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Didier K. Expérience
26 janvier 2021

Les Paradis Périphériques E.23/34

Paradis Périphériques

On se leva assez tard ce dimanche. Le calme régnait dans tout l’immeuble, on n’avait plus l’habitude du silence. Cette tranquillité réveilla les ardeurs de Franck, ce qui réveilla les miennes également. On n’avait plus à se soucier du bruit qu’on pouvait faire, et ce matin-là, on se lâcha totalement. Ça faisait du bien de se sentir libre partout et tout le temps. D’ailleurs, cette fois-ci, d’un commun accord, on laissa tomber le préservatif. Après tout, ça faisait bientôt trois ans qu’on était ensemble et qu’on était un couple exclusif. Donc, il n’y avait plus de risque. Du moins, nous semblait-il.

On n’avait rien à faire de particulier ce jour-là, sauf à se préparer pour le GTD. J’étais à la fois excité et angoissé. Excité parce que c’était totalement nouveau et qu’on continuait d’explorer notre nouveau monde, et angoissé, parce que je n’avais jamais été en boîte de nuit et que je détestais la dance-music. Franck était plus relax parce qu’il connaissait déjà.

-          Comment se fait-il que tu sois déjà allé au GTD ? Toi qui n’aimes pas ce genre de musique, toi qui ne fréquentes que les salles de concert classique.

-          J’y suis allé pour faire comme tout le monde. Mon ex aimait bien danser et on y est allé souvent. En fait, tu m’as épargné cette torture depuis que je te connais.

C’était bien la première fois qu’il mentionnait l’existence de son ex. Bien sûr, je me doutais bien qu’il avait eu des copains et des amants, mais « ex » signifiait qu’ils avaient été ensemble sur une durée plus ou moins longue. Cependant, comme c’était aussi très banal, je ne relevai pas.

-          Tu sais, on n’est pas obligé d’y aller. Loin de moi, l’idée de te forcer… Mais j’aimerais bien connaitre au moins une fois, c’est tout.

-          Bien au contraire, Daniel ! Ça me fait plaisir d’y retourner. Ça fait trois ans que je n’y ai pas mis les pieds. J’aimerais voir comment ça a évolué. Et il faut que tu te fasses une idée par toi-même. Tu verras c’est très intéressant.

-          Ce qui me fait peur, c’est la musique. Déjà dans les bars, ça me gonfle, mais je n’y vais pas pour ça. Alors que là, c’est aussi une des raisons d’y être.

-          J’ai un truc, tu vas voir, c’est simple. Je réagis au rythme et non à la musique. Donc, je me calle sur le rythme et je bouge en fonction, et au bout d’un moment, tu n’entends plus la chanson, mais tu suis le beat, tout en suivant les autres danseurs. Et ce qui est marrant, c’est que tu arrives à passer une très bonne soirée. Ce qui est bien avec la house-music, c’est que tu n’as pas besoin de savoir danser, gigoter suffit. Tu verras, c’est facile comme tout.

J’étais dubitatif, mais après tout pourquoi pas.

-          C’est marrant comme tu trouves des solutions à tout.

-          Déformation professionnelle, sûrement.

Par certains aspects, il me fascinait, c’était évident. Pour d’autres, je me posais encore des questions. Mais connait-on quelqu’un totalement, même si on vit avec ?

On était encore au lit, on discutait tout en se caressant, j’aurais bien refait une séance de sexe. Je commençais à l’entreprendre quand il se dégagea ; il avait faim et il fallait se préparer ensuite pour ce fameux GTD. Le ventre commandait, je n’avais plus qu’à m’incliner.

Franck ne démarrait jamais la journée sans café, voire beaucoup de café. Il mit en route la cafetière que nous avait laissée Isa, et une odeur suave et chaude se répandit dans tout l’appartement. Pendant qu’il s’occupait de mettre la table, je fis cuire des œufs et du bacon. Dehors, il faisait beau, et seul le fait de n’avoir pas de balcon nous manquait. On perdait celui d’Aubervilliers, c’était aussi le prix à payer… Comme l’appartement n’était pas tout à fait vidé des affaires d’Isa et que les nôtres n’y étaient pas encore, on avait vraiment l’impression d’être en vacances à l’hôtel : ce qui augmentait notre plaisir.

On se prépara tranquillement, on arriverait sur les coups de 18h.

A peine étions-nous sortis du métro qu’on commença à croiser des connaissances. On marchait sans se presser sur le boulevard des Italiens quand on vit la queue devant l’entrée du Palace. Une masse de gens s’agglutinait comme à un concert. Un type habillé en vinyle noir de la tête aux pieds distribuait gratuitement des préservatifs et du gel tel les ouvreuses dans les cinémas, pendant que nous faisions la queue. On attendit sagement de passer à la caisse (60fr) puis de laisser notre blouson aux vestiaires (10fr), et malgré la foule qui patientait, on passa très vite. Une fois dans l’antre, je repérai la floppée de beaux mecs, mais le plus impressionnant, c’était le monde sur la piste. Il y avait de tout, des mecs au look militaire aux drag-queens, de la crevette aux bodybuildés En tout cas, tout le monde venait s’y montrer, c’était clair. La boîte était petite, mais parait-il, pouvait contenir un millier de personnes. Franchement, j’avais l’impression qu’ils y étaient déjà dès le démarrage. La déco n’était pas terrible, les peintures usées ; un vieux théâtre décrépit dont les loges aux balcons faisaient office de chill-out.

Je fus agréablement surpris par la musique : le son était fort, mais les chansons correctes et supportables. Franck ne se fit pas prier pour se jeter dans la fosse aux lions ; il m’entraina avec lui en me hurlant dans les oreilles de me concentrer sur le rythme et de me laisser aller.

Il me fallut quinze bonnes minutes pour cesser de réfléchir ; l’apparition des gogos dancers m’y aida largement. Des gars hyper bien foutus, torse nu et en slip moulant, se déhanchant sur des plots au milieu de la foule compacte. Je n’avais jamais vu ça ! Entre les spotlights, la musique et le public, je m’évadai totalement ce soir-là. Je me surpris même à chanter les refrains quand j’arrivais à les capter. Cependant, au bout d’une heure de ce cours de gym intensif, je demandai à Franck de faire une pause au bar.

On était en sueur et content de nous.

Un bar se situait à l’entrée de la piste, un autre à l’étage. Les deux étaient déjà pris d’assaut. Le ticket d’entrée nous donnait droit à une boisson gratuite de notre choix : ce qui était sympa, mais obligeait tous les gens présents à utiliser ce ticket ; ça encombrait les bars pour un long moment. On avait l’impression que ça marchait du tonnerre, qu’il y avait du débit, que les caisses devaient être pleines, mais en fait, sûrement pas tant que ça ! Cependant, il faisait tellement chaud, qu’il était impossible de tenir toute la soirée sans boire et donc de consommer... Puisque c’était offert, on ne se gêna pas pour commander des gin-tonics qu’on avala en un rien de temps. Impossible de le savourer tranquillement tellement on était assoiffé. Du coup, comme on avait bu et excité nos papilles, et qu’on n’avait pas pu vraiment s’étancher, on recommanda. Le tarif n’était pas prohibitif, mais il calma nos ardeurs. Des hordes de gars restaient les mains encombrées de leur verre gratuit, le chérissant jusqu’à la fin. Le message était clair : il fallait avoir l’air de participer comme tout le monde, mais sans pouvoir dépenser. D’ailleurs, plus l’heure tournait et moins il y avait de monde aux comptoirs.

J’avais bien dansé, alors je décidai de rester au bar pendant que Franck repartait pour un tour de piste. Je le regardais bouger comme jamais je ne l’aurais cru capable de le faire. Ce mimétisme me plut ; j’étais content de faire comme tout le monde et d’être inclus, l’espace d’un moment… Puis, un gars habillé d’une salopette blanche et bleue croisa mon regard. J’en fus tellement troublé que ça m’obligea à me poser des questions : le connaissais-je oui ou non ? Il resta planté devant moi, l’air d’attendre ma réponse.

-          Euh ! On se connait, non ?

-          Bah oui ! Tony ! Tu ne te rappelles pas de moi ? On se voyait au Subway ! Toi, tu es Daniel, c’est ça ?

Mais oui, bien sûr ! Sauf qu’il avait plutôt changé : de Tintin fluet à la houppette, il était passé au gros marin moustachu et crâne rasé. Je le regardai de haut en bas pour constater sa transformation. Le jeune gars sympa que j’avais connu et qui avait un peu trop mûri à mon goût. On se fit la bise rituellement quand même, bien sûr.

-          Qu’es-tu devenu ? Tu as changé de look, on dirait.

-          Oui, c’est le moins qu’on puisse dire ! Maintenant, j’aime les mecs bien en chair, poilus et qui n’ont pas peur de vivre leur vie, et qui n’en ont rien à foutre des minets musclés.

-          Vaste programme ! m’exclamai-je

-          Toi, en revanche, tu n’as pas changé. C’est pour ça que je t’ai reconnu tout de suite. J’avais un bon souvenir de toi. T’étais sympa.

-          Merci, c’est gentil… Et où traines-tu depuis que le Subway a fermé ?

-          Je vais au Bar !

-          Au bar ? Quel bar ?

-          Le bar qui s’appelle Le Bar, c’est son nom. C’est juste à côté du Banana Café, vers les Halles. C’est super bien, j’y suis tous les soirs. Y a d’la bonne musique… et une backroom. Fini les chiottes toujours occupées, dit-il en riant grassement.

Je ne connaissais pas : encore un endroit à explorer et si le nom manquait quelque peu d’imagination, il n’était pas difficile à retenir…

-          Et la bande qui trainait tout le temps avec toi, ils y sont aussi ?

-          Non, eux c’est fini ! Certains ont disparu, d’autres sont partis. C’est comme ça, c’est la vie. J’ai d’autres amis maintenant.

Les abords du bar étaient sombres et moins bruyants, et ce n’est qu’au bout de quelques minutes de discussion que je remarquai qu’il avait les yeux vitreux et qu’il parlait sur un ton monocorde, d’une voix indolente. Lui qui avait des petits yeux joyeux et le rire au bord des lèvres, n’était plus que l’ombre du gentil Tony que j’avais connu. Je ne savais pas à quoi attribuer cette nonchalance, et je n’osais pas le lui demander.

-          Et toi alors ? T’as réglé tes problèmes de mecs ? T’en as enfin rencontré ?

-          Ah oui ! Je suis même en couple depuis presque trois ans. Il s’appelle Franck. On est venu ensemble et il est en train de danser.

-          C’est super pour toi. Content que tout aille bien. Ça m’a fait plaisir de discuter… Allez ! je te laisse. On se reverra peut-être au Bar ou ici au GTD. Bisous, ciao !

Je le regardai fendre la foule qui s’écartait pour laisser passer ce bibendum, comme la végétation l’aurait fait pour un éléphant. Il était devenu surtout hagard, presque étrange. De le revoir m’avait désaoulé plus rapidement que je ne l’aurais voulu. Si Tony faisait partie des personnes que j’avais espéré retrouver un jour, j’avais oublié qu’on passe tous par des phases différentes tout au long de notre existence. Enfin, je ne connaissais rien de sa vie, pas plus maintenant qu’avant. Donc, je ne savais pas s’il était plus ou moins heureux que trois ans auparavant, mais sa transformation radicale me laissa pantois…

Franck réapparut à ce moment-là.

-          Alors, ça va ? Moi, je suis KO, je n’en peux plus. Je t’ai vu en grande conversation avec un mec, c’était qui ?

-          Rien ! Ou un fantôme alors.

On avait notre compte tous les deux. Une surdose d’adrénaline qui nous teindrait en éveil, pour ne pas dire en vie, sûrement toute la semaine jusqu’au week-end prochain. On quitta le Palace sur les coups de 21h ; cependant, le GTD était loin de se vider ; certains attendant même minuit que le Privilège ouvre. La boîte située au sous-sol du Palace attirait les clubbers invétérés et faisait les afters du GTD. C’était aussi un lieu de drague réputé. On se promit d’y aller faire un tour un jour, mais pour le moment, il fallait qu’on rentre et qu’on reprenne nos habitudes de travailleurs.

 

Didier Kalionian - le Blog Imaginaire (c) 2021

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