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Didier K. Expérience
26 février 2019

Némésis - E.26/35

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Dans la voiture qui nous ramène chez lui, je pense à Nénuphar ; j’hésite à dire à Morituri que j’ai discuté avec ce mec, pas parce que j’ai peur d’une quelconque jalousie, mais parce que Baptiste m’a dit qu’il le connaissait. J’aurais bien aimé en savoir plus sur mon Jean-Jacques. Sinon, un noir qui aime la musique gothique et qui est aussi bien looké, c’est orignal et il m’a bien plu, mais ce n’est peut-être pas le bon moment pour parler de ça. Je le garde dans un coin de ma tête : à ressortir quand je n’aurai rien d’autre à penser.

Lady Donotdisturb ne fait déjà plus partie de mes pensées, première étape avant de ne plus faire partie de mes amies… Morituri est concentré sur la route, Paris est désert, ça roule très bien la nuit. Je sais que mon maquillage a un peu coulé et que je sens un peu la fleur des champs, mais lui semble intact, comme si son côté androïde ressortait brusquement : il est à peine décoiffé, son cuir est toujours raide et luisant par je ne sais quel miracle. Le chauffage et le confort surnaturel de cette voiture me cassent encore, j’ai la tentation de somnoler. Lui étant étrangement calme, aussi muet que la semaine dernière, ça ne m’aide pas vraiment à rester éveillée.

Cependant, je sais ce qu’il mijote : comme tous les mecs qui ramènent une fille à la maison en fin de soirée, ce n’est pas pour boire un thé. Il se prépare mentalement à l’assaut final, et moi je suis prête pour ce second round de négociation, celui où l’on accepte de se laisser faire.

On est presque arrivé, on se sourit, je pense qu’on est à l’unisson de nos désirs.

Une fois dans l’appartement, il daigne enfin m’embrasser, il a toujours les lèvres très humides, il salive abondamment, j’adore cette entrée en matière. Puis, il m’indique la salle de bain pour que je fasse un brin de toilette, le temps qu’il se change… Elle n’est pas très grande, mais très fonctionnel, comme tout dans cet appartement : un lavabo, une douche et un WC. Je me lave sommairement les dents avec un doigt et du dentifrice, je n’ai pas ma brosse et je répugne à utiliser la sienne, du moins pour cette fois-ci. J’aimerais prendre une douche, mais je pense qu’on n’a pas vraiment le temps. J’inspecte quand même la partie qu’il va honorer dans quelques minutes, j’ai transpiré comme un bouc et les mauvaises odeurs rebutent toujours, surtout si c’est notre première fois.

Le loup attend, c’est l’heure pour la louve d’aller rejoindre son mâle. Je suis nue lorsque je rejoins la chambre et la première chose que je vois, c’est que la baie vitrée n’a pas de rideau non plus. On est dans le noir, la pièce est seulement éclairée par la lumière extérieure, par les phares des voitures qui passent dans la rue, ou par les fenêtres allumées de l’immeuble d’en face : je suis surprise. Lui est debout devant le lit, nu : sa silhouette est longiligne, musclée, le torse totalement glabre.

Je m’approche doucement sur la pointe des pieds, le parquet est glacé, il n’y a pas non plus de tapis au sol. Enfin, il m’apparait totalement, il est bien foutu et bien équipé, je suis rassurée. Plus je m’approche et plus je devine quelque chose. Il fait sombre dans cette chambre, il faut vraiment que j’aille au contact pour l’identifier : un tatouage part des épaules, lui couvrant tout le torse jusqu’au pubis. Il a le Christ en croix tatoué sur sa peau blanche, j’en suis masquée. J’essaie d’oublier ce que je vois, mais je ne peux pas m’empêcher de regarder. Le travail est impressionnant, il a dû souffrir le martyr.

J’ose une question :

-          Tu es si croyant que tu t’es senti obligé de te faire tatouer un Jésus crucifié ?

Il rit doucement.

-          Je suis athée et antithéiste. Je ne crois ni en Dieu ni en l’existence d’un Dieu. Mais, j’aime la parole du Christ et j’aime les Evangiles Synoptiques. Tu sais, le Christ n’a écrit aucune Bible et n’a fondé aucune religion : ce sont les hommes qui ont inventé tout ça… J’espère que tu n’es pas choquée par ce tatouage ?

-          Euh, non !

Mais en fait, si, un peu. Je ne dis rien, je souris bêtement.

-          Allons sur le lit, j’ai très envie de faire l’amour avec toi. Tu veux toujours ?

Waouh ! Jean-Jacques fait l’amour, il ne baise pas : un bon point pour lui !

-          Ah, oui ! Très envie aussi… Tu as des préservatifs ?

Il rit :

-          Oui, ne t’inquiète pas, j’ai tout prévu, c’est sur le lit. Regarde !

Effectivement, il y a une boite de préservatifs et un tube de lubrifiant.

Il m’embrasse avec une passion qui me transporte dans une autre dimension, c’est tout ce que je voulais. Il est prévenant et attentionné, comme je l’espérais et d’une douceur extrême : ça me change des bourrins que je ramasse en soirée. Enfin, je mérite qu’un homme comme lui s’occupe de moi comme il le faut. Je suis allongée sur le dos, il vient sur moi, il me pénètre doucement, il rame lentement, je sens ses va-et-vient, je suis agrippée à ses fesses, tout se passe bien, jusqu’à ce que j’ouvre les yeux. Mon visage est à la hauteur de son torse et je vois ce Jésus qui souffre ; ça devient hypnotique, insupportable, j’ai presque envie de vomir. Je tourne la tête pour rester concentrée sur mon plaisir, mais dès que je le regarde à nouveau me besogner, je vois cette tête avec sa couronne d’épines. C’est comme une torture mentale, ça devient obsédant, j’ai hâte qu’il termine. Mon excitation est totalement retombée, mais je ne veux pas finir sur une note désagréable alors je simule dès que j’entends Morituri commencer à gémir : on jouira ensemble. C’est un festival de gémissements gutturaux, mieux que dans les pornos. Il s’affale sur moi, essoufflé, on s’embrasse à bouche que veux-tu, ça en revanche, j’aime encore. Il retire le préservatif doucement pour ne pas le craquer ni perdre le contenu. Il fait un nœud au bout, puis se lève pour aller le jeter à la poubelle dans la cuisine.

J’en profite pour aller me laver, prendre une douche. Il me rejoint, il essaye de jouer avec le jet d’eau mais ça ne marche pas avec moi. Je n’ai plus envie qu’il me touche. J’éprouve même du dégout à son contact, je me sens humiliée, je me sens mal. Il voit bien que quelque chose ne va pas :

-          Ça ne t’a pas plu ?

J’ai envie de mentir car si je dis la vérité, ça sera fini entre nous. Il me plait toujours, c’est certain. Je crois que je vais laisser le destin décider.

-          Je ne sais pas comment te dire ça. Ce n’est pas ce que j’attendais.

-          Ah bon ? Et tu t’attendais à quoi ?

Je suis coincée, si je mens je suis foutue. Tant pis.

-          Réellement ? Je vais te le dire : c’est à cause du tatouage de Jésus. Ça ne me plait pas de baiser avec cette image au-dessus de moi. Je trouve ça écœurant ! Je ne suis pas croyante, mais là, ça ne me plait pas du tout. Je pense que tu aurais pu me prévenir.

-          N’exagère pas ! Ce n’est qu’un tatouage, une image… Prends ça comme une expérience inoubliable pour toi… J’en ai bavé plus que lui pour avoir ce tatouage, des heures de travail pendant des mois, alors que lui n’a souffert que pendant son exécution. Et pourtant, c’est une façon de partager son martyr, parce qu’il a souffert pour nous, pour que nous soyons heureux.

-          Je t’arrête ! Je t’ai dit que je trouvais ça dégradant pour moi, et toi, tu me parles du martyr du Christ… J’ai quand même le droit de dire que ça ne me plait pas, non ?

Cette discussion dans la douche ne mène nulle part, je le vois bien. Il me regarde les bras croisés, il est toujours nu. Je le vois en pleine lumière de la salle de bain, sa peau blanche laiteuse me dégoute tout d’un coup.

-          Je pensais que c’était un trip qui te plairait, voilà tout.

-          Donc, ton silence était voulu… Et pas une seconde, tu ne t’es demandé si ça allait me plaire ? Tout comme le fait que tout le monde peut nous voir, tu es exhibe en plus… Toutes tes conquêtes aiment ça, je présume ?

-          Je n’ai pas fait ce tatouage pour toi, je l’avais bien avant de te connaitre. Il y a beaucoup de filles qui ont aimé ça : toutes celles qui aiment autre chose que de baiser comme leurs parents, lâche-t-il durement.

-          Donc, c’était un piège, tu les mets toutes devant le fait accompli, bien sûr !

Ma décision est prise, je vais partir. Je vais galérer pour rentrer, mais ce n’est pas grave, je ne veux pas rester une minute de plus avec ce dingue.

-          Ok ! Merci pour tout. Pas la peine de me reconduire, je vais prendre un taxi.

Je m’habille aussi vite que je le peux pour quitter cet endroit. Il me regarde toujours avec autant d’insistance, le regard dur. Il n’aime pas qu’on lui résiste ou qu’on le contredise. Je lace mes Doc Martens, je récupère mon perfecto, je suis prête ! Il ne bouge pas, il n’a même pas l’intention de m’ouvrir la porte, je le fais moi-même. Je suis déçue.

-          Si tu veux des excuses, c’est OK ! Sincèrement, je te présente mes excuses pour ce que j’ai fait. Je te demande pardon… Tu es satisfaite ?

Je le scrute de longues secondes, je ne comprends plus rien de lui, maintenant. Il vient de chuter brutalement du piédestal où je l’avais posé. Ses excuses sonnent aussi fausses qu’un discours sur le climat par Donald Trump. Je pense qu’il est capable de dire tout et son contraire dans une même phrase, ça ne le gêne pas : sûrement une déformation professionnelle. « L’enfer est pavé de bonnes intentions » comme on dit, j’aurais dû savoir que les gens parfaits n’existaient pas. C’est en partie de ma faute, j’en conviens.

J’ouvre la porte, je sors, il n’essaie même pas de me retenir. Je dévale les escaliers, pas le temps d’attendre l’ascenseur. J’ai envie de pleurer, mais je me retiens, je ne vais quand même pas verser des larmes pour un mec qui ne m’a pas respectée. Il ne le mérite pas, aucun mec ne le mérite d’ailleurs.

Dans la rue, je marche contre un vent froid qui me cingle le visage, les lampadaires diffusent une lumière blafarde à cette heure-ci, pas de métro ni de tram avant 6h du matin. Je n’ai pas assez d’argent pour un taxi et je suis à l’opposé de mon quartier : bref, ce n’est pas la joie. Je n’ai plus qu’à avancer, je finirai bien par arriver.

Pendant que je marche, mes neurones sont en ébullition, je suis tellement déçue, je rêvais d’un mec comme lui depuis si longtemps. J’aurais dû me douter que les types qui ont l’air aussi vertueux ne le sont pas vraiment : d’ailleurs, les gens propres à l’extérieur sont souvent très sales à l’intérieur.

Bon, il faut que j’arrête de réfléchir, ça me met dans un état de négativisme infernal. Si ma vie amoureuse ressemble à ma vie professionnelle, je n’ai plus qu’à me jeter dans la Seine. Me calmer est plus facile à dire qu’à faire car même si j’aspire à la paix, mon cerveau est entré en guerre avec ce monde.

Didier Kalionian – Le Blog Imaginaire © 2019

(Si cette histoire vous a plu, n’oubliez pas de liker. Vous pouvez retrouver la communauté des lecteurs sur Facebook à : DKalionian BlogImaginaire)

 

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