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Didier K. Expérience
27 janvier 2021

Les Paradis Périphériques E.24/34

Paradis Périphériques

Mes jambes avancèrent tant bien que mal dans les couloirs du métro, mais ma tête était encore sur la piste. Moi qui n’avais jamais dansé auparavant, j’étais aussi courbaturé qu’un vieux canasson. Franck était tranquille et savourait ce moment. A part qu’il fumait compulsivement sur les quais, tout glissait sur lui, y compris la fatigue. Et, si lui clopait, moi j’étais l’écloppé.

On rentrait la tête dans les étoiles…

On retrouva rapidement le calme de notre appartement. Là aussi, on goûta à la différence : qu’on était bien dans notre rêve. Cependant, dès lundi matin, le rêve se transformerait en réalité, peut-être froide, mais sûrement un peu moins dure.

Avant de nous coucher, j’aurais bien aimé débriefer tout ce qu’on avait fait durant le week-end, mais Franck n’avait plus envie de parler. Je lui fis quand même part d’une réflexion qui me trottait dans la tête et dont je ne comprenais pas le sens. Je savais qu’il ne résisterait pas à me répondre car son cerveau était programmé pour résoudre les problèmes.

-          Le gars avec qui je discutais m’a dit que ses amis « avaient disparu ou étaient partis ». Est-ce que tu comprends ce que ça veut dire ? Je n’arrive pas à en saisir la signification.

-          Ben ! … A première vue, je dirais qu’il y a plusieurs sens, mais dans le milieu gay, les gens qui disparaissent, ce sont des gens qui meurent et ceux qui sont partis sont déjà morts. Et de quoi meure-t-on dans notre milieu en ce moment ?

-          Tu veux dire qu’ils sont morts du Sida ! Bien sûr, c’est possible que ça soit la bonne réponse. C’est triste si c’est vraiment ça. Ils étaient sympas, ces gars.

-          Ce n’est que mon interprétation, mais il y a de grandes chances ; et il est peut-être lui-même malade… En fait, c’était qui ce gars avec qui tu discutais ?

-          Quelqu’un que je voyais au Subway juste avant de te connaitre. Une connaissance, pas un amant : je te rassure. On rigolait bien ! Il a été le premier mec avec qui j’ai sympathisé dans le Marais au tout début que je venais.

-          Je me rappelle vaguement l’avoir vu. Je n’allais pas si souvent que ça au Subway. Ce jour-là, tu as eu de la chance de m’y avoir trouvé.

-          Il parait, oui !

La nuit me parut douce lové tout contre Franck, mais le réveil fut compliqué. J’avais mal aux jambes : un doliprane s’imposa au lieu du café. La course contre la montre pour arriver à l’heure au boulot reprit ses droits. Curieusement, je découvris que je n’avais pas besoin de me lever plus tôt : décidément, tout était pratique et rapide depuis Paris.

La journée fut tranquille, je déambulais plus que je ne m’activais : d’une manière générale, je faisais ce qu’on me demandait, sans plus, mais ce jour-là, j’en fis bien moins que d’habitude. L’effet GTD perdurait et j’étais réellement bien dans ma peau. J’étais en descente d’adrénaline, mais je voyais encore tout en positif. Désormais, je savais que ça m’aiderait à tenir toute la semaine et jusqu’au week-end suivant.

Les réels soucis vinrent encore et toujours d’Aubervilliers. J’attendais anxieusement du syndic d’avoir une date pour faire l’état des lieux sortant. Quoi qu’il arrive, on déménagerait le samedi suivant : plus que quelques jours à tenir. Le déménageur avait confirmé, tout était presque prêt. D’ailleurs, tous les soirs, on passait à l’appartement pour faire des cartons, du nettoyage, ramener des vêtements ainsi que diverses petites choses à Paris. Isa faisait de même, mais elle, c’était plutôt en fin d’après-midi, pour ne pas nous gêner. On en profitait pour boire un verre tous ensemble dans un troquet du quartier.

Un petit évènement allait nous sortir de notre léthargie positive pour nous remettre à notre place. Un soir où on rentrait d’Aubervilliers, la gardienne nous apostropha. Son accent slave et sa voix grave me surprenait toujours ; je m’attendais à me faire engueuler tout le temps :

-          Bonsoir messieurs. Il faut que je vous dise quelque chose. Voilà, j’ai des petits problèmes avec vos voisins de palier et j’aimerais bien, si ce n’est pas trop vous demander, que vous leur parliez. Ils vous écouteront, vous !

En voilà une chose étrange. Quel pouvoir pouvions-nous donc avoir ? Et pourquoi nous ? Ça faisait à peine quelques jours qu’on était là… Mme Bregovic continua :

-          Voilà ! Ça fait plusieurs jours qu’ils font du bruit la nuit, les voisins du dessus et du dessous se plaignent. Si vous pouviez leur dire de faire attention, ça serait gentil de votre part.

Franck osa une réplique un peu sèche à mon goût.

-          Je ne vois rien de grave ni d’important. Pourquoi ne pas le leur dire vous-même ? Sauf, s’ils sont dangereux, bien sûr ! Mais dans ce cas, il faut prévenir la police, pas nous !

La gardienne mit sa main sur le bras de Franck. On sentait bien qu’elle était préoccupée.

-          Ils ne sont pas dangereux, non ! Ils sont comme vous. C’est pour ça, je préfère que vous alliez leur parler.

-          Comme nous ? Mais comme quoi, comme nous ? Je ne comprends pas !

-          Ben, comme vous ! Ce sont des garçons, quoi !

Que la lumière soit et la lumière fut ! On eut la même réaction de surprise tous les deux.

-          Ok ! On a compris. On ira les voir, dis-je.

Je connaissais Franck, maintenant. Je savais qu’il n’était pas content du tout. J’avais répondu rapidement, en lui coupant l’herbe sous le pied, afin d’éviter un incident diplomatique majeur avec Mme Bregovic. Il pouvait bien l’envoyer sur les roses, mais après notre installation. On aurait sûrement besoin d’elle, surtout ce samedi. Je me souvenais trop de l’erreur que j’avais commise en m’engueulant avec le syndic. Parfois avoir raison est préjudiciable… Cela ne faisait même pas une semaine qu’on était là, qu’on était déjà catégorisés et marqués. Décidément, même au « paradis » on serait traités à part.

Je me chargerais donc de l’immense tâche de parler avec nos voisins. C’est vrai que notre palier ne comportait pas autant d’appartements que celui d’Aubervilliers. Sur celui-ci, il n’y en avait que trois. Franck s’occuperait de ranger les paquets qu’on avait ramenés pendant ce temps-là…

Je m’approchai de la porte et collai l’oreille pour savoir s’il y avait bien quelqu’un. Je n’entendis aucun bruit particulier, mais je tentai le coup, je frappai. Au bout d’une longue minute, j’entendis le verrou qui se débloquait. Quelqu’un ouvrit la porte. Je retins mon souffle.

Un beau jeune homme d’une trentaine d’années apparut. Il était grand, torse nu, le visage clair et glabre, cheveux très courts que je devinai blonds, en pantalon très serré, rangers aux pieds. Outre cette image plutôt intéressante, l’odeur qui se dégageait derrière lui me frappa : ça sentait l’herbe… Aubervilliers avait été une très bonne école, je savais exactement comment me comporter dans ce cas-là : rester impassible. Et je fis comme si cette odeur n’existait pas. Je m’apprêtais à ouvrir la bouche quand deux autres gars, également torse nu, apparurent : l’un en survêtement, un joint à la main, l’autre en treillis militaire. Tous trois avec les mêmes coupes de cheveux et le même genre, et sûrement le même âge.

L’un d’eux parla à celui qui avait ouvert :

-          Que se passe-t-il ?

-          Je ne sais pas… Qu’est-ce que je peux faire pour vous ?

-          Euh, voilà ! Je suis votre nouveau voisin, moi et mon copain on est en train de s’installer. Je voulais me présenter, je m’appelle Daniel, dis-je en tendant la main.

Celui qui avait ouvert me sourit et me serra la main : il avait compris le message. Mais si on était de la même confrérie, on n’était pas du tout du même genre. Toutefois, ils se détendirent d’un coup, il n’y avait donc pas de raison de stresser. Aucun des trois ne se présenta.

-          Ok, ça roule ! Bienvenue alors… Excuse-moi, mais on est occupé, si tu vois ce que je veux dire, dit-il en clignant de l’œil. On se parlera une prochaine fois. Allez ! Salut !

J’acquiesçai mais je ne voyais pas où il voulait en venir. On était passé du vouvoiement au tutoiement dès qu’il avait compris que j’étais gay : c’était sûrement un bon signe. En tout cas, je jugeais l’entrevue plutôt positivement. C’est vrai que j’avais parlé au voisin sans lui délivrer le message de la gardienne, mais je n’avais jamais dit quand je le ferais. Le courant était passé, on verrait bien pour la suite… Et la suite, n’allait pas se faire attendre très longtemps.

Je retournai à l’appartement pour rendre compte à Franck : celui-ci m’accueillit avec le sourire. Je lui expliquai qu’on n’avait pas vraiment pu discuter, mais qu’ils avaient l’air sympas.

-          Je t’ai entendu. Tu as bien fait de ne rien dire. On n’a pas à se mêler des affaires de la gardienne. Elle ne me dit rien qui vaille celle-là.

-          Tu as sans doute raison. En tant cas, ils se baladent à moitié nus chez eux.

Là, Franck éclata de rire.

-          A mon avis, ils s’apprêtaient à faire un plan cul quand tu as frappé à la porte.

-          Oh ! Tu crois que j’ai interrompu quelque chose ! Merde ! Quel con !

-          Laisse tomber ! Ils ne t’en voudront pas. Ce n’est pas le genre à être gêné de quoi que ce soit… Je comprends mieux pourquoi la gardienne nous a demandé d’intervenir, maintenant. Personne n’arrivera à les raisonner, ça j’en suis sûr.

A peine avions-nous terminé d’en discuter qu’on distingua clairement des râles doublés par de la musique techno. Et évidemment, on entendit quasiment tout. Donc, les autres voisins devaient assister à ce qui ressemblait aux ébats sonores des olympiades du sexe de l’appartement d’à côté. Ce qui voulait dire également, que tout le monde nous entendait aussi. Le problème n’était pas franchement le bruit, mais l’épaisseur des murs qui était trop mince et empêchait une réelle intimité. On sut qu’ils étaient proches de la fin quand on discerna les booms booms du lit qui tapait de plus en plus vite contre le mur. On les entendit jouir tous les trois, l’un derrière l’autre. Puis ce fut au tour des voisins du dessus de réagir en hurlant des insultes.

Le charme parisien s’effondrait. On allait avoir les mêmes problèmes qu’à Aubervilliers ; sauf que nos voisins directs nous amusaient bien plus que ceux de là-bas.

Cette fois-ci, le problème ne nous sembla pas insurmontable. Les voisins du dessus avaient des raisons de se plaindre et nos nouveaux amis pouvaient sûrement faire des efforts. En tout cas, on était sûr que tout rentrerait dans l’ordre d’une façon ou d’une autre. La schizophrénie dévastatrice des habitants de la tour n’aurait pas lieu ici : ce qui nous rassura.

 

Didier Kalionian - le Blog Imaginaire (c) 2021

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