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Didier K. Expérience
7 janvier 2021

Les Paradis Périphériques E.4/34

Paradis Périphériques

La journée du lundi fut un peu spéciale, j’étais anxieux, j’avais hâte d’être au soir, à 19h, où j’étais sûr d’avoir Ibrahim au téléphone, je ne pensais plus qu’à ça…

Je n’ai jamais été très productif, mais ce jour-là, je crois avoir battu mon record. J’essayais toujours de passer inaperçu, sauf que là, j’avais carrément l’impression d’être absent. Heureusement qu’à cette époque on n’était pas autant tracé par l’informatique : la productivité se mesurait aussi par le biais d’une amabilité pressante avec le chef de service. Par chance, le mien était très sympa.

Dès 16h et la sortie du boulot, je me ruai vers la station du RER B, pour rentrer chez moi et attendre le coup de fil d’Ibrahim. J’avais trois heures à patienter. J’étais comme un lion en cage. Or, il fallait que je reste cool ou que je paraisse le plus sympa possible. Je ne savais pas ce que j’allais lui dire, mais ça n’avait pas beaucoup d’importance. La situation étant inédite pour moi, je n’aurais qu’à improviser… La nuit tombait vite en novembre, même à 18h, j’avais l’impression qu’il était déjà tard.

Je fixais le téléphone comme s’il fallait l’empêcher de s’envoler. Je comptais les minutes. J’avais envie de l’appeler mais je devais respecter ce qu’il m’avait demandé. Il avait dit qu’il appellerait ou alors c’était peut-être à moi de l’appeler ? Je ne savais plus ce qu’on s’était proposé. L’aiguille tournait toujours aussi lentement. Mon dieu que cette horloge était lente ! Enfin, l’heure fatidique arriva…

Le téléphone ne sonna pas.

Je me dis qu’il fallait attendre encore un peu. Il avait sûrement beaucoup de choses à faire. Il était sur le point de le faire. 19h05. Rien. Je me levai et je restai planté devant la table du téléphone, la main au-dessus du combiné, prêt à décrocher. 19h10. Rien. Il n’avait quand même pas oublié : on s’était vu la veille. Non, pas possible ! 19h15. Là, je me dis qu’il fallait que je fasse quelque chose. De toute façon, j’étais tellement sur les nerfs, je ne tenais plus. J’avais préparé le papier sur lequel il avait noté de sa fine écriture, son numéro. Je le composai sur le cadran et attendis, fébrilement. Au bout de la troisième sonnerie, on décrocha :

-          Allo ? Ibrahim ? dis-je timidement.

-          Allo ? qui le demande ? dit une voix de femme mûre sans accent.

-          Je suis un ami. On devait s’appeler ce soir.

-          Un instant, je vais vous le chercher.

Elle déposa le combiné, sans doute sur une table, et je l’entendis partir en appelant Ibrahim. Puis, j’entendis clairement quelqu’un ramasser ce même combiné pour parler. J’espérais que c’était enfin lui.

-          Allo, oui ! Ibrahim à l’appareil.

-          Salut c’est moi, ça va ?

-          Ah ! c’est toi, Daniel ! Oui, je vais bien, mais je ne peux pas te parler pour le moment.

-          Tu n’es pas seul ?

-          Oui et j’ai beaucoup de boulot. Je dois faire pas mal de devoirs à la maison. Je te propose qu’on se rappelle vendredi soir si ça ne t’embête pas.

-          Euh oui ! Pourquoi pas ! Mais… on ne peut pas se parler un peu ? bafouillai-je.

-          Désolé, mais j’ai trop de boulot. On s’appelle sans faute vendredi soir.

Il avait raccroché et on ne s’était quasiment rien dit. On était lundi et il fallait que j’attende vendredi soir prochain pour pouvoir lui parler. Ça voulait dire aussi qu’on n’allait pas pouvoir se voir entre les deux appels. C’était dur. Je n’avais pas imaginé ça comme ça.

Je pris sur moi, je passai le reste de la semaine apparemment tranquille : ce qui fut quand même dur. Je fus soulagé quand arriva enfin le fameux vendredi. Cette journée fut comme si elle n’avait pas existé. J’étais là physiquement mais, mentalement, un vrai fantôme.

Chez moi, je pris ma douche, je m’apprêtai pour sortir car s’il me refaisait le numéro de lundi soir, notre relation naissante allait se compliquer et se tordre. Or, je n’aime pas souffrir, alors il valait mieux prendre les devants. En tout cas, je n’avais pas envie de me remettre dans un état de frustration.

A 19h, le téléphone ne sonna pas. J’attendis 19h05 : il ne se passa rien. Du coup, j’attrapai le combiné et j’appelai. A la troisième sonnerie, on décrocha :

-          Allo ? Puis-je parler à Ibrahim s’il vous plait ? dis-je d’une voix ferme.

-          Lui-même ! répondit-il.

-          Ibrahim ? Comment vas-tu ? On peut se parler ?

-          Oui, on peut ! Ça va ! Je voulais t’appeler mais ma belle-mère ne me quittait pas. Elle est partie faire des courses. Je suis seul, maintenant. Désolé pour l’autre fois, mais j’avais vraiment du boulot en retard à finir et ma belle-mère m’écoutait.

-          Oh ! Ce n’est rien ! Je m’en doutais. Ne t’inquiète pas pour ça, dis-je tout souriant et sûr de moi… Dis-moi ! On pourrait peut-être sortir ensemble ce soir ? Qu’en penses-tu ?

-          Non, pas ce soir. J’ai un dîner avec ma famille. Mais je pourrais peut-être passer le week-end chez toi ? Si tu veux, bien sûr ! Si ça ne te dérange pas ! proposa-t-il gentiment.

Là, je crus que j’allais tomber à la renverse.

-          Bien sûr ! C’est une excellente idée. Tu te rappelles que j’habite à Livry-Gargan, dans le Nord de la banlieue ?

-          Oui, oui ! Je sais où c’est. Je te propose que tu viennes me chercher à la gare samedi vers 13h.

-          Alors, c’est d’accord. Gare de Sevran-Livry vers 13h ! J’y serai sans faute.

-          A demain…

-          Je t’embrasse très fort et à demain, le coupai-je.

On raccrocha ensemble. Je restai fébrilement devant le téléphone. Je n’en revenais pas. Je n’osais pas bouger de peur que cette situation ne soit qu’un leurre. Au bout de cinq minutes seulement, je me décidais à respirer.

Puisque j’étais prêt à sortir, j’irais faire des courses au Cora de Livry, celui qui longe l’A3. Je voulais accueillir Ibrahim comme il se devait ; un petit peu de ménage s’imposait également. Du coup, je renonçai à aller dans le Marais.

 

Didier Kalionian - le Blog Imaginaire (c) 2021

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