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Didier K. Expérience
18 avril 2023

Promène-moi Dans Les Bois - E.18/32

Promène-moi

Je me suis affairé toute la journée dans mon jardin. J’ai dépoussiéré la tondeuse qui n’avait pas roulé depuis des lustres, mais qui a démarré au quart de tour. Le bruit pétaradant du moteur m’a réjoui, et l’odeur d’essence brulée, mêlée à l’herbe coupée aussi. J’ai poussé l’engin pendant deux bonnes heures de long en large. Cependant, j’ai fatigué assez vite ; je n’ai pas pu ramasser le foin, je le ferai demain. Sur les coups de midi, je me suis installé tranquillement à ma table, dehors sous le parasol, j’y serais bien resté toute la journée. Je me suis contenté d’un sandwich jambon-fromage, mais il était formidable. Peut-on dire qu’un sandwich est formidable ? Pourquoi ne pourrait-on pas ! Après tout, si ça me plait de le penser et de vous le dire.

J’ai déjà une vie de retraité alors que je n’y suis pas encore. Je m’efforce de croire que ça me plait, mais je ne suis pas sûr que ce positivisme forcené fonctionne réellement. J’aimerais éviter d’y penser, ça revient en boucle dans ma tête… J’ai mis en place un plan pour planter des massifs de fleurs et redessiner mon jardin complètement. Pour le moment, ça bouillonne dans mon cerveau, les idées fusent, souvent contradictoires, j’ai un peu l’impression de devenir Le Nôtre. Enfin, ce n’est qu’une impression car je n’ai pas l’ambition de concurrencer le jardinier de Louis XIV non plus, mais ça entretient ma motivation. Quand j’aurai fini de dessiner ce plan, je n’aurai plus qu’à le mettre en œuvre. Je n’arrive pas encore à me décider sur ce que je veux faire, c’est encore confus, mais le projet avance, j’en suis sûr. Cependant, si Le Nôtre avait vu mes dessins, je crois qu’il se serait arraché la perruque de dépit…

Je veux montrer que j’ai changé : sauf que je ne sais pas à qui je veux le prouver. Tiens ! Voilà un nouveau problème… En fait, si je sais ! Pas la peine de tergiverser plus longtemps, j’ai de nouveau Josiane qui me trotte dans la tête, je devrais dire qui me hante, car elle ne me quitte pas vraiment. C’est très curieux comme situation, je ne m’y attendais pas. Ce bout de bonne femme que j’ai à peine connu, m’influencerait-elle plus que prévu ? Pour le moment, je n’ai pas la réponse. Je réalise que ça m’occupe d’y penser, mais que ça ne m’aide pas à combler ma solitude, qui se révèle dans toute sa splendeur, également. Intellectuellement, c’est sympa d’avoir une amie imaginaire, mais ça ne remplace pas une amie, tout court. Je régresse, je retourne en enfance. Décidément, il ne fait pas bon vieillir surtout quand on n’a plus la santé… Peut-être que c’est ça mon problème ? Je devrais voir mes amis et ma famille, ça serait plus simple.

Voilà une autre question qui se forme, maintenant. Pourquoi devrais-je voir mes amis et ma famille ? Sont-ils seulement venus me voir à l’hôpital ? Pas un ne s’y est montré ! Bien sûr, j’ai reçu des centaines de textos, auxquels j’ai fini par répondre, mais ces petits messages ne remplacent pas une présence, ou alors, je ne suis pas en adéquation avec mon époque. Serais-je largué ? Comme disent les jeunes !... Et pourquoi devrais-je m’inquiéter de leur vie ? C’est vrai, mon beau-frère et ma sœur m’ont conduit à l’hôpital, mais parce qu’ils étaient là le soir de mon attaque, sinon, je serais sûrement à six pieds sous terre, maintenant. En fait, je culpabilise pour des gens qui ne s’inquiètent pas plus que ça de mon état de santé : c’est bien ma veine de connaitre des individus aussi peu concernés par les autres. Mais on a les amis qu’on mérite !

Bon, j’en ai marre de soliloquer dans mon coin, je vais finir par m’énerver tout seul.

En milieu d’après-midi, je ressens une petite fatigue, et la chaleur n’aide pas, je somnole debout. C’est le moment de faire une pause dans mon programme. Justement, la suite de ce déroulé, c’est de faire une sieste. Tout ce que je détestais quand j’étais hospitalisé, mais que j’affectionnerais plutôt, maintenant… Je sors mon transat et je vais m’installer sous le saule pleureur, dont les branches trainent par terre, mais j’aime être entouré de ses lianes que je juge bienfaisantes, désormais.

Je m’assure d’avoir bu suffisamment d’eau avant de me poser dans le fauteuil. Une vraie sieste ne se fait pas n’importe comment, ça se prépare méticuleusement, c’est sérieux le repos. Je règle ma montre, je ne dois pas dépasser les trente minutes, sinon je vais partir pour faire ma nuit… Voilà, tout est prêt. Je m’allonge, bien à l’ombre, entouré par les branches légères du saule battues par un léger vent, pas une nuisance sonore si ce n’est les insectes qui tourbillonnent et dont le bruit me ravit. Je ferme les yeux, je me laisse porter par cette petite musique, je m’enfonce doucement dans cette délicieuse torpeur, je m’endors.

Ça fait sûrement quelques minutes quand j’entends clairement une voix qui me parle. Serais-je encore conscient ?

-          Alors, on est bien, là ?

Je balbutie quelque chose, je ne m’entends pas parler, mais je sais que je bouge les lèvres.

-          Vous ne voyez pas que je dors ?

-          Si, je le vois bien, sinon, je ne vous parlerais pas.

-          Mais foutez-moi la paix, nom de Dieu !

-          Je vois que vous êtes toujours aussi excessif…

Je sursaute, il faut que je sache qui ose me déranger, et pire que tout, qui serait rentré chez moi ? Je lève une paupière, il n’y a personne. J’ai les yeux qui collent, je ne comprends pas ce qui se passe. J’ai dû rêver, je suis tombé dans le sommeil paradoxal très rapidement, en fait. Je ne vais quand même pas m’inquiéter de faire des rêves, ça serait le bouquet… Ensuqué, je me tourne sur le flanc, je repars au pays des songes, il me reste encore du temps.

-          Voilà, calmez-vous ! Sinon, on ne pourra pas établir une connexion pérenne… Je vous laisse. A plus tard…

Cette voix est encore là, mais je ne l’entends quasiment pas. C’est très faible, comme un écho qui ne résonnerait plus. J’ai l’impression de flotter dans l’espace. Je rêve que je dors, c’est indéniable.

L’alarme de ma montre sonne l’heure du réveil : la sieste est finie. S’il n’y avait pas eu cette interruption momentanée, j’aurais pu qualifier ma première sieste de grande réussite. Je pense que c’est dû au Lysanxia, il doit y avoir des résidus dans mon organisme qui continuent d’agir. Je ne me sens plus du tout stressé, donc, je n’ai plus de raison de recourir à un décontractant. J’éviterai le café avant de me coucher, c’est tout.

Pendant un court instant, j’ai vraiment cru que quelqu’un me parlait : ce qui signifiait qu’un intrus était dans mon jardin, chez moi. C’est vraiment marrant les rêves. On ne peut pas les diriger, on s’en souvient rarement, et quand on s’en souvient, on en comprend vaguement la signification.

Je me lève, je sors de sous les branches du saule, je range le transat dans le cabanon. Il n’est pas bien tard, mais je n’ai plus envie de faire quoi que ce soit. Je ramasse les outils que j’avais sortis pour m’occuper de la tondeuse. Je jette un petit coup d’œil à la surface que j’ai tondue, je sais qu’il faudra que je ratisse l’herbe coupée, sinon, le vent s’en chargera et l’éparpillera aux quatre coins.

Je contemple un moment le travail que j’ai accompli aujourd’hui, tel un général sur son champ de bataille. Eh oui ! Rien de moins ! Je me sens fier de moi, c’est déjà ça. J’avais peur de n’être plus utile à la société, alors qu’en fait, ce qui importe c’est d’être utile à soi-même, le reste c’est de la littérature de comptoir ou du brassage d’air.

Après ces bonnes paroles distillées à tout ce qui pousse dans mon jardin, je rentre me faire un thé à la menthe, je ne sais pas pourquoi, j’en ai subitement envie... Je fais bouillir l’eau dans ma vieille bouilloire Ikea, je mets le thé dans le panier de la théière, j’y ajoute des feuilles de menthe que j’ai récupérées dans mon petit potager, cet après-midi… Je verse l’eau chaude qui change de couleur instantanément au contact du mélange de feuilles. Ça fume mais ça ne sent pas grand-chose. Je laisse infuser quelques minutes, puis je me verse une première tasse. Cette fois-ci, la couleur me saute aux yeux, une sorte de vert-de-gris et ça sent bon la chlorophylle. Si je m’attendais à voir ressurgir du réséda dans une mes tasses, j’aurais peut-être choisi autre chose comme boisson. Cependant, c’est aussi la couleur de la nature, ce n’est pas ma faute si les militaires ont adopté des dégradés de verts comme tenues de camouflage. C’est aussi un paradoxe, car la nature ne détruit rien alors que les militaires ne font que ça.

J’ai l’impression de forcer le trait et d’être devenu plus écologiste que les écolos eux-mêmes. Depuis que j’ai serré un arbre dans mes bras, j’ai changé de fibre, ma nouvelle écorce est en train de remplacer ma vieille peau et ça me plait…

C’est bon le thé : ça m’inspire, faudra que j’en fasse plus souvent.

En attendant de diner, j’allume la télé. Je zappe parmi les cinquante chaines qui sont à ma disposition, je m’attarde sur quelques émissions. Je m’enfonce dans mon canapé, je me sens bien, la télécommande à la main, j’ai l’air d’un César dans sa loge impériale quand j’appuie sur la touche « Plus ». Je tombe sur une rediffusion d’une émission de Laurent Ruquier, je l’aime bien ce présentateur. Ce soir, il a comme invitée Isabelle Adjani, elle aussi, je l’aime bien, ça me fait plaisir de la revoir… Je m’enfonce un peu plus dans le canapé, je suis littéralement vautré. Les images me happent, me captent, le son m’enveloppe, le tout m’hypnotise, c’est la magie de la technologie, sûrement. Je suis engourdi dans cette position mais je suis bien, je ne bouge plus.

Je ne sens plus mon corps, je ne suis plus qu’un cerveau, je suis comme en apesanteur. Il fait bon ce soir, je ne me suis même pas rendu compte que la nuit était tombée, seul l’écran illumine la pièce. Je suis dans le noir, mais l’émission m’éclaire par des flashes de lumière tantôt bleus, tantôt blancs, c’est très cru… Je n’ai toujours pas dîné, mais je n’ai pas envie de me lever, je suis bien assis, presque allongé. Cependant, mes yeux clignent de plus en plus et pleurent légèrement. Je n’arrive plus à suivre, j’ai des absences tout d’un coup, je crois que je m’endors.

-          Eh ben dis donc ! Ça n’aura pas duré longtemps cette fibre écologique. Cette maudite télé est le mal incarné. Vous n’avez toujours pas compris ?

Voilà que j’entends encore cette voix. Je me réveille dans un ronflement, c’est-à-dire, que c’est moi qui ronfle. Donc, je dormais, là !

Effectivement, c’est la pub, je n’ai quasiment rien suivi, je ne me rappelle de rien, d’ailleurs. Qu'elles sont connes ces émissions, en fin de compte ! C’est vrai quoi ! Pourtant, il n’y en a qu’une que je m’interdis de regarder, c’est le télé-achat : ça me rappelle trop mon séjour à l’hôpital…

J’ai faim, mais maintenant, j’ai la flemme de faire à manger. Je vais aller me coucher, ça ira bien comme ça, je suis fourbu… J’ai du mal à me lever tellement je suis engourdi, j’ai dû prendre vingt ans de plus avec cet infarctus. J’allume la lumière et j’éteins la télé. Le silence se fait d’un coup dans la pièce, qui est ensuite envahi par le bruit de la nuit. Je monte me coucher en trainant les pieds, cette journée m’a éreinté.

 

Didier Kalionian - le Blog Imaginaire (c) 2019 - 2020

Crédit photo - Didier Kalionian "Soleil Couchant" Instagram (c) 2020

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