Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Didier K. Expérience
29 novembre 2020

Pleshka - E.17/23

Pleshka 0

A défaut d’autre chose, j’avais passé une bonne nuit dans ce lit qui était presque aussi vieux que moi. En tout cas, le sommier datait de l’époque soviétique ! Vu comme il était raide, il avait dû être forgé sous Brejnev… Je ne rouspétais pas, je m’habituais tout doucement au mobilier de ma chambre et aux mœurs de ce pays.

Comme Lisa et Yuri, je commençais à vivre une relation amour/haine intense avec ce pays. D’ailleurs, c’était la même chose pour la France, on l’aime et on la déteste cordialement.

Ce matin : grasse-matinée ! Margaret n’était pas venue me chercher pour le petit-déjeuner. Je n’avais qu’un seul rendez-vous aujourd’hui, Hratch, l’ami de Varoujean, que je devais voir vers 12h, dans le Parc de la Liberté. J’espérais que ses informations seraient intéressantes, que je puisse faire quelque chose pour sortir les dix personnes du commissariat.

En attendant, j’avais quartier libre. J’en profitai pour visiter le Matenadaran, en français, la Bibliothèque (de Manuscrits Anciens), et Grand-Candy, une sorte de Starbucks Café en version arménienne ; les deux se trouvant dans le même secteur.

J’avais soif de culture et faim de ponchiks sucrés, et d’un peu de solitude.

Après la visite de la Bibliothèque et le petit-déjeuner, je me dirigeai tranquillement vers mon rendez-vous.

Je me promenais au hasard des allées dans le parc, ne sachant où je rencontrerais Hratch. Je portais mon vieux bermuda de l’armée, baskets et tee-shirt, de façon à faire le plus touriste possible, il ne pourrait pas me rater. Effectivement, j’allais en direction de l’American Jazz Café quand il vint vers moi : il ne ressemblait pas du tout à la photo. J’étais plus que surpris.

-          Barev ! Je suis Hratch, l’ami de Varoujean.

-          Euh ! oui ! … Désolé, je ne t’avais pas reconnu ?

-          Oui, c’est normal, je ne donne jamais ma photo, pour ne pas avoir de problème avec la police.

Je ne le connaissais pas encore, qu’il venait d’ajouter une couche de mystère. Sur la photo, il avait l’air grand et brun, portant barbe et lunettes, alors que là, c’était un gars d’une taille normale, rondouillard, les cheveux coiffés en brosse ; seul l’âge semblait identique.

-          On va boire un café quelque part, dis-je

-          Non pas la peine. On va marcher vers l’opéra, puis on se séparera dans quelques minutes.

Cette fois-ci, j’étais dans James Bond au pays des soviets ! Mais je l’écoutais attentivement car il ne parlait pas très fort et son accent anglais avait une grosse intonation arménienne. Je me concentrai sur sa bouche pour tout bien saisir.

-          J’ai ton renseignement… Le propriétaire de l’appartement est bien un ministre. En temps normal, le fait que ce soit un ministre, c’est déjà dangereux, mais là, c’est hyper dangereux.

Je n’osais pas l’interrompre, mais j’étais surpris.

-          C’est le ministre de l’intérieur, Vahé Atalyan. Donc, à partir de maintenant, tu ne t’occupes plus de rien, tu ne t’en mêles surtout pas. Tu finis tes vacances tranquilles, loin de tout ça ! Conseils d’ami !

-          Comment le sais-tu ?

-          Facile ! Je suis entré dans l’immeuble et j’ai regardé la boite aux lettres, et c’est bien son nom qu’il y a dessus. Qu’importe qu’il y habite ou pas. Tu laisses tomber ou tu auras les ennuis de ta vie. Préviens Varoujean qu’on abandonne !

-          Mais, ça veut dire que mes amis ici, le connaissent aussi ?

-          C’est ça qui est louche et qui n’est pas normal ! Comment un ministre connait-il des gays, plus ou moins impliqués dans une affaire de mœurs et de meurtre ? … Si tu veux mon avis, il y a autre chose là-dessous. Vaut mieux ne pas savoir.

Diantre ! Il avait raison. Comment était-ce possible ? pensai-je.

-          Quand même, tu connais Lisa et Yuri, voire Sasha et ceux qui sont détenus ?

-          Je connais Lisa, pas de problème ! En revanche, je ne connais pas personnellement les deux autres, je les ai juste aperçus une fois ou deux au Montecristo ; et tu sais, les militants LGBT ne sont pas légion à Erevan, je m’en rappellerais si je les avais vu chez nous. Et puis, les putes et les gays ne sont pas forcément les mêmes personnes, on n’a pas les mêmes raisons de se mobiliser et on n’a pas souvent les mêmes intérêts sur le terrain.

Il marqua une pause. Soupira.

-          Quant à ceux qui seraient détenus au commissariat du district de Nork-Marach : black-out total sur cette info. J’ai interrogé tous nos amis et personne n’est capable de dire si ce sont des putes ou des militants ou des clients. Et ne compte pas sur moi pour aller interroger ces ordures de flics… Le seul fait réel, c’est que Joshua Haglund a été assassiné à Pleshka, c’est tout… Sans oublier la nouvelle pièce du puzzle : le ministre de l’intérieur en personne vient de s’inviter dans l’histoire, il ne manquait plus que celui-là. Crois-moi, ça dépasse le seul cadre du vulgaire crime homophobe. Laisse tomber ! Ça pue le piège à des kilomètres.

Soudain, Hratch s’arrêta net de marcher.

-          Allez, salut ! Content de t’avoir connu. Tu salueras tout le monde de ma part à Paris.

Il me serra la main, puis me quitta aussi rapidement qu’il était arrivé. Je le suivis des yeux jusqu’à ce qu’il disparaisse de mon champ de vision.

J’étais plus abasourdi qu’inquiet par ce qui venait de se passer. Cette rencontre était aussi loufoque que les autres, il n’y avait donc rien de normal dans ce pays.

Je revins sur mes pas dans le Parc de la Liberté, je choisis un bar dont une des tables étaient assez éloignées du chemin, fallait que je m’isole un peu pour téléphoner à Varoujean.

J’espérais qu’il était rentré du boulot pour qu’on puisse parler tranquillement. Il décrocha après plusieurs sonneries.

-          Eh ! Ça va Daniel djan ! alors quoi de neuf ?

-          Ça va bien, Varoujean ! On peut se parler, tu es seul ?

-          Je suis encore au boulot, mais vas-y, je t’écoute.

-          J’ai rencontré ce Hratch. Il ne ressemblait absolument pas à la photo que tu m’as envoyée, c’est normal ?

-          Oui, sinon c’est ça qui n’aurait pas été normal. Il brouille les pistes, il a peur de la police, il est un peu parano, je crois. C’est un jeune gars un peu grassouillet, non ?

-          Oui, c’est lui.

Varoujean soupira. J’enchainai :

-          Euh oui ! Voilà les infos : Hratch a trouvé qui était le propriétaire de l’appartement, et tiens-toi bien : c’est le ministre de l’intérieur.

-          Oh putain de merde !

-          Il m’a dit que toute cette affaire puait le traquenard à plein nez. Tu y crois ?

-          D’après mes renseignements, ce Yuri aurait une connexion avec un membre du gouvernement, mais je n’ai jamais su qui c’était. Eh ben, c’est du lourd, on est gâté.

-          Hratch dit qu’il faut tout arrêter.

-          Ouais ! Mais c’est trop tard… La rédaction des NAM a reçu un message de l’ambassade d’Arménie en France aujourd’hui, pour dire qu’ils n’étaient pas contents de mon article, que tout était faux, etc… C’est un avertissement amical avant une protestation officielle et tu sais que les NAM aiment avoir de bonnes relations avec tout le monde, je crains le pire pour mon article…

-          Donc, Hratch a raison, il faut tout arrêter. Ils ont reçu un coup de pression d’Erevan, sans aucun doute.

-          Je m’en fous. Les NAM pourront bien faire ce qu’ils veulent, j’ai envoyé mon article à d’autres médias arméniens dans le monde. Je n’ai pas signé d’exclusivité. On va foutre le bordel pour améliorer la situation des LGBT dans notre pays, je te le jure, mon ami.

-          Eh ! Tu m’oublies un peu, là. Moi je suis sur place en première ligne.

-          Ben, laisse tomber ! Ce n’est pas grave. Termine tes vacances, je prends la suite… Il faut que je raccroche, mon chef vient d’arriver. A plus tard.

En fin de compte, Varoujean avait fait ce que Lisa et Yuri demandaient depuis le début : alerter l’opinion… Cependant, sa désinvolture me gênait, il me négligeait complètement. Hratch et lui, avaient raison sur le dernier point : il fallait laisser tomber. De toute façon, je n’avais jamais eu aucune prise sur cette histoire depuis le début, mon impuissance était flagrante, et heureusement, je n’avais pas été assez naïf pour croire que je pouvais changer les choses, ni pour m’impliquer pour les beaux yeux de Yuri.

Je récapitulai mentalement la situation : on avait le meurtre encore tout chaud du premier citoyen américain sur le sol arménien, une dizaine de personnes, dont Sasha, détenues soi-disant arbitrairement par la police, des gays et des prostitués, un ministre dont le nom faisait peur à tout le monde, une paranoïa locale à son paroxysme, des soi-disant amis sur place qui mettaient continuellement des bâtons dans les roues de ceux de Paris. Bref ! Une situation à devenir fou.

Varoujean et Hratch avaient plus que raison, il fallait que je termine mes vacances loin de tout ça.

Seulement, maintenant, c’était plus facile à dire qu’à faire. Yuri et Lisa semblaient se relayer pour m’entretenir de choses diverses et variées, pour garder le contact ou je ne savais quoi d’autre. Heureusement mon voyage touchait à sa fin.

Je flânais dans les allées du parc quand je reçus un texto de Yuri.

« Je suis chez Lisa. Si tu es dans les parages, on peut se voir cet après-midi. Batchigs, Yuri ».

Décidément, quand on pense au loup, il n’est jamais très loin… Au lieu de réfléchir et d’évaluer l’intérêt d’une nouvelle visite, je répondis quasiment sur le champ.

« Bien sûr ! J’arrive dans une quinzaine de minutes. A tout de suite. Batchigs, Daniel ».

Ce gars me captivait encore. Je trouvais sa personnalité hors du commun, il sortait réellement des sentiers battus pour un Arménien, mais également en tant qu’être humain. J’étais surpris de me voir courir dès qu’il m’appelait, mais je ne voyais pas pourquoi je devais me priver de sa compagnie, même si je m’en méfiais, et même si je jugeais à posteriori, toutes nos rencontres comme étant infructueuses, voire malsaines parce que je me sentais à chaque fois manipulé. Tout en marchant, je discutais avec moi-même : « tu cours dès qu’il t’appelle, je ne vois pas pourquoi »

Du Parc de la Liberté jusqu’à la rue Amirian, il me fallut moins de temps que je ne l’avais annoncé à Yuri. J’étais même en avance : en fin de compte, l’inconnu m’attirait plus que tout.

Yuri m’accueillit sur le pas de la porte, la blondeur de ses cheveux illumina le palier, il rayonnait de joie. Je fus un peu étonné de cet accueil.

-          Barev, Yuri ! Tout va bien ?

-          Oh oui, mon ami ! Tout va bien. Tout va très bien… Tu n’es pas au courant ?

-          Au courant de quoi ?

-          Le ministre de la justice a officiellement protesté concernant les allégations de détentions arbitraires de citoyens arméniens contre leur gré. Il confirme qu’il y a bien une enquête en cours concernant le meurtre d’un citoyen américain et que si des témoins étaient actuellement entendus, ils seraient libres dès que leurs dépositions seraient faites et vérifiées comme la loi le prévoit. C’était aux infos de ce matin sur Armenia TV.

Je ne voyais toujours pas ce qui excitait Yuri à ce point.

-          Tu ne vois pas ? Sasha sera libéré dans peu de temps. Ce n’est qu’une question d’heures, maintenant. J’en suis certain.

Je remarquai une pile de bagages près de la porte d’entrée.

-          Lisa s’apprête à partir ? dis-je en montrant les valises.

-          Je ne sais pas : c’est peut-être ses parents ?

 

Didier Kalionian - Le Blog Imaginaire (c) 2019 - 2020

(Si cette histoire vous a plu, n’oubliez pas de liker. Merci. Retrouvez la communauté des lecteurs sur Facebook, DKalionian BlogImaginaire)

Publicité
Publicité
Commentaires
Didier K. Expérience
Publicité
Archives
Newsletter
12 abonnés
Visiteurs
Depuis la création 21 568
Publicité