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Didier K. Expérience
9 janvier 2021

Les Paradis Périphériques E.6/34

Paradis Périphériques

On se réveilla sur les coups de 10h, ce dimanche-là. Cette fois-ci, il ne fut pas question de baiser les yeux à peine ouverts. Eh non ! Ibrahim voulait un café. Cependant, il était aussi hors de question de ne pas se câliner avant de prendre un petit- déjeuner. Il se laissa faire de toute façon : rien ne vaut une fellation le matin… La nuit avait été fraiche et malgré le chauffage, il fallut s’habiller vite avant que la chaleur ne remonte à un niveau acceptable. Je lui proposais de sortir pour le café car je n’avais que du thé. Je sentis bien que ça le contrariait. Il opta pour le thé par défaut.

-          Tu ne préfères pas boire un café dehors, il y a un bar ouvert le dimanche, tout près d’ici ?

-          Non, merci ! Ça ira bien comme ça.

-          Si c’est une question d’argent, il n’y a aucun problème. Je t’invite.

-          C’est très gentil, mais je ne préfère pas.

Donc, c’était une question d’argent. Du reste, il ne me remboursa pas sa part du petit déjeuner du Café Capucine. Jamais.

Le dimanche passerait agréablement : on écoutait de la musique, du Barbara principalement. Il était à peine 13h quand il me demanda de le raccompagner à la gare de Sevran-Livry : il avait des devoirs à faire, il fallait qu’il révise, etc. J’étais en panique, je n’avais pas prévu qu’il puisse me quitter aussi vite. Drôle de week-end, qui n’était en fait que deux demi-journées. Mais je devais le laisser partir si je voulais le revoir. C’était la condition pour qu’il se sente libre.

Sur le quai du RER B, il me dit qu’il avait passé un excellent moment et qu’on se referait ça :

-          C’était super ! Merci pour ce week-end. J’ai adoré être avec toi.

-          On se verra cette semaine ?

-          Malheureusement, je dois travailler mes cours, mais on s’appelle un de ces soirs ! Si tu es d’accords, on se revoit chez toi, la semaine prochaine ?

-          Oui, bien sûr ! On s’organisera mieux. On fera l’amour toute la journée, s’il le faut !

Le train arriva et une irrépressible envie de l’embrasser une dernière fois me tenailla, mais comme la première fois, il coupa court en me tendant la main. Je la lui pris mais je n’avais plus envie de la lâcher. Ça le fit rire, il fallut quand même que je desserre les doigts… Quand le train fut parti, je me retrouvai seul sur le quai, désœuvré, avec un sentiment d’abandon.

J’étais content de mon week-end, malgré tout. Je n’en avais jamais vécu de pareil...

Ma journée du lundi fut plutôt calme, j’avais Ibrahim en tête, je ne pensais qu’à lui. Une collègue m’avoua qu’elle me trouvait changé, comme quelqu’un qui était amoureux. Je lui souris en guise de réponse et elle le prit comme une confirmation. Tant mieux ! me dis-je, sans en révéler plus. Elle espérait voir une photo de ma nouvelle petite copine un de ces jours. Ce qui me fit rire, mais je continuai à ne rien dire.

Si j'étais pour le coming-out en général, je n’y étais pas forcément favorable dans l’entreprise. La mienne ne montrait aucun signe d’homophobie, mais il n’y avait aucun signe positif non plus. Je préférais rester prudent.

Quand je suis amoureux, je suis obsédé, et Ibrahim m’obsédait. Je rêvais de lui, je me parlais de lui… Ce lundi soir-là, je ne savais plus si c’était bien ou inutile de l’appeler car le souvenir du week-end était encore très proche. En fin de compte, après une rude bataille contre moi-même, je renonçais.

En revanche, le mardi soir, je ne tenais plus. Il fallait que j’entende sa voix à défaut de pouvoir le toucher.

-          Allo ? Pourrais-je parler à Ibrahim, s’il vous plait ? dis-je en reconnaissant sa belle-mère.

-          Un instant. Je vais voir s’il est là, répondit-elle.

J’entendis quelqu’un manipuler le combiné puis le reposer sur une table.

-          Allo ? Ibrahim à l’appareil.

-          Oui, c’est moi, comment tu vas ?

-          Ça va, ça va, mais je suis débordé de travail. Je ne peux pas te parler longtemps. Ma belle-mère est là aussi. Désolé.

-          C’est toujours d’accord pour samedi prochain ?

-          Bien sûr. A la même heure. Fais comme tu voudras, ça sera parfait. Il faut que je raccroche, dit-il précipitamment.

Je me sentais moins frustré que la première fois, mais je n’étais pas satisfait non-plus. Il y avait manifestement un problème avec ses parents, surtout avec sa belle-mère. J’avais peur que ça gâche nos rencontres.

Les jours de la semaine n’existaient plus, seuls les week-ends avaient de l’importance désormais. Je ne sortais plus dans le Marais, j’avais rempli le frigo et le placard de bouffe : on pourrait tenir un siège.

Ce samedi midi, j’étais déjà sur le quai à attendre impatiemment, le RER B en provenance de Paris. Il arriva vers 13h. J’étais resté une heure dans la bise de novembre : j’étais transi… Dès qu’il débarqua, le froid disparut et j’affichai un franc sourire à la place du rictus causé par l’air frisquet… La boule dans l’estomac que je trainais depuis une semaine disparut elle aussi.

Il était là, quasiment habillé de la même façon que la semaine précédente. Je lui tendis la main pour le saluer. Je savais qu’il ne m’embrasserait pas sur le quai. On fit le chemin de la gare jusqu’à mon appartement, à pied.

Une fois chez moi, j’entrepris de l’embrasser vigoureusement. J’étais affamé de ses lèvres, mais curieusement, je ne ressentis pas la réciprocité. J’avais l’impression qu’il n’y était pas, qu’il se retenait.

-          Il faut que je te dise un truc, dit-il… Il faudra que je rentre dès dimanche matin. Je ne pourrais pas rester plus tard. Je dois aider mon père. Je partirai vers 10h. Ça te va ?

-          Oui, bien sûr. Pas de problème, répondis-je en faisant quand même la moue.

J’avais configuré le canapé en lit pour ne pas perdre de temps. On se déshabilla quasiment tout de suite… J’avais préparé une canette de Coca et un verre sur le plateau du bar, mais il n’y toucha pas. Ibrahim avait un côté un peu précieux : comme s’il avait l’air de ne toucher à rien. En revanche, il était très sexuel et ne se faisait pas prier… Le courant passait bien entre nous et rien ne nous rebutait. On se prélassa une bonne partie de l’après-midi au lit. Qu’est-ce que je me sentais bien dans ma peau, j’étais fier de moi et de ce que je faisais. J’étais jeune, en pleine forme, mon partenaire l’était tout autant, et il était très beau en plus. Je vivais presqu’un conte de fée. Du moins, selon mes critères.

Vers 18h, on se rua dans la douche pour se débarrasser de la sueur et passer à autre chose, mais le jeu continua un petit peu. Je n’avais plus envie d’arrêter quoi que ce soit. Je laissai Ibrahim totalement libre de faire ce qu’il voulait. Je me doutais qu’après la douche, on aurait une séance de discussion.

-          Dis-moi ! attaqua Ibrahim. Est-ce que tu sors pour draguer des garçons depuis qu’on se connait ?

-          Bien sûr que non ! Et toi ?

-          Non ! De toute façon, même si je voulais, je ne pourrais pas : je n’ai pas le temps… Sinon, quel type de garçons aimes-tu ?

-          Euh, bah ! Comme toi, bien sûr, dis-je surpris par cette question. Et toi ?

-          Moi, j’aime les roux. J’ai une vraie passion pour les garçons aux cheveux roux. Qu’importe qu’ils soient jeunes ou vieux, beaux ou moches.

Je ne m’attendais pas à ça.

-          Ne t’inquiète pas, c’est par période. En ce moment, ce n’est pas la période.

Je ne comprenais pas tout à fait où il voulait en venir avec cette histoire de période. J’étais intrigué. Cependant, je laissai tomber pour le moment. Après tout, il avait bien le droit d’avoir un jardin secret, comme on dit :

-          Comment sont tes relations avec ta belle-mère ? J’ai l’impression que ça ne va pas fort, non ?

-          Elle ne m’aime pas. En fait, j’habite chez elle avec mon père. Elle aimerait beaucoup que j’aille vivre ailleurs pour être tranquille avec lui.

-          Elle t’empêche de parler au téléphone ?

-          Elle m’espionne surtout. Elle serait trop contente d’apprendre que j’ai des relations avec des garçons. Elle voudrait que mon père me jette dehors, mais ça n’arrivera pas. Mon père est un homme d’affaires, et il est très occupé. Le divorce avec ma mère s’est mal passé, mais il est content que je sois resté avec lui. Je suis son fils unique. Il se moque des problèmes que je peux avoir avec sa nouvelle femme. Je dois quand même faire attention car il n’aime pas du tout les homosexuels et s’il découvrait quelque chose, je peux être sûr qu’il me renverrait chez ma mère.

-          Et ta belle-mère le sait ou se doute de quelque chose pour toi, n’est-ce pas ?

-          C’est ça ! Elle cherche des preuves. C’est aussi pour cette raison que je préfère être chez toi le week-end que chez moi. Sinon, on va finir par se taper dessus.

-          Ben, si tu es mieux chez moi, tant mieux. Ça me fait plaisir, lui avoué-je.

A ce moment précis, j’eus envie de lui dire que je l’aimais. Ça semblait encore trop tôt. Je me mordis la langue pour retenir mes aveux. Pourtant, je notais que lui n’évoquait rien dans ce sens. Rien ne laissait croire qu’il avait des sentiments pour moi, ou en tout cas, il les cachait bien. Mais j’étais clairement troublé. C’est à la fois un défaut et une qualité, je suis très organique : quand j’aime, ça se voit ! Même si je n’avais rien dit, il pouvait donc fort bien le voir… J’acceptais tout de lui. En tout cas, mes barrières naturelles avaient disparu et je me laissais envahir volontiers.

Je lui proposai de manger. J’avais fait des courses et j’avais le choix pour ce soir. Lui aussi avait faim, mais il ne voulut rien de ce que j’avais acheté ! Il me demanda de refaire des pâtes. Bon, bah ! Ok pour des spaghettis à la sauce bolognaise sans viande ! Le diner fut en tout point identique à celui de la semaine précédente. Je n’avais pas pu exprimer mes talents culinaires, j’étais doublement déçu.

Il recommença à s’épancher. D’après ce que je comprenais, son père lui mettait une pression d’enfer pour qu’il réussisse ses études, à n’importe quel prix. D’ailleurs, son père avait l’air d’y mettre le prix… Je l’écoutais religieusement mais je ne retenais pas grand-chose, si ce n’était qu’il avait l’obligation de réussir. Ça me mettait un peu mal à l’aise. Je n’avais pas une situation formidable, mais je ne subissais aucune pression de personne, ni d’aucune sorte. Mon indépendance me coûtait mais je l’avais. Alors, j’entrepris de lui parler de ma courte expérience professionnelle et de mes choix de vie. Il les balaya d’une main : je n’avais pas assez d’ambition selon lui. Après tout, pourquoi pas ? Je trouvais cette discussion lourdement ennuyeuse. Je verrais bien plus tard comment faire pour qu’il m’écoute : rien ne servait de brusquer les choses.

Vint un autre dilemme. Depuis la semaine dernière, je n’avais toujours pas de télévision. Qu’allions-nous pouvoir faire avant de nous coucher ? Ben, pas grand-chose ! Il ne voulait pas sortir du studio, même pas faire un tour à pied dans le centre-ville de Livry-Gargan. Je voulais bien croire qu’il n’avait pas beaucoup d’argent, mais là, j’avais l’impression qu’il n’en avait pas du tout. C’était la seconde fois qu’il venait chez moi les mains dans les poches. Je ne voulais pas penser à cette histoire d’argent, mais j’étais en train de tout payer. Toutefois, j’étais tellement content de le voir et d’être avec lui, que je passais outre ce petit problème. Il avait sans doute une raison qu’il me dirait plus tard.

On se pelotonna l’un contre l’autre sous la couette pour se réchauffer. J’étais bien contre lui, je serais resté dans cette position pendant des heures, voire des jours et pourquoi pas, des années. On s’endormit assez rapidement. Il était encore tôt pour un samedi soir, mais ce fut bien quand même.

 

Didier Kalionian - le Blog Imaginaire (c) 2021

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