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Didier K. Expérience
18 janvier 2021

Les Paradis Périphériques E.15/34

Paradis Périphériques

Je finissais relativement tôt mon boulot, ce qui me permettait d’être chez moi plus tôt aussi. Je n’avais plus la galère des transports depuis que j’habitais à Aubervilliers. Tout était simple et rapide… Cet après-midi-là, je rentrais tranquillement à pied de la gare de RER Aubervilliers – La Courneuve, lorsque je croisai notre voisin du 11eme, le beau William, qui faisait son jogging. Il eut le temps de faire plusieurs tours de parking avant de me rejoindre devant l’ascenseur.

William me salua en soufflant comme un bœuf. Il était exténué, il avait fait autant de tours de parking qu’il avait pu. Son visage était en sueur, ses vêtements en étaient trempés. On monta tous les deux dans la cabine, et les portes à peine fermées, il enleva son t-shirt. Il se mit torse nu et essuya la sueur avec. Putain qu’il était sexy ! Que cette situation était incroyable, pensais-je… Je le regardais faire, bouche bée… Lorsque je quittai l’ascenseur, arrivé à mon étage, il me fit un clin d’œil amical : lui, n’était gêné en rien. Ce gars était vraiment sympa. Il serait un allié tout le temps qu’on se côtoierait dans l’immeuble.

Une autre surprise m’attendait sur mon palier.

A peine avais-je fait un pas en dehors de la cabine, que j’aperçus une dizaine de gamins, dont les petits noirs du 17 -ème, caleter par la porte des escaliers. J’en avais quand même vu qui avaient collée l’oreille à ma porte. Pourquoi ? Que se passait-il ? En m’approchant pour mettre la clé dans le canon, je vis un énorme « PD » inscrit à la craie.

Je fis demi-tour et allai chercher le gardien. Il constata avec moi ce qu’il y avait d’écrit sur ma porte. Il me promit de s’occuper des gamins… Franck ne rentrait pas avant 20h, ça me laissait plusieurs heures avant de pouvoir lui en parler, en attendant, je ruminais.

-          J’ai lavé la porte, il ne reste rien.

-          C’est un mauvais signe… Tu dis qu’il y en avait qui avaient l’oreille collée à la porte ? Donc, ils voulaient nous écouter pour savoir ce qu’on faisait. Ces mômes ont inscrit ces lettres « PD » sur notre porte et pas sur celles des voisins, donc, c’est bien nous qui étions visés.

Franck avait l’habitude de mener des enquêtes, de démêler le vrai du faux, avec ses stagiaires.

-          Oui, mais ça veut dire quoi ?

-          Ce sont des mômes. Ils ne savent pas ce que ça veut dire exactement, ces lettres. Bien sûr, ils savent que c’est plus ou moins une insulte, mais ils sont trop jeunes pour deviner ce que nous sommes. Donc ce sont des adultes qui en ont parlé. Donc, il y a des adultes, et des parents, qui parlent de nous dans cet immeuble, en ce moment.

-          Oh merde ! Je crois que je commence à comprendre.

-          Oui, ça veut dire qu’ils parlent de nous en des termes pas très sympathiques. On doit tellement être bizarres, que ces mômes ont voulu voir ce qu’on était vraiment.

Franck devait avoir raison : ça se tenait. Ma boule dans le ventre revint illico. Il continua de réfléchir à voix haute.

-          Tu veux que je te dise ? La réaction du gardien est toute aussi bizarre. A mon avis, il sait qui sont ceux qui parlent de nous, et qui surtout, disent du mal de nous.

-          Tu veux dire qu’il est complice ?

-          Soit il est complice, soit il ne veut pas s’en mêler, mais il le sait et ça, j’en suis sûr.

Franck continua ses investigations mentales, en essayant de faire le lien entre ce qui s’était passé cet après-midi-là et le post-it trouvé dans la boite aux lettres quelques jours plus tôt. Il ne découvrit pas ce qui rapprochait ces deux éléments.

L’hiver était sur son déclin et tout s’était relativement bien passé jusque-là. A partir du « tag », notre vie basculerait dans une sorte de cinquième dimension…

On oublia l’incident, il fallait bien de toute façon, mais la vie dans la tour nous surprenait… Nous reçûmes une invitation pour assister à une réunion du Syndic de l’immeuble : cette invitation n’était pas nominative, tous les locataires l’avaient, un simple carton glissé dans la boite aux lettres… Le syndic organisait cette réunion pour mettre en place une riposte face à la nouvelle augmentation des loyers, opérée par le bailleur social, et qui était jugée trop élevée. Franck ne put se libérer le soir prévu ; j’allais donc, seul, affronter la foule.

Le syndic possédait une grande salle au rez-de-chaussée située entre la loge du gardien et l’entrée du local à poubelles.

Effectivement il y avait du monde, l’ambiance était survoltée. On se serait cru dans un meeting politique : l’estrade au fond, le public devant. Je découvris qu’il y avait beaucoup d’habitants que je ne connaissais pas encore, je n’avais jamais vu la majorité des gens qui étaient là ce soir. Dix appartements par étage, sur dix-sept étages... Je fis un rapide calcul en imaginant une moyenne d’habitants par appartement, soit quatre personnes, fois dix appartements, égal quarante personnes, fois dix-sept étages, ça nous donnait environ sept cents personnes : la capacité d’un petit village vertical… Ils n’étaient pas tous présents.

Je me dirigeai vers l’estrade me présenter auprès des membres du syndic. Ils firent le minimum syndical, si je peux m’exprimer ainsi : ils me saluèrent du bout des lèvres, je ne soulevais pas l’enthousiasme. Ils avaient sûrement d’autres chats à fouetter, pensai-je… Au centre de l’estrade je reconnus le président, le fameux « Œil de Moscou », il me serra à peine la main mais il me regarda bien droit dans les yeux : ça me troubla, mais je ne sus pas comment l’interpréter. Il saluait à la chaine, mais il avait pris le temps de me dévisager, sans dire un mot.

La réunion démarra, le silence se fit. Le président parla, ou plutôt harangua son public, qui fut conquis par ce qu’il avait à proposer : plus personne ne devait payer son loyer tant que le bailleur social n’aurait pas renoncé à l’augmentation. C’était simple, mais totalement irréaliste. Cependant, le président remporta une large adhésion à ce projet. L’audience étaient déchainée : ça tournait presque à l’insurrection. Ce n’était pas le moment de donner mon avis, pensai-je…

Je quittai la réunion avant la fin, en saluant le gardien qui se tenait en retrait, devant la porte. Après un léger signe de tête, il me demanda ce que je faisais là.

-          Pourquoi vous êtes venu ? Vous n’êtes pas concerné !

-          Je me sens concerné par la vie de l’immeuble. Ce n’est pas bien ?

-          Pour ceux-là, je n’en suis pas sûr… En fait, l’augmentation ne concerne que ceux qui n’ont jamais eu de réévaluation du loyer depuis au moins vingt ans. Certains ne payent que dix pour cent de ce que vous payez pour le vôtre. Le nouveau bailleur s’est aperçu que ça n’avait jamais été fait, donc il réévalue… Je ne donne pas cher de sa révolution, à l’autre.

Le gardien n’était pas venu soutenir les habitants ! Non, lui était là, officiellement pour ouvrir et fermer la salle, et officieusement pour espionner pour le compte du bailleur.

Je remontai chez nous retrouver Franck, qui était enfin rentré. Il avait sa tête des mauvais jours, que j’attribuai à une dure journée de cours. Mais non, il était un peu contrarié.

-          Regarde ce que j’ai trouvé dans la boite aux lettres ! Un nouveau post-it, avec le même message. « Merci d’arrêté de faire du bruit ! »

Je notai qu’il y avait la même faute, donc, c’était la même personne.

-          Qui cela peut-il être ? Mystère !

On se levait tous les deux vers 6h du matin, et trente minutes après, on était dehors. L’appartement restait vide, et donc sans bruit, jusque vers 17h. Alors, qui pouvions-nous gêner ?

Je racontai à Franck comment s’était déroulé le meeting du syndic. Les raisons de ce meeting, le firent sourire, mais contrairement à moi, il pensait qu’ils avaient des chances de l’emporter. Cela dépendrait du temps qu’ils tiendraient face au bailleur et à ses menaces. De plus, ils avaient le maire avec eux, représenté par le syndic et ses sbires : ça mettait du poids dans la balance.

Cette fois-ci, Franck ne jeta pas le post-it.

 

Didier Kalionian - le Blog Imaginaire (c) 2021

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