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Didier K. Expérience
17 janvier 2021

Les Paradis Périphériques E.14/34

Paradis Périphériques

Hélas ! Nos relations avec les représentants du syndic se détériorèrent rapidement. Ça faisait deux mois qu’on était installés et personne ne s’était déplacé pour faire les réparations auxquelles on avait droit. J’eus la mauvaise idée de m’accrocher avec l’adjoint du président lors d’une énième réclamation téléphonique. Il prenait rendez-vous, ne venait pas, puis prétextait que j’étais absent lors de sa venue : il me joua cette partition deux fois. Il fallut toute l’habileté diplomatique de Franck pour débloquer la situation. Deux ouvriers vinrent au troisième rendez-vous, avec le gardien, firent les réparations rapidement, mais uniquement ce qu’on avait demandé, ils n’avaient pas le temps pour les autres contrôles. Le rendez-vous fut factuel et froid. Après leur départ, le gardien qui était resté, me fit remarquer :

-          Vous avez été un peu maladroit avec eux. C’était fait exprès ?

-          Quelle maladresse ? J’ai été courtois et poli. Que pouvais-je faire de plus ?

-          Ils se sont déplacés pour vous en priorité, il y a beaucoup d’appartements dans la cité. Ils ont beaucoup de travail. Vous auriez pu faire un geste.

-          Qu’est-ce que vous insinuez ?

-          Bah ! Vous savez bien, quoi !... Un petit geste, quoi !

-          Fallait que je paye ? Mais je croyais que c’était gratuit !

-          C’est un service gratuit !... Enfin, ce n’est pas grave.

Il me fallut plusieurs minutes pour comprendre ce qu’il me disait à mots couverts : il fallait que je donne un pourboire. Dans ma tête, c’était clair, il n’en était pas question.

Enfin, les réparations avaient été faites, il ne restait plus qu’à planifier les futurs travaux : les peintures pour la cuisine et la salle de bain, le papier peint pour la chambre et la grande salle. Franck envisageait de s’y attaquer au printemps, ce qui nous permettait de choisir les produits et les couleurs tranquillement.

En sortant de l’appartement, je vis pour la première fois mon voisin du bout du palier. Un gars assez jeune, d’une trentaine d’années, survêtement et casquette vissée sur la tête… Le gardien le regarda se diriger vers l’ascenseur sans le saluer. Manifestement, il y avait de la tension entre eux deux. Ce gars fut courtois avec moi, sans plus, mais j’étais content de voir qu’il n’y avait pas que des vieux à notre étage.

Si le téléphone relie les hommes, l’ascenseur est bien plus avantageux : on monte dedans. Pourtant, le gardien préféra descendre les cinq étages à pied que de passer quelques minutes avec mon voisin et moi… Durant notre descente, on resta l’un à côté de l’autre en chiens de faïence. Il triturait son briquet, il se préparait à fumer. Il n’avait pas l’air méchant, ni désagréable, il était juste muet. Bon, c’était un premier contact, je me promis de faire mieux la prochaine fois.

Dès que nous arrivâmes au rez-de-chaussée, le gars sortit le premier et se dirigea vers le local à poubelles : c’est là qu’il faisait sa pause clope, pensai-je. Décidément, les gens avaient de drôles d’habitudes dans cet immeuble…

Le lobby était plein, comme chaque jour d’ailleurs. Quelque part, ça remplaçait la place du village, c’était le passage obligé de ceux qui entraient et de ceux qui sortaient, le boucan en plus… En sortant de la tour, je remarquai une silhouette très attractive pour mes yeux : un jeune gars en tenue de motard, en jeans moulant, une coupe de cheveux à la G.I… ça faisait déjà quelques mois qu’on habitait là et je ne l’avais jamais vu avant. Ce fut une bonne surprise : il n’y avait pas que des laissés pour compte dans cette tour ! Il s’employait à garer sa grosse moto lorsque je passai devant lui. On se salua cordialement, sans plus, mais ça me suffisait. Je le croiserais bien un de ces soirs, en rentrant du boulot. En attendant, il rentrait et moi, je sortais.

Un soir que je revenais d’une course, je le vis qui engueulait copieusement les petits noirs du 17 -ème. Lui, les insultait et eux, lui crachaient dessus en courant tout autour, insaisissables. Ils tournaient autour de lui et sa moto tels les indiens autour des chariots des pionniers, lui leur promettait l’enfer s’ils touchaient à son bolide. Il fallut l’intervention du gardien pour qu’ils le laissent tranquille… Le gars me rejoignit devant la porte de l’ascenseur. Il était encore énervé mais sa colère était en train de se dissiper : il savait que c’était un jeu pour ces enfants. Le casque sous le bras, il enleva ses gants pour me serrer la main. Je me sentis empoté tout d’un coup, je ne savais plus quoi faire de mes sacs. Ça le fit sourire, il se présenta.

-          Bonsoir, je m’appelle William. Je viens d’emménager au 11 -ème. Qu’est-ce qu’ils sont chiants, ces mômes, ce n’est pas croyable.

-          Bonsoir, moi c’est Daniel, dis-je tout penaud. Je suis au 5 -ème.

-          Ça va au 5 -ème ? Parce qu’au 11 -ème, il n’y a que des problèmes. C’est le bordel tous les soirs. Enfin, le gardien m’a dit que ça allait se calmer. Je n’ai pas envie de redéménager tout de suite.

-          Oui, ça va ! pas de souci pour le moment.

Il devait avoir entre vingt-cinq et trente ans, et il était beau comme tout : un vrai mannequin. Je devinais une corpulence de sportif sous son blouson de cuir… Etant donné la misère que je croisais tous les jours, j’avais l’impression qu’il y avait une erreur de casting dans cette tour. Qu’est-ce qu’il faisait ici ? me demandais-je … La cabine arriva, par chance il s’agissait de l’ascenseur impair, on le prendrait ensemble… Enfin, pas tout de suite. En ouvrant la porte, on s’aperçut qu’il y avait plein de crachats au sol. En levant les yeux, on vit aussi que le plafond en était maculé : ceux du sol provenaient du plafond. Là, on exprima notre écœurement en même temps ! Quelqu’un s’était amusé à tapisser de mollards la cabine pendant un voyage, et c’était récent. William ne fut pas long à accuser les petits noirs qui l’avaient harcelé quelques minutes plus tôt. Il appela le gardien qui était encore dans sa loge.

-          Venez voir ça, Gérard !

Il connaissait son prénom : intéressant !

-          Bordel ! Y en a qui n’ont rien à foutre dans la vie. Ce n’est pas possible de voir ça. Ne bougez pas. Je reviens avec le balai-serpillère. J’en ai pour deux minutes.

Gérard, le gardien, mit un coup de serpillère sur le sol et le plafond.

William se risqua.

-          Ce n’est pas un coup de ces mômes, ceux qui m’emmerdaient tout à l’heure ?

-          Ça, je n’en sais rien. Ils me paraissent un peu petits pour ce genre de jeu. Je préfère ne pas accuser sans savoir.

-          Tu sais Gérard, s’il faut que je vous accompagne pour voir les parents. On le règlera peut-être définitivement, ce problème.

-          Non ! Vaut mieux pas. Je vous remercie William… C’est écœurant de voir ça !

Eh ben ! J’avais découvert qu’on pouvait tapisser de crachats une cabine d’ascenseur, et que William, tout beau garçon qu’il était, était aussi un bagarreur potentiel. Je sus plus tard, par le gardien, qu’il faisait partie de l’équipe de football américain d’Aubervilliers, et qu’il était logé par la ville.

On commençait tout doucement à prendre nos marques dans l’immeuble et dans la ville : ça nous changeait de Livry-Gargan où il ne se passait jamais rien… Un soir, qu’il rentrait du boulot un peu plus tôt que prévu, Franck avait remonté le courrier. Il vint me voir, dubitatif.

-          Dis-moi ! Parmi les lettres que j’ai remontées, il y avait un petit mot, tu l’as vu ?

-          Euh non ! Quel mot ?

Franck me montra un post-it sur lequel était écrit : « merci d’arrêté de faire du bruit ! »

-          Ce n’est pas signé. Donc, ça n’a pas de valeur. Qui aurait pu nous mettre ce mot dans notre boite ? Et puis, quel bruit ferions-nous qui gênerait tant que ça un de nos voisins ?

-          Je pense que c’est une erreur. Ce mot ne doit pas être pour nous. On s’en fout.

Franck jeta le post-it. On verrait bien s’il y en aurait un autre plus tard. Cependant Franck était de nature méfiante et parfois, craintive. Ce mot ne le rassurait pas. Je fis comme s’il ne s’était rien passé. Ce n’était rien qu’un bout de papier avec quelques mots écrit au stylo bille, mal orthographié, qui plus est. Donc peut-être le jeu d’un gamin peu subtil, ou plus sûrement, une erreur de boite aux lettres.

Ce soir-là, c’était mon tour d’aller jeter le sac poubelle. Le local se trouvait à l’opposé de l’entrée de l’immeuble : c’était sale, ça sentait mauvais, il fallait vraiment avoir quelque chose à faire pour y aller. Il n’était pas très tard, mais en entrant dans le lieu, qui n’était pas très éclairé, je distinguai deux personnes qui s’y trouvaient déjà. Je reconnus tout de suite l’un deux : mon jeune voisin à casquette, qui était en train d’échanger quelque chose avec un inconnu. Je les avais surpris en plein deal, compris-je.

J’ai salué et jeté mon sac dans le premier container, puis je suis ressorti le plus vite que j’ai pu. Cependant, j’avais noté le regard de mon voisin : il savait que j’avais tout vu. Je ne savais pas ce qu’il dealait, mais il était évident que ce n’était pas des cacahuètes. Je comprenais l’attitude du gardien, maintenant : lui aussi, savait ce qui se passait le soir dans le local à poubelles.

Je rentrai précipitamment et j’en parlai de suite à Franck. Curieusement ça ne lui fit aucun effet, alors qu’il s’inquiétait pour le mot dans la boite aux lettres. Moi, j’étais remué.

-          Ne t’inquiète pas ! me dit-il. Ce n’est pas très grave. Je vais t’expliquer. Notre gentil voisin t’a vu, mais il sait que tu l’as vu aussi : donc, un partout. Ça neutralise la situation : il ne se passera rien. Mais, on peut aussi s’en faire un ami.

-          Un ami ? Comment ça ?

-          Ne bouge pas ! Je reviens dans cinq minutes.

Il mit son blouson bomber, sa casquette de baseball, et quitta l’appartement. Il avait l’habitude de négocier avec ses élèves ou des stagiaires récalcitrants, mais là, je ne savais pas ce qu’il pouvait faire : j’étais sur les nerfs et à deux doigts d’aller le rejoindre. Sauf que je ne savais pas où il était parti.

Il mit bien plus de cinq minutes à revenir, mais il était content de lui.

-          Voilà ! Nous avons un nouvel ami dans l’immeuble.

-          Comment ça ?

Il ouvrit la main et je vis dans sa paume, un cube d’aluminium.

-          Hier soir, quand je suis allé jeter la poubelle, j’ai senti une odeur d’herbe mais je n’ai vu personne. Là, c’est clair que c’est notre voisin qui deale des barrettes de shit. En fait, j’ai acheté notre tranquillité, et en plus, elle est bonne.

J’étais sur le cul.

-          Quand je suis arrivé, il était en train de fumer, je lui ai demandé si je pouvais tirer une taffe, il a accepté et il m’a proposé une barrette : 100 Fr. Affaire conclue… J’aime bien fumer un petit joint le soir, ça détend. Je ne pensais pas en trouver à domicile.

-          Et il a accepté, comme ça ? … Vous avez parlé ?

-          Il a accepté… On n’a quasiment pas échangé… C’est un bon compromis. Maintenant, il sait qu’on ne bavera pas. On est tranquilles.

Dès le lendemain soir, je croisai notre voisin sur le palier, qui se fendit d’un salut de tête et d’un sourire franc. Ce n’était pas grand-chose, mais ça me rassurait.

 

Didier Kalionian - le Blog Imaginaire (c) 2021

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