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Didier K. Expérience
11 janvier 2021

Les Paradis Périphériques E.8/34

Paradis Périphériques

On était samedi, je pris la décision de retourner au sauna pour essayer de le revoir, si jamais il avait eu la bonne idée d’y revenir.

Ce fut une des plus mauvaises idées de ma jeune vie. Le sauna m’apparut dans sa réalité glauque. J’arrivai sur les coups de 20h, il y avait déjà du monde. Aucun garçon ne m’intéressait, je cherchais Ibrahim. J’avais fait le tour de toutes les cabines, il ne me restait plus qu’à l’attendre dans les vestiaires. S’il devait venir, on ne pourrait pas se rater.

Il ne vint pas.

Vers 22h, je décidai de rentrer chez moi. J’étais bien trop triste pour consommer : le sexe me dégoutait tout d’un coup.

Il n’y avait plus rien de magique dans ma vie : la réalité y était froide et sombre, la Gare du Nord plus crasseuse que jamais et mon fin fond de banlieue plus désespéré. Mon studio était devenu minable, je me sentais minable. Une fois chez moi, je me mis au lit pour n’en sortir que le lundi matin. J’étais lessivé par cette expérience. Je ne pensais pas mériter une telle humiliation, car oui, je me sentais humilié par Ibrahim.

J’étais vexé.

J’étais tellement dégouté que je décidai de ne plus retourner au Subway pendant un moment. A la place, j’allais au Bar Bi, rue Sainte Croix de la Bretonnerie, dans le 4eme arrondissement...

La salle était assez petite, une cinquantaine de mètres carrés. Le comptoir se trouvait tout de suite sur la droite, en rentrant. Les deux barmans qui officiaient, deux jeunes mecs parfaitement glabres, un blond et un brun, étaient toujours torses nus et affichaient une impressionnante musculature : des biceps énormes et des pectoraux dignes des gladiateurs dans le film « Spartacus ». Des machines à muscles pour servir nos fantasmes et la bière.

Ce soir-là, c’était un mardi, à peine une dizaine de personnes s’entassaient mollement près du comptoir, pour admirer les armoires à glaces bodybuildées, tout en se dandinant sur les tubes House-music du moment… J’étais assis à un bout du comptoir, sirotant sans passion ma pinte. Il était près de 20h et je m’ennuyais sévèrement. Je n’avais pas pu amorcer la moindre discussion avec qui que ce soit. Il y a des soirs comme ça où rien ne marche. Depuis qu’Ibrahim avait disparu, je n’arrivais à rien.

Je m’installai le plus souvent au bout du comptoir pour éviter d’être envahi par la fumée de cigarette… La cigarette semblait un accessoire très pratique pour essayer de calmer son stress, sauf que ça ne marchait pas pour moi. C’était aussi un prétexte pour engager la conversation, mais comme je ne fumais pas, on m’abordait rarement pour m’en proposer ou m'en taxer une… Le stress d’être homo, puis d’être dans un bar gay, puis de vouloir rencontrer son alter ego à tout prix, rendait service à bon nombre de bureaux de tabac… Moi, je me sentais bien dans les bars gays, je me sentais chez moi, en famille et en sécurité. J’avais envie d’y passer ma vie. Seulement, je n’imaginais pas devoir y retourner aussi vite.

Être assis au bout du comptoir me permettait aussi de tout surveiller, tout en restant un peu à l’écart. Ce soir-là, j’observai le spectacle en regardant l’horloge d’un air songeur. En détachant mon regard des deux barmans, je m’aperçus qu’un gars me regardait aussi. Il était habillé plutôt classique : chemise blanche, pantalon de toile et chaussures de ville. Sa coupe de cheveux me fit sourire : châtain clair avec la raie au milieu et des chiens sur le front, comme si Patrick Juvet était encore à la mode. Il était plaisant, il me regardait plutôt avec insistance, ce qui était un assez bon signe… Il s’approcha de moi et posa son verre devant le mien. Sans rien demander, il s’assit sur un tabouret libre à côté de moi. Donc, je n’étais pas si nul que ça. Il engagea la conversation :

-           Je suis certain qu’on aime la même musique toi et moi, dit-il sûr de lui.

-           Ça ! Ça m’étonnerait beaucoup.

-           Je pense que tu écoutes du classique et que tu aimes Wagner.

En entendant ces mots, j’éclatai gentiment de rire, mais sans me moquer de lui. Non, je ne voulais pas me moquer, il me plaisait dans son genre et j’avais envie de continuer à parler. J’avais envie de voir venir et de mesurer sa surprise.

-          Je n’écoute pas de musique classique du tout, mais du rock.

En guise de réponse il s’approcha lentement de moi et m’embrassa sur la bouche. Il m’avait pris la bouche en m’avalant les lèvres. Goulument. Ça me plut énormément. Mon baromètre intime m’indiquait clairement que j’avais attrapé un poisson dans mon filet. Je lui rendis son baiser sur le même mode, mais en plus humide, puis je me présentai. Lui s’appelait Jean-Marc et on avait le même âge. Je lui proposai d’aller faire un tour aux toilettes pour s’amuser un peu, histoire de comparer la marchandise en toute intimité. Il refusa.

Je proposai d’aller chez lui ou chez moi. Seulement, à partir de là, les problèmes commencèrent. Il fallut lui dire que j’habitais au fin fond du monde : à Livry-Gargan. J’avais mon studio, ce qui était plutôt pratique pour emporter ses conquêtes car à 25 ans, beaucoup de mecs habitaient encore chez leurs parents. Si le week-end ça allait, en semaine ça ne marchait quasiment jamais.

Lui, habitait à Fontenay, à l’opposé et ne savait absolument pas où se trouvait Livry-Gargan.

-          J’ai une voiture. Si tu veux, je peux te raccompagner ? dit-il pourtant finalement.

-          Ok, ça marche. C’est rapide par l’A86. En moins de trente minutes, on y sera.

Donc, on irait chez moi. Voilà qui n’était pas banal car Fontenay était bien plus proche de Paris que Livry. J’étais étonné mais j’acceptais son offre. Après tout, pourquoi pas.

Dans la voiture, il alluma la radio et choisit Radio FG. Quel hasard ! pensai-je ironiquement. Il n’avait que des cassettes de classique dans son autoradio, mais on fit le trajet sur de la House-music, comme tous les pédés de base.

Chez moi, je lui proposai quelque chose à boire. Il déclina l’offre. Alors, j’entrepris de l’embrasser, mais il me repoussa, il voulait qu’on attende un peu. Il était fatigué et préférait qu’on se détende avant de passer aux choses sérieuses. Il finit par s’assoir sur mon lit… Puis, au bout de quelques minutes, se releva tout en me repoussant gentiment du bout des doigts. Il ne voulait vraiment pas m’embrasser tout de suite. Il se mit à inspecter les étagères où étaient entassés mes livres et mes CDs, qu’il jaugea sans émettre d’avis.

Il fit un rapide tour de mon studio.

Puis il se rassit sur le lit et m’annonça qu’il voulait rentrer : il était trop fatigué, en fin de compte. Je n’étais pas trop d’accord car j’avais accepté de le suivre pour rentrer chez moi, alors que j’aurais pu rester encore un peu dans le Marais. Du coup, il me prit dans ses bras et m’embrassa aussi goulument que dans le bar. Il mit un peu plus de passion, on resta un long moment sans nous décoller. Ma langue faisait des tours dans sa bouche et vice versa. C’était bon et plaisant. J’en avais tellement envie.

Mais il finit par me repousser gentiment :

-          Excuse-moi. Il faut que je rentre. Je n’aurais pas dû venir, je suis fatigué, dit-il piteusement.

-          Ben, ce n’est pas très cool ça ! Il est à peine 22h, on a encore le temps pour faire quelque chose ensemble.

-          Désolé ! Ce n’est pas possible. Tu n’es pas mon genre. Je me suis trompé. Je te laisse mon numéro de tel. On pourra se revoir.

-          Pas la peine. Je sais très bien qu’on ne se reverra pas. Ne te fatigue pas, j’ai l’habitude. Merci pour la promenade en voiture, dis-je très déçu en refermant la porte.

Il quitta mon studio en un coup de vent. J’étais abasourdi car on ne m’avait jamais encore fait ce genre de plan. Que voulait-il à la fin ? C’est déjà dur de draguer et de ramener quelqu’un chez soi, mais une fois que c’est fait, pour quelle raison valable ne pouvait-on plus coucher ensemble ?

En fait, la révélation me vint dans la nuit. Jean-Marc devait rechercher le grand amour, l’homme de sa vie ou quelque chose comme ça et je n’étais pas le bon candidat. Il ne m’avait pas raccompagné chez moi pour m’éviter de prendre les transports en commun. Il voulait voir à quoi ressemblait mon studio pour se faire une idée de qui j’étais vraiment. Et pour lui, je n’étais pas assez digne, même pas assez bon pour coucher avec. Bien sûr, mes livres ne devaient pas être assez intellectuels et mon style de musique le rebutait sûrement. Il vérifiait l’emballage du paquet et les étiquettes n’étaient pas assez classe pour lui. Ce qui me sidéra, c’est la rapidité avec laquelle il m’avait jugé. Bref, encore un connard !

Celui-là ne compta pas vraiment. On n’avait fait que s’embrasser et ça avait tourné au vinaigre très vite. Pourtant, j’avais besoin d’une nouvelle expérience pour redémarrer après l’échec avec Ibrahim. Or, je n’avais pas réussi à conclure.

Je ne voyais pas comment j’allais inverser la tendance : ça devenait même un gros problème.

 

Didier Kalionian - le Blog Imaginaire (c) 2021

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