de carburant pour rester concentré sur son sujet. Jusque très récemment, il ne parlait plus de cette époque nulle part, convaincu que ça n’intéressait plus personne, et aussi parce que seul son projet actuel avait de l’intérêt pour lui. Red Dragon Cartel est son futur et il compte bien continuer avec ce groupe.

-          Comment as-tu vécu le succès phénoménal de « Bark At The Moon », tu y étais vraiment pour quelque chose, non ?

-          Oh ! C’était génial ! Tout d’un coup, toutes les portes s’ouvraient partout. Je n’étais connu que dans le milieu du heavy metal, mais ma réputation a commencé à dépasser les frontières de ce milieu à ce moment-là. J’étais respecté en tant que musicien par mes amis et ma famille, le top quoi !

Il sourit en voyant arriver la nouvelle bouteille de vin blanc. J’ai pris soin de commander des amuses gueules avec. Ce n’est pas aujourd’hui que son embonpoint disparaitra, mais ça permettra de lui délier la langue plus facilement.

-          Seulement, je n’avais pas acquis ce respect au sein du couple Osbourne, et il fallait y remédier au plus vite.

-          C’est-à-dire ?

-          C’est-à-dire, que j’ai demandé un nouveau contrat garantissant mes droits d’auteur et le paiement de mes royalties sur les prochains albums.

Je marque mon étonnement.

-          Sharon enregistra ma demande, mais tant qu’Ozzy était en cure de désintox, elle ne pouvait soi-disant rien faire. Donc, je lui ai dit que tant que je n’avais pas de nouveau contrat, je ne composerais rien. Je n’étais pas dupe, je savais qu’elle voulait gagner du temps, mais qu’elle serait pressée par Epic pour régler le problème au plus vite… En plus, Sharon était en train de recruter du personnel pour le nouvel album, donc soit j’obtenais gain de cause soit j’étais viré, mais je savais que j’avais le soutien du label sur ce coup-là. Donc, j’avais de sérieuses chances de l’emporter.

Il rit. Manifestement satisfait du déroulement des événements.

-          J’ai vu revenir Bob Daisley, et un nouveau batteur du nom de Jimmy De Grasso (Ndr : futur Y & T, et ensuite Megadeth), avec lesquels j’ai commencé le travail d’écriture des nouvelles chansons. Très vite Bob a réclamé un nouveau contrat lui garantissant les mêmes droits que moi.

-          Et tu as obtenu gain de cause ?

-          Moi oui, mec ! Mais pas Bob. Et finalement, Bob n’a pas été confirmé comme bassiste du nouveau groupe, mais seulement comme parolier : il a donc participé aux nouveaux titres.

Bob Daisley qui a été floué sur le dernier album, veut aussi un contrat lui garantissant le paiement de ses droits d’auteur à venir. Malheureusement pour lui, il ne fait plus partie des projets futurs d’Ozzy. Celui-ci voulant régénérer son équipe avec un personnel plus jeune, c’est Phil Soussan qui sera recruté. Quant à Jimmy De Grasso, il sera très vite remplacé par Randy Castillo (ex Lita Ford). Plus tard, c’est Bob Daisley qui révèlera à la presse qu’Ozzy s’était arrogé les droits de l’album « Bark At The Moon » en poursuivant en justice son ancien patron. A ce jour, Bob Daisley a perdu tous ses procès.

-          C’est Phil Soussan qui remplace Bob Daisley à la basse et Randy Castillo succède à Tommy Aldridge. Cette fois-ci, c’est un sacré coup de jeune, non ?

-          C’est vrai que le nouveau groupe est taillé pour l’aventure. D’ailleurs, c’est durant une de ces auditions que j’ai fait la connaissance de Greg Chaisson, qui deviendra mon bassiste chez Badlands… Chris Tsangarides était pressenti pour produire l’album, mais c’est Ron Nevison qui fut retenu… Cependant Ozzy était toujours en cure de désintox en Californie, donc le travail avançait lentement. Comme pour « Bark At The Moon », le style de son retenu pour ma guitare et le son global de l’album, n’avaient rien à voir avec moi. Ce style heavy metal purement américain m’a été imposé, et j’ai dû faire avec.

-          Quand Ozzy est-il réapparu ?

-          Ozzy est revenu de cure juste à temps pour répéter avec les gars de Black Sabbath qui se reformait pour pouvoir participer au Live Aid à Philadelphie en juillet.

Jake fait une moue dubitative.

-          Ça sentait mauvais pour nous ce concert. Il y avait une forte rumeur qui annonçait une reformation définitive de Black Sabbath. On ne savait pas sur quel pied danser. Ce qui était énervant, c’est qu’Ozzy laissait planer le doute sur sa réintégration permanente. En fait, Black Sabbath était un peu dans la merde et aurait accepté n’importe quoi pour qu’Ozzy revienne. Mais celui-ci n’y avait pas vraiment intérêt : ses trois albums studio avaient cartonné alors que Black Sabbath ne vendait rien : lui était au top et eux dans le trou. Je crois, mais je n’en mettrais pas ma main au feu, qu’Ozzy a laissé planer le doute pour se venger de ses anciens acolytes qui l’avaient viré en ’79.

Dès la prestation du Live Aid terminée, Ozzy retourna à sa carrière solo et démarra l’enregistrement du nouvel album sans jamais expliquer les raisons qui auraient empêché son retour dans Black Sabbath. Il faudra attendre treize ans de plus, en 1998 pour qu’enfin, Ozzy accepte l’idée d’une tournée. Mais étant rancunier, je suis d’accord avec Jake : il est fort possible qu’il avait fait semblant de vouloir cette reformation en 1985 pour se venger.

-          Comme pour « Bark At The Moon », vous êtes retourné en Europe pour l’enregistrement de l’album ?

-          Oui, tout à fait. À l’Air Studio de Londres pour la musique, et au Studio Davout à Paris pour les vocals. On est resté en Europe jusqu’à la fin de l’année’85.

-          Comment s’est déroulé l’enregistrement ?

-          Ce fut long et douloureux ! Mais le processus de création est toujours parsemé d’embuches, c’est comme ça… Ron Nevison est un producteur méticuleux, qui avait produit entre autres : Led Zeppelin, Thin Lizzy, Survivor, et pas mal de groupes de variété rock. C’était en quelque sorte, un nouveau challenge pour lui. En plus, ce nouveau son heavy metal déplaisait à Ozzy. Bref, c’était laborieux. Il nous fallut plusieurs semaines pour pondre huit titres seulement.

Jake fait la grimace, il me fait signe d’arrêter l’enregistreur. Il se lève tel un vieux lion et se rend à la fenêtre pour fumer. J’en profite pour détendre mes jambes et m’étirer. Je regarde l’heure : ça va, ça ne fait que quelques heures qu’on discute, on a bu deux bouteilles de vin blanc, du whisky, deux litres de café, c’est assez raisonnable, aucun de nous n’est saoul. J’en profite pour appeler la réception et renouveler les consommations, plus une bouteille de Badoit très pétillante pour moi.

Je me rends compte qu’il fait une chaleur estivale dans la chambre : cette fois aussi, Jake a dû pousser les radiateurs à fond. On est fin novembre, et j’ai l’impression que je vais ressortir bronzé tellement j’ai chaud. Enfin, le réceptionniste frappe à la porte, Jake fume frénétiquement jusqu’au mégot, puis jette précipitamment ce qui reste de la clope par la fenêtre : on dirait un môme pris en flagrant délit. Ses mimiques me font rire gentiment, mais pas vraiment l’employé qui dépose bruyamment le plateau sur la table basse. On a compris le message : cigarettes interdites. Jake promet de ne plus l’oublier.

On reprend l’interview :

-          Donc, on avait huit titres en boîte, mais l’album était un peu court. Phil proposa à Ozzy un titre de sa composition : « Shot In The Dark », mais la version originale et les paroles ne lui convenaient pas vraiment. Il fallut tout refaire, mais la chanson était pas mal, elle provenait de l’ancien groupe de Phil : Wildlife.

Il sourit.

-          Et là, on a eu un nouveau psychodrame comme seul Ozzy sait en provoquer.

-          C’est-à-dire ?

-          Le titre finalisé était différent de l’original, ça c’était sûr, mais ça restait une composition de Phil Soussan. Et plus la production du titre avançait et plus Ozzy et Ron furent convaincus qu’ils tenaient un tube en puissance. Ils décidèrent que ça serait le premier single extrait de l’album, qui avait pour titre de travail « Killer Of Giants ». Et Ozzy proposa à Phil 50% des droits sur le titre, mais pas plus.

-          50% des droits sur un titre qui lui appartenait déjà à 100%, je vois bien la polémique. Comment avez-vous démêlé le problème ?

-          Cependant, Phil n’était en désaccord que pour ce titre, il n’y avait aucun problème pour les huit autres. Moi, je n’étais pas concerné, j’étais juste exécutant sur ce titre. Mais je n’allais pas tarder à me sentir floué aussi… Le single est sorti début ’86, juste avant l’album, avec en face B « Rock n’Roll Rebel », titre qui était sur l’album précédent « Bark At The Moon » dont Ozzy détenait déjà 100% des droits… Et comme lui et Ron Nevison le pressentaient, le single cartonna.

-          Il est souvent question d’argent dans ce groupe, c’est curieux ?

-          L’argent est le nerf de la guerre, même si personnellement, je m’en fous. Mais je ne trouve pas normal de me faire rouler pour autant. Et l’argent est un problème récurrent chez Ozzy.

Effectivement, le titre « Shot In The Dark » atteindra la 68ème place au Billboard 200, et la 10ème au Mainstream Rock Charts. Du coup, Ozzy réclamera 100% des droits sur le titre, ce qui lui donnera 100% des droits sur le single, étant donné qu’il les possédait déjà pour la face B. Jake fut floué sur les royalties du single, mais les autres musiciens aussi, dont Phil Soussan.

-          Malgré tout, ce succès était de bon augure concernant la sortie de l’album, n’est-ce pas ?

-          Oui ! Au moment de confirmer le titre de l’album, Ozzy changea celui-ci pour « The Ultimate Sin », je n’ai jamais su pourquoi. J’aimais bien « Killer Of Giants ».

Un autre psychodrame survint concernant la sortie de l’album : Ozzy n’aima pas du tout la production finale et se sentit trahi par sa femme Sharon, qui n’aurait pas respecté ses consignes, et lui aurait menti sur le travail effectué lors de ses absences pour cause de rééducation au Betty Ford Center. Dans un accès de colère, Ozzy manqua de l’étrangler : il fut brièvement arrêté par la police, et il fallut que Sharon retire sa plainte pour qu’il soit libéré.

Je suis épaté par ce que je viens d’apprendre : ça me fait rire et en même temps, je trouve ça pathétique. J’ai l’impression d’être dans la série « Dallas » …

-          Au final : que penses-tu de cet album ?

-          J’aime toujours quelques chansons, mais je n’aime pas le son. Ce son heavy metal où ma guitare sonne synthétique, très brillant, aiguë, presque pop, calibré pour les radios rock américaines, n’est pas mon truc. Cependant, les titres passèrent mieux sur scène que ceux de « Bark At The Moon » … J’ai rejoué le titre « The Ultimate Sin » sur scène avec Red Dragon Cartel lors de la première tournée, les fans me la réclamaient. Mais c’est fini. Maintenant, je ne jouerai plus aucun titre de la période Ozzy, sauf si Ozzy demande à en jouer sur scène avec moi… La pochette était juste hideuse, pire que celle de « Bark At The Moon », et la fille sur la pochette est sensée être moi. Remarque, Ozzy est en monstre gluant, ce n’est pas mieux. Je ne crois pas avoir vu plus laid. Dire que tout ça a été décidé en réunion avec des gens hyper compétents en marketing : ça laisse songeur.

 

Didier Kalionian - DK Expérience (c) 2020

Credit photo : Charvel Guitar US (c) 2020

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