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Didier K. Expérience
21 janvier 2021

Les Paradis Périphériques E.18/34

Paradis Périphériques

Un soir où on était tous les deux à la maison, un incident vint mettre le feu aux poudres. Nous étions en train de dîner dans la grande salle quand on entendit brusquement de la musique, le son était très fort. En fait, c’était le voisin du dessus qui écoutait ses chansons préférées, qui chantait par-dessus, et qui semblait complétement saoul : ça lui arrivait quand il ne supportait plus son quotidien. Tout y passa, Patricia Kaas, Didier Barbelivien, Michel Sardou, Daniel Balavoine, Lara Fabian et l’inévitable hurleuse, Céline Dion. Le gars chantait à tue-tête, à s’en décrocher les cordes vocales. Son état d’ébriété le stimulait sans vergogne, surtout pour les chansons mélancoliques. Au début, ça nous fit rire : ce n’était pas très grave, et ça n’arrivait pas souvent. Au bout d’une heure de ce concert impromptu, la musique s’arrêta net, pour laisser place à une engueulade entre notre voisin et un autre habitant : on reconnut clairement la voix de Francis qui lui hurlait dessus, ça chauffait entre eux deux. Franck arrêta de dîner, posa son assiette, il voulait me parler.

-          Là, ce n’est plus possible. Franchement, j’en ai marre de ce bordel permanent.

-          C’est la vie en HLM, c’est tout. Ça arrive parfois. Ils vont se calmer.

-          Non ! Ici, c’est particulier. C’est un hôpital psychiatrique. Pour tout te dire, je ne supporte plus de vivre dans cet immeuble.

Franck marqua une pause dans son discours. Je m’étais redressé sur mon pouf, j’étais tout ouïes mais serein.

-          J’ai bien réfléchi, je ne vais pas pouvoir rester ici.

Là, je m’inquiétai de la suite…

-          C’est-à-dire ? Tu veux me quitter ?

-          Non, je ne veux pas te quitter, mais je ne veux plus vivre ici. Je ne savais pas comment te le dire, mais j’irai dormir chez ma copine Isa à partir de demain soir.

-          Tu ne vas pas faire ça ? Tu déconnes, là ?

-          Je suis très sérieux. Ces gens sont complètement maboules. Ce qui s’est passé ce soir, n’est pas très grave, mais ça s’ajoute à ce qui s’est passé hier et avant-hier, et avant-avant-hier. Ça ne s’arrêtera pas, et j’ai bien peur que ça devienne pire avec le printemps et l’été qui arrivent. Je n’ai pas envie d’être là pour le vérifier. Un jour, on se fera tuer !

-          N’exagère pas ! On nous fout la paix. Tout le monde est correct, maintenant.

-          Je ne resterai pas dans cet appart, ni dans cet immeuble. Un point c’est tout ! Pourquoi devrions-nous supporter tout ce bordel ? Pourquoi nous ? On est libres de faire ce qu’on veut quand même ! Et moi, je n’en peux plus de ces dingos.

-          Qu’est-ce que je dois faire, moi ?

-          Je n’ai pas dit que je voulais te quitter, j’ai dit que je ne voulais plus vivre ici. On continuera de se voir, ou alors on déménage : c’est une option envisageable, non ?

-          On est arrivés, il n’y a pas si longtemps, je ne peux pas déménager comme ça. Le 1% patronal ne se donne pas comme ça.

-          On s’en fout du 1% patronal. S’il faut partir, on partira. Si tu ne veux pas, je ne te forcerai pas, mais ça sera sans moi… Je serai chez Isa, tu as son numéro. Sinon, je te le redonne.

J’étais un peu sonné par ce que Franck venait de m’assener. Du coup, le dîner était terminé. On fit la vaisselle tous les deux, en silence. Subitement, on n’avait plus rien à se dire, nous qui étions bavards comme des pies.

La musique s’était tue également. Francis avait dû mettre les points sur les i, radicalement. Tout d’un coup, le silence régnait dans toute la tour, comme si tout le monde retenait son souffle et attendait la suite des événements chez nous.

Franck prépara ses affaires, qu’il emporterait le lendemain matin.

Il me fut impossible de trouver le sommeil cette nuit-là. Franck avait l’air de dormir, ses yeux étaient fermés, je l’ai longuement regardé une dernière fois dans notre lit.

On se leva tous les deux vers 6h du matin. Ambiance de matinée à la caserne : rapide et efficace, sans temps mort. Manifestement, à voir ses cernes, Franck n’avait pas plus dormi que moi. Cependant, il n’avait pas changé d’avis. Il se lava sommairement, s’habilla, mit ses sacs près de la sortie, et m’embrassa.

J’essayai de le retenir, mais sans succès, il me demanda de lui ouvrir la porte. Ce que je fis, finalement.

-          S’il te plait Daniel ! Ce n’est pas la fin du monde. Je ne peux plus vivre ici. Je ne veux plus m’angoisser. Tu peux comprendre ça, quand même ? Pardonne-moi ! Je t’appelle ce soir. Promis !

-          Je ne peux pas te rejoindre chez Isa ?

-          Si, bien sûr ! Alors, à ce soir. Tu te rappelles où c’est.

Il prit ses sacs et quitta l’appartement. Je l’accompagnai jusqu’à l’ascenseur. Ça ne servait à rien d’aller plus loin avec lui. Je savais qu’il passerait sa journée au boulot, avant d’aller chez Isa. J’étais dégouté, mais il valait peut-être mieux qu’il s’éloigne un temps, plutôt qu’il ne me quitte vraiment.

Je connaissais Isa, c’était une de ses vieilles copines de cours, elle était prof d’informatique dans le privé. Elle avait un appartement à Paris, proche de la Place des Fêtes, dans le XIXème arrondissement. Depuis le début de notre installation à Aubervilliers, elle n’avait cessé de nous critiquer. Là, elle ne manquerait pas de nous faire sentir qu’elle avait vu juste : cette ville n’était pas pour nous.

Bien évidemment, Franck n’avait pas manigancé son départ la veille : c’était mûrement réfléchi. Et puis, il bénéficiait de ce point de chute chez Isa, sa bonne copine de toujours. Ils avaient dû élaborer le plan ensemble, avant qu’il prenne sa décision. Ce qui voulait dire qu’il m’avait exclu de cette décision… Il avait pris le risque d’une vraie séparation. Je venais de découvrir un de ses traits de caractère. Rien ne pouvait le faire changer d’avis quand il flippait, qu’importe les dommages collatéraux que ça pouvait provoquer. Cependant, qui pouvait lui en vouloir de fuir ces dingues ?

Le point positif, c’est qu’il n’avait pris que des vêtements de rechange : il avait laissé ses costumes et son mobilier. Ce serait pour une seconde étape, c’est-à-dire, soit pour un déménagement complet, soit pour une rupture.

 

Didier Kalionian - le Blog Imaginaire (c) 2021

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