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Didier K. Expérience
1 juin 2020

Entretien avec Gaïdz Minassian 3/3 (Paris 2004)

Gaidz Minassian

Propos recueillis par Didier Kalionian

Troisième partie publiée initialement sur le site Yevrobatsi.org

Yevrobatsi : Sachant d'une part que la FRA fait partie de l'Internationale Socialiste (il me semble qu'elle ne l'a pas toujours été), que d'autre part, les Dachnaks ne votent pas de la même façon selon qu'ils sont en Ile-de-France ou en Région Paca et Rhône-Alpes, comment peut-on faire confiance à un parti qui accumule autant de contradictions ?

Gaïdz Minassian : Aujourd’hui la direction de la FRA-France est socialiste de type révolutionnaire. Son secrétaire-fédéral, Mourad Papazian, est soit réformiste, soit d’inspiration révolutionnaire, cela va dépendre de ses interlocuteurs. Cette direction est plutôt connue pour être radicale. Or, elle n’a aucune raison tangible de l’être ! Intellectuellement, je ne comprends pas ce qui anime cette tendance sectaire, et je suis bien placé pour le savoir puisque c’est elle qui a transformé ma démission de la FRA en expulsion après la publication de mon livre. Mais je vous assure, je n’ai pas de grief particulier envers qui que ce soit. Ce qui m’intéresse, c’est la recherche, la documentation, les faits et l’analyse. Je suis un passionné de recherche et tout en ayant pris de la distance avec mon sujet de recherche, je dois avouer que ce mouvement dachnak est fascinant. Mais, l’un des problèmes, c’est que les militants et dirigeants du parti ne connaissent pas leur histoire. Sincèrement, cette ignorance m’a choqué et me choque toujours d’ailleurs. Demandez-leur ce qu’ils ont lu comme ouvrages issus de l’historiographie dachnak… Vous constaterez par vous-même.

Concernant le socialisme de l’Internationale, la FRA a été membre de la IIe Internationale de 1907 à 1914, de l’Internationale Socialiste Ouvrière, de 1923 à 1946 et de l’Internationale Socialiste, depuis 1996. J’ai expliqué dans un article paru dans la revue « Est-Ouest » les raisons du « trou de 1954 à 1996. Être dashnak ne signifie pas être de gauche ou être nationaliste, même s’ils se considèrent comme le Parti Socialiste Arménien. Armen Garo, par exemple, a toujours été un anti-socialiste, comme Malkhas. Simon Zavarian était socialiste mais ne reconnaissait pas le socialisme scientifique ou marxiste. Pour lui, le socialisme équivalait à de l’humanisme. Même Mikael Varandian, pourtant socialiste proche des idées de Jaurès, dans son « Histoire de la FRA », écrite au tournant des années 1930, reconnaît que la FRA ne s’est pas créée comme un parti socialiste. En revanche, Rostom était appelé « le Marxiste » dans la FRA, comme nous l’indique Simon Vratsian. Au congrès de 1907, à Vienne, à propos du débat sur l’introduction du socialisme dans le programme de la FRA, Rostom prend la parole pour rappeler que « la FRA existe depuis 17 ans et que pendant toute cette période, la FRA n’a jamais suivi une lutte nationale mais une lutte des classes. Le problème, dit-il, n’est pas le peuple turc, mais ses dirigeants dont les Turcs se plaignent eux-mêmes ». C’est en substance ce qu’on lit dans « Matériaux pour l’histoire de la FRA », tome 4. Il y a des dashnaks qui adhèrent à l’Internationale Socialiste par conviction, il y en a d’autres qui y adhèrent par intérêts pour le haïtadisme, parce que c’est une tribune composée de chefs et membres de gouvernement. Adhérer à l’IS est un gain de temps pour toucher directement les personnalités politiques. Lorsque la gauche est au pouvoir, cela permet à la FRA de rencontrer directement les membres de gouvernement sans passer par des intermédiaires. En fait, la FRA est elle-même une Internationale arménienne, et par conséquent, la tendance actuelle en France qui est plutôt de gauche radicale, était plus susceptible de signer un accord avec le PS. Cette année, la FRA a appelé à voter socialiste aux élections européennes, alors que pendant des années, la direction dachnak ne donnait aucune consigne de vote, peut-être parce que son socialisme était plus pâle…

Yev : Que pensez de l'attitude de la FRA aux dernières élections européennes donnant carte blanche au P.S. ?

G.M. : Du bluff, du marketing et après une longue période de doute, un accord in extremis conclu avec le PS, qui relance la FRA pour une période indéterminée. En fait, je pense que l’accord PS-FRA n’a pas une longue vie devant lui ou s’il en a une, elle sera jonchée d’obstacles pour la FRA.
La FRA ne donne pas carte blanche au PS. Elle ne dit pas non plus qu’elle est d’accord avec l’entrée de la Turquie dans l’UE. Elle pose ses conditions à l’ouverture des négociations avec Ankara. En somme, cela revient à dire que si Bruxelles dit « oui » - ce qui est probable – la FRA va devoir se positionner sur la candidature turque. Son dernier congrès, en février 2004, s’est prononcé contre car l’intégration de la Turquie à l’UE serait « contre les intérêts vitaux de l’Arménie ». Cela soulève plusieurs points. D’abord, en quoi l’adhésion d’Ankara à l’UE s’opposerait-elle aux intérêts vitaux de l’Arménie, à moins de considérer que « intérêts vitaux » signifie la création de la Grande Arménie, idée qui se heurte à l’intangibilité des frontières ? Mais là, on entre sur le terrain de la guerre, pas sur celui de la paix. D’ailleurs, personne n’a le monopole de la sécurité de l’Arménie, et d’après ce que j’ai lu, Erevan ne voit pas d’un mauvais œil l’idée d’une Turquie membre de l’UE. Un voisinage avec la Turquie membre de l’UE n’était-il pas un privilège pour Erevan ? Je ne dis pas que je suis favorable à l’entrée de la Turquie dans l’UE, mais j’essaie de comprendre la démarche des uns et des autres. Ensuite, il va falloir que la FRA explique le décalage entre la déclaration conjointe avec le PS et ses résolutions du congrès. En fait, ce ne serait pas la première fois que la FRA n’applique pas les décisions de ses congrès. En 1914, à Erzeroum, le VIIIe congrès du parti s’était prononcé contre la formation de bataillons aux côtés de l’armée russe. Cela n’a pas empêché des chefs militaires et politiques dachnaks d’en lever 4 puis 7. Le IXe congrès, qui a eu lieu à Erevan, en 1919, a d’ailleurs dénoncé cette violation de résolution. Mais qui le sait…

Yev : Les militants de la FRA disent qu'on leur reproche toujours de vouloir représenter la Cause arménienne. Or, leur démarche, leur comportement montrent qu’ils sont enclins à ce type de représentation. A la lecture de votre livre, il semblerait que la FRA soit le fil rouge de l'histoire arménienne. En accord avec les propos du colonel Hovsep Hovsepian : « Le fil rouge de l'histoire arménienne est le peuple arménien dans ses diverses expressions et à travers toutes ses organisations politiques, ainsi que ses groupes de pression ou d'actions internationales... » Sans renier le poids de la FRA ne pensez-vous pas que c'est justement sa
façon de fonctionner, ses retournements, ses mensonges, qui ont entraîné d'autres formes d'action, qui entraînent aujourd'hui le besoin de structures nouvelles ?

G.M. : C’est de la pure démagogie. Je me suis longuement expliqué au téléphone avec Hovsep Hovsepian il y a quelques temps. En somme, je lui disais qu’il fallait arrêter de se cacher derrière le peuple, fabrication fantasmatique que l’on soit d’inspiration dachnak ou non. Je parle d’illusion du peuple ou de peuple mythique parce que, selon moi, le peuple arménien n’existe qu’en Arménie, le reste, ce sont des communautés atomisées plus qu’hétérogènes, dispersées un peu partout dans le monde. Il y a le peuple en Arménie, le premier garant de l’identité et c’est lui qui juge ce qui est bon ou mauvais pour lui. La FRA essaye de tenir un discours de rassemblement mais l’aimant entre elle et les Arméniens ne fonctionne pas ou plus. Que la FRA soit la principale organisation en diaspora, c’est un fait, pas une gloire qu’on brandit comme un trophée. Tout le monde peut s’organiser comme elle, cela ne sert à rien de lui en vouloir pour sa structure. On peut être contre ses messages, ses idées et ses pratiques. On ne peut lui reprocher d’agir là où d’autres pourraient aussi agir, mais n’en n’ont ni les moyens, ni l’envie. Peut-on lui en vouloir d’un point de vue structurel ou fonctionnel ? Peu importe si la FRA est efficace ou non, elle est là ! Vahan Navassartian, membre du Bureau mondial de la FRA dans les années 1940-1950, disait, « il y a deux moyens de lutter contre la FRA : soit vous appliquez ses idées, soit vous détruisez physiquement les Arméniens ». A quoi cela sert-il de répéter à satiété que la FRA devrait faire preuve d’ouverture dans les MCA ! On sait que les MCA sont des maisons de la culture dashnak dont certaines préfèrent inviter des ex-collaborateurs de Bruno Mégret pour des conférences plutôt que des démocrates comme Denis Donikian ou moi-même. Tout le monde le sait, il faut passer à autre chose, sans amertume, ni esprit de revanche.

Dès le départ, la FRA a confondu mouvement et organisation, mouvement spontané et mouvement organisé. Le système haïtadiste manque de normes et de règles et la FRA est le principal instrument de ce système. Certains disent que les deux se confondent, c’est pour cela qu’on entend que la FRA et le haïtadisme sont consubstantiels, mais c’est une approche totalitaire. S’ils représentent l’une des composantes de ce système au même titre que le Parti Ramgavar, l’Eglise, le PSD Hentchag et d’autres mouvements haïtadistes (comme le MNA en France dans les années 1970), on serait dans une approche démocratique et d’ouverture.

Il y a cette dualité au sein de la FRA. Quand certains disent que la FRA est le résultat de toutes les tendances du peuple arménien, c’est une approche totalitaire. L’un des principes de la démocratie, c’est bien la séparation des pouvoirs. Or, à la FRA, parti révolutionnaire de type pyramidal, qui a le pouvoir exécutif ? C’est le comité central ! Qui a le pouvoir législatif ? Le comité central ! Puisque c’est lui qui se porte garant pendant deux ans de l’application des décisions du congrès. Qui est détenteur du pouvoir judiciaire et qui nomme les commissions d’enquête ? C’est le comité central !

Les trois pouvoirs sont donc réunis en une seule entité : le comité central dont le secrétaire fédéral, peut selon sa personnalité se comporter comme un « petit chef » ou comme un homme d’ouverture. Ce n’est pas un système démocratique. Le jour où il y aura un parlement interne à la FRA qui sera détenteur du pouvoir législatif, le jour où le Congrès mondial nommera une commission des contentieux, les deux pour demander des comptes à l’Exécutif, alors, là, on se trouvera dans une autre phase. A l’heure actuelle, ce sont des congrès d’appareil, où la plupart des congressistes sortent de l’appareil et entretiennent avec la direction fédérale des relations de clientèles, voire d’allégeance. Aussi, tout désaccord de fond – et c’est possible – revient à faire prendre le risque au parti de se désarticuler.

On retrouve ces tendances autoritaires au sein de la communauté. Officiellement, la FRA est favorable à l’Union, mais c’est l’Union derrière elle. Certes la vie communautaire souffre de déficit démocratique et la FRA a une part de responsabilité dans cet état de fait, comme les autres formations, associations et Eglises. Ce que je ne comprends pas, c’est qu’en tant qu’organisation « politique », pourquoi la FRA ne cherche pas à se démocratiser pour démocratiser la communauté. L’ADRAF, dont je suis l’auteur à 100 %, arrivait à point nommé pour proposer un processus de démocratisation. Je constate que la FRA n’était pas assez mature pour le porter, il aurait fallu pour cela qu’elle se démocratise d’abord ou en parallèle avec la réalisation de l’ADRAF. Une organisation proto-démocratique ne peut pas défendre un projet très démocratique. J’ai cru qu’en baignant dans une diaspora occidentale, on baignait forcément dans un espace démocratique. C’est faux manifestement, diaspora occidentale n’est pas nécessairement synonyme de démocratie. En même temps, reconnaissons que la FRA est la seule sensibilité avec celle du magazine les Nouvelles d’Arménie, à avoir défendu le projet d’élections démocratiques. Les autres formations et associations ont rejeté l’idée.

Yev : Il y a quand même deux points qui ne vont pas, à mes yeux, dans l’ADRAF ; c’est comment définit-on un Arménien ? Et le suffrage à un seul tour qui privilégierait la FRA puis qu’ils sont les plus nombreux ?

G.M. : Adhérer à l’ADRAF renvoie à une démarche volontaire et personnelle. Et qui vous dit qu’ils sont les plus nombreux en voix puisqu’il n’y a jamais eu d’élections ?

Yev : C’est eux qui le disent, ils revendiquent 500 membres !

G.M. : Non, l’effectif de la FRA-France s’élève à environ 350 membres et avec toutes ses affiliations, on parle de 2 000 personnes, avec la double particularité de constituer quelques familles et de remplir le cumul des mandats et le cumul des adhésions. Une personne peut se retrouver membres de trois ou quatre associations.

Yev : Yevrobatsi : Vu son fonctionnement totalitaire, de nouvelles structures sont en train de naître et la FRA fait tout pour les écraser. Je parle de VAN ou du CCAF Paris.

G.M. : Ecraser ? Vous faîtes erreur. Il y a la norme et la réalité. La norme – et là je comprends la FRA – le CCAF n’est ni représentatif, ni démocratique. Pourquoi de grosses associations comme la CBAF, l’UGAB et la FRA auraient-elles une seule voix au même titre que les petites associations avec tout le respect qu’on leur doit ? En plus, la FRA est partie prenante dans la création du CCAF. Tant que la norme ne changera pas, la FRA ne sera pas satisfaite pour des raisons évidentes de représentativité. Et puis, il y a la réalité. Et là, on touche la forme pas le fond. Si la FRA ne joue pas le jeu de la cohésion, c’est politiquement irresponsable à l'heure où la candidature turque à l'UE exige l'union des Arméniens,
notamment de France. Pour peu qu’elle change ses méthodes, la FRA pourrait obtenir la direction du CCAF et rassembler les Arméniens sur ses propres idées. Mais elle doit au préalable rompre avec certaines pratiques autoritaires. Agir ainsi ne relève pas de la politique, c’est du bricolage, de l’amateurisme, du panchounisme. Au nom de la stabilité du CCAF, il faut que la FRA retrouve un discours de paix et de cohésion. Elle ne le fait pas pour des questions d’ambition personnelle et pour des questions d’illusion de pouvoir communautaire. Elle veut dominer, elle veut maintenir le CCAF dans ce qu’elle estime qu’il doit être. Et c’est là où je ne comprends pas le CCAF : pourquoi ne pas admettre le principe d’élection démocratique au suffrage le plus universel possible ? Dans l’hypothèse où l’Arménie devient dans les années à venir une dictature comme l’est actuellement la
Biélorussie, il est possible que le CCAF périclite par manque d’assises ou d’expérience de dialogue. Or si on organise des élections démocratiques, on consolide les fondations du CCAF et ainsi évite-t-on l’éclatement. On aura au pire la désunion, mais l’espace unique, l’ADRAF, sera préservé. Et c’est ça qui compte !

Yev : Mais comment fédérer les Arméniens ?

G.M. : Par des élections, en donnant le pouvoir aux individus et pas aux associations. L’ADRAF n’est pas contre les associations. Au contraire, l’ADRAF leur apporte une nouvelle impulsion, un réel et nouveau dynamisme. Qu’est-ce qui intéresse les Français d’origine arménienne ? C’est la possibilité de leur donner quelque chose de valorisant en tant qu’individu. Et que leur donne-t-on ? Rien ! La reconnaissance du génocide par la France était une rétribution morale, mais matériellement en tant que Français d’origine arménienne, qu’ont-ils entre leurs mains ? Comment puis-je participer sans être dans le circuit communautaire, ce qui est le cas de 90 % des Arméniens en France ? Si je suis d’accord ou en désaccord avec le CCAF, comment puis-je le faire savoir ? Il n’y a que l’ADRAF actuellement pour asseoir durablement la démocratie au sein de la communauté arménienne de France.

Yev : Mais comment ?

G.M. : Je vous donne un exemple : je m’appelle Pierre Martin, je suis citoyen français, je n’ai rien à voir avec les Arméniens mais je suis sensible à la Question arménienne, parce que mon épouse est arménienne ou parce que je connais son histoire. Je m’inscris sur la liste électorale. A l’inverse, je m’appelle Hagop Manoukian, je n’ai aucun lien avec l’arménité et me détourne de tout sentiment arménien, la Question arménienne est le cadet de mes soucis. Je ne m’inscris pas sur la liste. Voilà la définition que l’ADRAF propose. Ce n’est pas une démarche communautariste puisqu’on fait allégeance à la République. Et la subtilité de ce projet, c’est qu’il ne s’adresse pas forcément à des Arméniens mais à tout le monde, contrairement au CRIF pour les Juifs ou au CFCM pour les Musulmans qui sont eux, dans une démarche communautariste. Dans l’ADRAF, c’est le droit du sol qui compte, pas le droit du sang, ni le rite religieux. Bien entendu, il y a des garde-fous pour empêcher l’adhésion des détracteurs, comme par exemple la reconnaissance du génocide de 1915. Après avoir fait une campagne d’un certain temps à travers la France, et selon certains critères, comme être de nationalité française ou être détenteur d’une carte de séjour / réfugié valide, je suis persuadé qu’il est possible de récupérer quinze mille noms dans un premier temps. Cela serait déjà bien plus représentatif que tous les CCAF, non ? Mais tout doit partir du CCAF actuel, il est l’émanation du pouvoir.

A partir de listes et au suffrage proportionnel, on aurait des associations, des groupements associatifs, etc. élus pour trois ans comme un vrai parlement extraterritorial, qui pourrait faire des actions culturelles, politiques, etc. Un Comité des sages serait le garant du respect de l’ADRAF. Autrement dit, à ce jour, il n’existe pas de projet plus démocratique et représentatif que l’ADRAF !

Cet entretien  a été relu et validé par Gaidz Minassian en 2004.

Didier Kalionian - le Blog Imaginaire (c) 2004 - 2020

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Didier K. Expérience
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