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Didier K. Expérience
28 février 2019

Némésis - E.28/35

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5h du matin, le réveil sonne. Je me lève encore plus tôt que d’habitude, faire son devoir, c’est pire que le boulot. Je me sens comme une superhéroïne d’un épisode de Marvel, mais comme toutes les superhéroïnes n’aurait pas réussi dans la vie, qui serait toujours aussi pauvre et qui n’arriverait toujours pas à se brancher un mec potable. Bref ! Une vie pas très glamour… J’ai mal dormi, j’ai la nausée. Ça ira mieux dès que j’aurai pris un café. Machinalement, je prends mon téléphone, voir si j’ai message : rien. Donc, plus aucun doute, la sentence doit être appliquée puisqu’il n’a même pas daigné lever le petit doigt pour m’écrire un message. Dans un sens, ça m’arrange, je suis désormais certaine qu’il s’est bien moqué de moi.

Je file dans la salle de bain me préparer. Je m’habille tout en noir, je mets mon foulard pour me cacher les cheveux, le reste est dans mon sac à dos, je n’ai plus qu’à y glisser le Tupperware et en voiture Simone.

J’ai froid sur le quai du métro, puis je grelotte en attendant que le premier tram condescende enfin à apparaitre. Je me sens légère, aérienne, je plane littéralement… La rame file rapidement vers sa destination accomplir mon destin ; les gens montent et descendent sans se douter que je transporte quelque chose d’infame dans mon sac à dos qui les dégouterait définitivement du genre humain, songé-je. J’ai hâte d’arriver à Porte de Vanves quand même. J’aimerais m’en débarrasser le plus vite possible.

Enfin ! Je suis de retour dans ce quartier en 24h. Le jour tarde à poindre. Je remonte sa rue d’un pas décidé, je reconnais l’immeuble, je lève les yeux pour scruter ses fenêtres : pas de lumière, il est sûrement parti… En revanche, la porte d’entrée est ouverte, ça m’arrange. Le lobby est luisant, j’en conclue que la femme de ménage vient de laver le sol et comme il n’est pas encore sec, elle ne doit pas être très loin. Faut que je fasse vite et que je reste sur mes gardes.

Je sors ma boite à malice contenant les précieux et malodorants étrons qui ont mijoté toute la nuit dans mon frigo. La décomposition est idéale, elle est fin prête pour être utilisée. Je localise la boite aux lettres de Jean-Jacques, je mets mes gants Mapa, je vide d’un coup le contenu, je referme, je prends le marqueur, je signe sur sa boîte « Némésis was here » et je sors. Un peu plus loin dans la rue, j’enlève les gants que je range comme je peux dans mon sac. Je repars tranquillement sans me presser mais sans me retourner. J’arrive à la station, un tram est au départ, je monte, les portes se ferment, c’est fini.

Cependant, une fois le tram lancé, je réalise que je n’avais pas mis le loup. Je n’ai pas fait attention à la caméra non plus : en fait, je ne sais pas s’il y en avait une. Mon plan était pourtant simple et parfait, et voilà que je m’aperçois que j’ai commis des erreurs dignes d’une débutante. Bon, ce n’est pas très grave, personne ne me connait dans cet immeuble, à part Jean-Jacques bien sûr, et si jamais j’ai été filmée, il faudra du temps pour reconnaitre ma silhouette. Donc, le risque est minime.

Je mets les écouteurs sur les oreilles, je pousse le son, c’est IAMX qui passe, l’un des groupes préférés de Cheval Fou, celui qui avait inauguré la liste de ma vengeance. Le morceau est assez speed, je tape du pied, j’ai envie de danser, de célébrer ma nouvelle victoire sur l’adversité. Ça me fait du bien de réentendre cette chanson, ça me rappelle une autre victoire. Cependant, il faudra que je pense à l’enlever car ce qui est fini est fini, je ne peux pas indéfiniment vivre dans le passé. Et puis, il y a de bien meilleurs souvenirs dans la vie que de se rappeler les goûts de ses ex.

Il est presque 7h du matin quand j’arrive chez moi à Belleville, je consulte une nouvelle fois mon portable, toujours pas de message, Jean-Jacques a dû repartir pour Londres ou je ne sais où. Quoi qu’il arrive, c’est trop tard maintenant pour regretter, justice est faite.

Je nettoie le Tupperware et les gants, puis sous la douche je me lave consciencieusement le corps, j’ai besoin de me purifier. J’étais très calme dans le tram, mais depuis que je suis rentrée, je deviens de plus en plus nerveuse, j’ai envie de rire et de pleurer en même temps. Je prends un doliprane 1000 et je me mets au lit, il faut que l’adrénaline redescende. Rien de tel qu’une bonne nuit de sommeil en plein jour.

Je m’alonge sur le dos, je suis bien, je ferme les yeux, je m’endors presque tout de suite. Ecran noir.

***

 

Je me réveille sur les coups de 15h, mon Dieu que j’étais bien. Je me sens telle une momie qui sortirait de son sarcophage après plusieurs milliers d’années sans bouger : dur. Je ne me souviens de rien, ni rêves ni cauchemars ne sont venus me hanter. Mon portable est sur ma table de chevet, je vois bien qu’il n’y a pas de messages, je ne suis ni triste ni déçue, c’est comme ça.

C’est la fin de l’après-midi, je vais prendre mon petit-déjeuner. On est lundi, il règne un calme dans mon immeuble dont je peux enfin profiter. Je n’ai plus l’habitude d’être chez moi en semaine, je me sens libérée de mes chaines. Je réalise que je n’ai pratiquement pas fumé et j’ai envie d’une clope avec mon café, je pourrais même me rouler un joint si j’avais un peu d’herbes de côté. En attendant de voir le petit dealer ce soir, je savoure une cigarette manufacturée, la fumée m’enveloppe et embaume ma pièce principale, c’est le brouillard, je suis bien. La première de la journée est toujours la meilleure, il n’y a rien à dire, j’aime ça.

Pourtant, je suis toujours seule et je m’ennuie : mes vacances ne pouvaient pas mieux commencer. De toute façon, ce lundi est déjà fortement entamé et je n’ai rien d’autre à faire que regarder la télé. Sauf qu’entre les documentaires animaliers sur ARTE et le robinet à merde de BFMTV, ce n’est pas la joie : j’abandonne.

Il reste le téléphone, le fil qui chante qui relie les Hommes qui n’ont rien à se dire. J’aurais bien discuté avec Nocturna mais ma vengeance est trop fraiche pour que ça n’éveille pas des soupçons chez elle. Elle est dans le milieu depuis longtemps et elle veut y rester encore très longtemps. Si elle apprend que quelqu’un fait des crasses à des mecs qu’elle connait, elle finira par faire le lien avec moi et ne gardera pas le secret indéfiniment. Elle me mettra dans la merde : c’est plus fort qu’elle !

J’ai mieux à faire : j’ai envie de savoir qui est ce Nénuphar, alias Baptiste, qui connait mon Jean-Jacques. Je me pose plein de questions sur lui, mais là non plus, je ne veux pas en parler à Nocturna pour le moment. Ce qui m’étonne, c’est qu’il trainerait aux Caves et au Blak Klub depuis une éternité alors que je ne l’ai jamais remarqué, pourtant avec un look pareil, je ne pouvais pas le rater. Où peut-il bien se cacher à chaque fois ? Peut-être que Feliciano, mon coiffeur, pourrait me renseigner ? Son mec est barman aux Caves, il l’a sûrement aperçu. Lui aussi, j’hésite à l’appeler car Feliciano est loin d’être stupide et qu’il va me harceler de questions jusqu’à ce que je craque… Le mieux que je puisse faire, c’est de me renseigner sur les prochaines soirées aux Caves… J’ouvre mon ordinateur, je vais sur le site internet de la boite et ô miracle ! Il y a une soirée mercredi. C’est plutôt rare de trouver quelque chose d’excitant en semaine, et c’est d’autant plus rare que l’entrée est obligatoirement gratuite, donc ça veut dire qu’il n’y aura pas foule. Ce n’est pas grave, je suis en vacances, je ferai contre mauvaise fortune bon cœur.

Ce qui veut dire, que le mardi qui vient sera consacré au ménage (ça aussi, ça ne sera pas du luxe, ça fait des mois que je n’ai pas fait les poussières) et aux courses : je ne mange que liquide en ce moment, ce qui me cause des aigreurs d’estomac et accentue ma pâleur, ma maigreur et mon mal-être.

Pendant que je réfléchis tout haut à mon avenir, je jette un œil distrait mais répétitif, pour ne pas dire obsessionnel, à mon portable : toujours pas de nouvelles de Jean-Jacques… C’est assez navrant d’avoir tout le temps raison, il méritait bien son châtiment. Décidément, je ne regrette rien, non, rien de rien. Ce qui ne cesse de m’épater, c’est que je tombe tout le temps dans le piège des mecs. C’est peut-être parce que je les aime trop, j’ai tellement besoin de leur chaleur, de leur présence, de cette bipolarité, et de leur sexe aussi, je n’arrive pas à faire sans eux ! Nocturna pense avoir trouvé la parade pour ne plus souffrir du mal d’amour, elle s’est découvert une passion pour les filles, surtout les névrotiques. Je suis certaine qu’elle n’est pas lesbienne, elle serait plutôt bisexuelle ou tout ce qui l’arrange du moment qu’elle domine. Cependant, elle n’en souffre pas moins, elle a autant de problèmes avec les filles qu’avec les mecs : donc là, c’est la quadrature du cercle. De toute façon, les filles ne sont définitivement pas une option pour moi.

J’ai dû fauter dans une autre vie pour endurer pareil châtiment. Derrière la façade élégante et brillante de Jean-Jacques, se cachait peut-être un vrai sadique. Qui sait ? C’est vrai que le trip SM est en vogue dans le milieu gothique, que certains font des afters qui se terminent en orgie, et qui mettent en pratique le côté glauque du mouvement, quand ce n’est pas son hideuse face cachée, nazisme et compagnie. Je ne les juge pas ni ne les blâme, mais moi, ça ne me plait pas du tout. Je réalise qu’une partie des fans de tous ces groupes gothiques sont vraiment dérangés et que je ne m’en rends absolument pas compte quand je les côtoie. Le monde a changé, la musique a évolué, les fans d’aujourd’hui ne sont plus ceux d’il y a vingt ou trente ans, alors que je réagis comme si on était toujours dans les eighties. Ça y est ! Mes cinquante ans commencent à me peser vraiment.

C’est la première fois que j’arrive à faire une autocritique sans en parler à quelqu’un. Je crois que je progresse enfin ! Merde ! Je vieillis quoi !

Je me sens comme Catherine Deneuve dans « Les Prédateurs », ce film sorti en 1983, où elle cesse d’être un vampire immortel dès le moment où elle tombe enfin amoureuse. L’amour est censé la délivrer de cette vie éternelle, vécue comme une errance sans fin, pour la précipiter dans la mort et l’oubli : un comble ! Bon, c’est un film série-B mais classe quand même, et avec David Bowie. Pour moi, c’est un peu le contraire, je suis amoureuse de mecs qui n’existent que dans mes fantasmes, ce qui me condamne à l’errance éternelle car ce mec idéal n’existe pas, n’a jamais existé et n’existera sûrement jamais. Triste constat. Mais avant de l’approuver définitivement, j’en parlerai encore longtemps à ma psy, à la Pythie, à Nocturna, à mon épicier arabe s’il le faut et au monde entier, car je ne suis pas pressée d’avoir raison, en fait. Je suis encore loin de détenir la vérité. Némésis, mon double vengeur est fait pour réparer mes erreurs, même si elle me permet à peine d’exorciser mes démons et de supporter cette vie faite d’échec, d’humiliation et de désillusion.

Bon, ça suffit ! J’en ai assez de ressasser le même constat, il faut que je me bouge. Je sais qu’en bas de l’immeuble, les chouffes sont en place, je n’aurai pas de mal à retrouver mon petit dealer préféré.

Je m’habille vite fait, je mets mon foulard pour cacher mes cheveux, et je descends. Il fait nuit, c’est plus facile pour rester discret. Je me dirige à une vitesse normale vers le chouffe, qui m’indique d’un signe de tête où je dois me rendre : dans la voiture qui est à l’angle de ma rue, à une centaine de mètres. L’hiver, les dealers aussi ont froid. Je monte sans peur, je referme sans claquer la portière, je sors mon billet, le gars me remet dans la paume un petit bloc emballé dans du papier aluminium. Le poids me parait bon, impossible de vérifier devant lui. Je ressors, il démarre illico et s’en va faire le tour du pâté de maison pour se positionner ailleurs. Je retourne rapidement vers mon immeuble, le chouffe a disparu, lui aussi. Mais je sais où il se cache, il est dans l’entrée qui jouxte la mienne. Ça me fait toujours un drôle d’effet de jouer cette comédie parce que je les connais tous. Cependant, je respecte les codes de sécurité, je n’ai pas envie d’avoir des ennuis avec eux ou avec la police.

Dès que je suis dans mon lobby, je déballe discrètement : c’est bon, c’est bien du shit, l’odeur est conforme. Je ne suis pas une bonne cliente, mais on se connait, donc à partir du moment où je sais qui ils sont, ils ne peuvent pas prendre le risque de me vendre un bout de sciure ou du chocolat en poudre style Nesquik : je ne suis pas une touriste japonaise. Car ça finirait par se savoir et ils perdraient vite leur réputation et leur secteur. Toutefois, faut pas rêver, on n’est pas chez Darty, il n’y a pas de contrat de confiance non plus.

Je m’installe sur mon lit, les jambes en tailleur, les Cure repassent en boucle depuis que je ne suis plus avec Jean-Jacques. Je roule mon joint tranquillement, je lèche les feuilles de papier pour qu’elles collent bien, j’émiette un bout de shit que je mélange à du tabac qui provient d’une de mes clopes. Le cône est prêt, je brûle le sommet pour en débarrasser le surplus de papier, je tire une latte, je pope une fois ou deux, mon studio est envahi par un brouillard compact et très odorant, j’aurais bien ouvert la fenêtre mais il fait froid. En espérant que mes voisins de palier dorment et ne s’apercevront de rien, je fume tranquillement. La musique et le joint me transportent dans des vallées fertiles où règnent la paix et la joie, où le soleil est chaud, où les bords de lac sont moussus. Loin de me faire voir des éléphants roses, ça m’apaise réellement, je sais qu’ensuite j’aurai faim. Sans vouloir faire l’apologie du pétard, c’est un décontractant sûrement moins nocif que toutes ces pilules que nous prescrivent les médecins. Malheureusement, ses effets sont éphémères, sauf peut-être pour le sommeil.

Je me traine telle une limace dans la cuisine pour me faire des pâtes au fromage. Ça fait une éternité que je n’en ai pas mangé, c’est moins classe qu’au China Club, mais au moins c’est honnête. Je rajoute une Leffe bien méritée pour tous les efforts que je fais pour supporter ma vie et me voilà parée pour une fin de soirée pas très folichonne.

Les pâtes m’ont bien gavée, le joint m’a cassé, la bière m’a rétamée : c’est bon, je suis prête pour une dépression. En tout cas, même si je n’en ai pas envie, je m’y laisse glisser lentement. C’est mieux quand c’est plus lent, c’est plus insidieux, on ne s’en rend pas compte… J’en ai marre de soliloquer ! Si je pouvais débrancher mon cerveau, je le ferais de suite. Mes problèmes sont là, ils ne me quittent pas, comme la misère, ça colle à la peau.

Tout ça pour un mec ! Faut vraiment que j’ai la vocation de sainte pour me martyriser de la sorte ou aimer se shooter à la déprime.

Didier Kalionian – Le Blog Imaginaire © 2019

(Si cette histoire vous a plu, n’oubliez pas de liker. Vous pouvez retrouver la communauté des lecteurs sur Facebook à : DKalionian BlogImaginaire)

 

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