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Didier K. Expérience
20 janvier 2021

Les Paradis Périphériques E.17/34

Paradis Périphériques

J’avais quitté Francis sans regret, j’étais très en colère. Je ne l’étais pas contre lui et sa malheureuse tentative de séduction : il était beau garçon mais il ne m’intéressait pas, et Franck me suffisait. Non, j’étais très en colère après le syndic et leur président. Pour le moment, l’information était trop fraiche pour savoir ce que je pouvais faire. Il fallait que je gère la façon dont j’allais le dire à Franck. Malheureusement, je ne pouvais pas la lui cacher.

Franck arriva vers 22h… Il vit tout de suite, à ma tête déconfite, qu’il s’était passé quelque chose. Je le rassurai concernant l’apéro chez Francis : tout avait été très bien, notre différent était réglé. Je préférai garder pour moi la tentative avortée du baiser : ça, ça pouvait rester secret. Non, il fallait que je lui parle de ce qu’il m’avait appris. J’essayai de le ménager, mais ça produisit l’effet inverse. Franck commençait à s’impatienter, et à s’inquiéter.

Fatigué de sa journée, il n’avait plus envie de jouer aux devinettes avec moi. Je pris sur moi, et je lui expliquai tout d’un seul souffle. Il en resta bouche bée. Heureusement qu’il était assis sur un des poufs, sinon, il serait tombé à la renverse.

-          Quoi ? Une pétition contre les homos et pour protéger les enfants des viols et du SIDA, c’est ce qu’il a dit ?

-          C’est ce qu’il a dit. Ça serait un projet du syndic et de leur président.

Franck se tut et réfléchit un moment.

-          L’information est grave, ça c’est sûr… mais pas mortelle.

-          Qu’est-ce que ça veut dire ?

-          Tant qu’on n’a pas cette pétition dans les mains, on ne peut rien faire. Tant que cette pétition n’est pas une réalité, elle n’existe pas et donc, il n’y a pas de problème.

-          Mais l’autre là, « l’Œil de Moscou », qui passerait son temps à nous casser du sucre sur le dos. On ne peut rien faire ?

-          Non, on ne peut rien. On ne peut pas obliger les gens à nous aimer. On sait que des gens nous détestent, et que d’autres nous aiment bien. Je préfère retenir qu’il y a des gens bien intentionnés dans cet immeuble, malgré tout.

-          C’est une maigre consolation… Alors, qu’est-ce qu’on décide ?

-          On ne fait rien, on attend. J’irai parler au gardien, histoire de voir ce qu’il sait. Je parlerai avec Francis.

-          Laisse tomber Francis. J’ai suffisamment parlé avec lui ce soir. Il est avec nous.

-          Alors, allons nous coucher. Je tombe de fatigue. Cette journée a été infernale.

Ce n’était rien de le dire, mais Franck avait la capacité d’analyser très vite les situations et de les désamorcer : il me rassurait, il était très fort psychologiquement.

Le lendemain, ce fut mon tour de ne pas pouvoir être disponible en soirée : j’étais retenu au boulot pour des heures supplémentaires. En revanche, Franck avait pris son après-midi pour mener son enquête… Il vit le gardien qui lui confirma qu’il avait entendu parler de ce projet de pétition mais qu’il n’avait jamais vu le papier. Il essaya de voir Francis, mais par chance, celui-ci était absent.

Autant Franck avait été rassurant la veille, autant je le découvris préoccupé le lendemain après-midi.

Il lui fallut deux jours pour me le dire : cette histoire le minait plus que prévu. Il avait fini par la raconter à ses collègues qui avaient été horrifiés. De plus, ce n’était pas une simple affaire d’homophobie, la vie dans la tour allait devenir impossible. Le gardien lui avait appris que William allait déménager, après qu’il avait retrouvé sa moto avec les pneus crevés ; sa copine avait déjà quitté leur appartement après un énième accrochage avec les voisins. Lui-même, allait partir en retraite incessamment sous peu, et ne savait pas s’il serait remplacé. Bref, ça se dégradait et ça n’allait pas s’arranger avec l’arrivée des beaux jours…

Un soir que l’ascenseur impair était en panne, je descendis d’un étage pour récupérer le pair, et je tombai nez à nez avec Francis : il fut courtois mais distant. Il partait au boulot, il était impeccablement habillé, il était même très beau. On fit les quatre étages ensemble sans problème. Le baiser raté était définitivement oublié. On s’ignora cordialement, ce qui n’était pas plus mal.

Je me fis la réflexion que je n’avais jamais vu sa femme. D’ailleurs, existait-elle vraiment ? Je ne l’ai jamais su. Ce fut l’une des rares fois où je le croiserais : nos horaires étant tellement décalés qu’il était très difficile de nous rencontrer, surtout par hasard.

Je retrouvai Franck, qui était de plus en plus contrarié, chez Gérard, dans sa loge. Mais cette fois-ci, je sus très vite pourquoi : il venait de s’accrocher avec une de nos voisines qui lui avait demandé de faire sa part de ménage du palier. Gérard ajouta qu’elle s’était déjà plaint que les pédés du cinquième lui avaient manqué de respect.

-          Je vous ai mis ce petit mot dans votre boite aux lettres pour vous demander de passer me voir. Rien de grave. C’est votre voisine qui se plaint de vous. Vous l’avez un peu envoyée sur les roses : elle n’est pas contente.

-          Je n’en ai rien à foutre de cette conne. Daniel a déjà dit qu’on ne fera pas de ménage sur le palier. Si ça lui plait de le faire, c’est son problème. Mais moi, je ne ferai jamais rien. On paie notre loyer, et ça suffit. Point barre… De plus, on n’est pas à l’école : si elle n’est pas contente, elle n’a qu’à nous faire un procès pendant qu'elle y est. Je ne veux plus qu’on nous dérange pour ce genre de connerie.

Je regardais Franck s’énerver, d’ordinaire ça me plaisait beaucoup, parce qu’il était très fort pour rembarrer les gens, mais là, la situation était ridicule. Il ne s’énervait pas à cause d’un vrai problème, mais à cause de la stupidité de notre voisine.

-          Moi, je vous dis ça comme ça, tempéra Gérard. Elle va sûrement en parler au syndic, et en ce moment, ils sont survoltés avec la grève du loyer. Ils ont déployé une banderole qui fait toute la largeur de la tour : c’est bientôt la révolution ici.

-          Je suis content pour eux. On est prêts à les aider, s’il le faut.

-          Je ne pense pas que ça soit une bonne idée.

-          Pourquoi ?

-          Parce qu’ils ne vous aiment pas, tout simplement.

-          Tout ça, est vraiment insupportable. Je passe mon temps à alphabétiser des gens comme les habitants de cette tour, et eux me rejettent parce que je suis homo ? Quelle ingratitude, c’est vraiment intolérable. Il n’y a vraiment que des tarés dans cet immeuble.

Franck était réellement énervé par cette situation. J’essayai de temporiser, mais rien ne semblait le calmer…

Nous eûmes nos premiers désaccords à ce moment-là. Hélas, nous passâmes très vite du désaccord à l’engueulade.

 

Didier Kalionian - le Blog Imaginaire (c) 2021

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