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Didier K. Expérience
17 février 2019

Némésis - E.17/35

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J’ai formidablement bien dormi malgré la journée chaotique de la veille, le réveil sonne à 6h, je me lève sans stress. Je sais que j’ai rêvé mais je suis incapable de m’en souvenir. Je m’étire comme un chat, noir bien sûr. J’ai envie de faire des pointes, j’essaie de toucher le plafond en tendant les bras, ma colonne craque, c’est très bon. Dire que je fais tout ça pour aller travailler, me désole. Mais, désormais, je vais retrouver les sacrifiés du MEDEF, comme ils s’appellent eux-mêmes, maintenant.

Ce matin, je me sens capable d’affronter le monde entier, je mets du NIN dans le walkman, ça me rappellera Romain, et ça me fera du bien.

J’arrive au bureau, l’ambiance du moment est reconnaissable entre toutes : enterrement de première classe. Je prends les premiers appels, je travaille comme si de rien n’était et je ne m’occupe plus de mes collègues, qui eux, passent leur temps en conciliabule. Ils sont persuadés qu’un recours existe mais qu’on leur cache la vérité. Un complot ourdi par la direction, soutenu en secret par les syndicats et le comité d’entreprise, aurait été mis en place contre les employés. Je ne sais pas où ils vont chercher tout ça, mais ils me laissent perplexe. Ils sont perdus dans l’espace intersidéral de ce monde ultra libéral. Personnellement, je n’ai jamais voté aux élections professionnelles, mais je ne vois pas comment il pourrait y avoir une collusion entre la direction et les syndicats, puisque des membres du CE sont eux-mêmes concernés par ces licenciements. Ma voisine m’a répondu que je n’y connaissais rien et que je ferais mieux de rester dans mon monde de drogués. Soit !

En fait, ces gens parasitent ma fragile bonne humeur, alors que je ne pense qu’à la « Spécial Cure » aux Caves avec mes copines Nocturna et Mag, alias Lady Donotdisturb, j’ai hâte de les revoir.

Depuis que je sais que le service va fermer, je me sens libérée d’un poids, je n’ai plus besoin de résister à la pression, je ne la ressens plus. Je prends mes pauses comme je veux, je passe du temps aux toilettes pour me peindre les ongles en noir, je n’ai pas eu le temps de le faire ce matin. Je finis aussi de me coiffer et de me maquiller. J’ai institué une pause clope toutes les deux heures sans demander l’avis de qui que ce soit. Je fais attention à ma voisine de bureau avec qui j’ai eu l’altercation hier matin, j’ai décidé de faire la paix, je lui apporte un café après avoir fumé. C’est tout juste si elle me regarde, ses lèvres bougent à peine pour me remercier, j’aurais dû me douter qu’à la paix comme à la guerre, il faut être deux pour que ça marche, mais je ne désespère pas.

Je décide de prendre du temps pour expliquer les rouages de la télévente à une jeune stagiaire qui m’assiste parfois. Mais dès que je m’installe avec elle, je vois Martine que me fait signe de venir dans son bureau.

-          Hélène ! Ne perds pas ton temps avec la stagiaire, s’il te plait. On n’aura pas fini d’éternuer qu’on l’aura déjà virée… Alors, mollo sur les explications. Merci !

Je ne réponds pas, ce n’est pas la peine. Que peut-on répondre à une telle remarque ? Martine est le mépris incarné et à part la maudire, je ne sais pas ce que je pourrais faire. La pauvre stagiaire décampe de mon bureau sans un mot, de toute façon, elle sait qu’elle n’a pas d’avenir dans cette boite, surtout en ce moment.

D’ailleurs, on reçoit tous un mail de la chef nous demandant de ne plus nous occuper d’eux, Martine s’en chargera désormais.

C’est assez drôle comme situation ! On lit tous en même temps le mail et on relève la tête tous en même temps également, et on murmure tous quelque chose dans notre barbe, j’ai l’impression qu’on est devenu une secte et qu’on vient de faire notre prière. C’est drôle et inquiétant, mais symptomatique de notre époque où la robotique n’a d’égale que la mécanisation des esprits ; on doit devenir des machines insensibles et obéissantes. Voilà que je me mets à philosopher sur le travail, maintenant ! Heureusement, le téléphone sonne pour me remettre les idées en place, les clients sont sans pitié, leur énervement me rappelle que je ne suis rien pour eux : juste une voix au bout du fil.

Bon, j’ai assez réfléchi pour aujourd’hui, c’est bientôt le week-end, il faut que je me teigne les cheveux en noir et que je prépare ma parure, je veux être la plus belle pour aller danser.

Dès que l’horloge marque 17h, je coupe ma ligne et j’éteins mon ordinateur. Je dépose mon casque sur mon clavier, je le reprendrai lundi prochain. Martine ne m’a toujours pas rendu ma demande de congés validée, mais il va falloir qu’elle s’active car à partir de lundi, ils seront validés d’office dans le système.

En sortant de l’open-space, je passe devant son bureau, et elle me fait signe d’entrer. Qu’est-ce qu’elle me veut, encore ? Elle me tend ma feuille de congés validés et acceptés, j’esquisse un sourire et je remarque qu’elle me sourit également.

-          Bon week-end, Hay-Laine! A lundi!

Je suis surprise, c’est bien la première fois qu’elle me parle normalement.

-          Euh ! A toi aussi, dis-je penaude.

Je suis ravie mais inquiète, Martine ne fait jamais rien pour rien. Je quitte le bâtiment le plus rapidement possible, laissant les trainards derrière moi, qui préfèrent se réunir encore une fois pour reparler de leur avenir bouché. Je sais moi qu’il n’y a rien à tenter, la direction fera ce qu’elle voudra, qu’on soit d’accord ou pas. … En tout cas, encore une semaine de boulot et ensuite, une semaine de vacances, ça va être le pied, je le sens bien.

En rentrant, je passe comme tous les soirs devant mon arabe du coin, mais encore une fois, je l’évite. Il faut que je trouve un flacon de Crazy Color chez mon coiffeur, avant qu’il ferme. J’aime bien mon coiffeur, il ne coiffe que les hommes, mais il fait une exception pour moi. Il est gothique aussi, mais il est gay. Et évidemment, comme si c’était fait exprès, il me plait. Il est beau comme un dieu grec, grand, mince, musclé sec, imberbe, les cheveux courts et teint en noir de jais, les bras tatoués de signes mystérieux, les oreilles percées, une fine moustache souligne ses lèvres charnues. Il se nomme Feliciano, il est d’origine portugaise. J’adore prononcer son prénom et lui, ça l’amuse de l’entendre à tout bout de champ. Il a une voix légèrement aigue qui ne colle pas avec son look, pourtant il n’est pas maniéré, c’est juste sa voix qui ne va pas avec l’ensemble. Enfin ! C’est mon avis, bien sûr.

J’arrive juste avant qu’il ne ferme, je lui expose ce qui m’amène et par chance, il lui reste un flacon de teinture. Comme il n’a plus de client à cette heure-ci, il me propose de faire ma couleur, et gratuitement en plus. J’accepte sans sourciller. J’aime sa compagnie, il est agréable et toujours de bon conseil.

-          J’ai pensé à toi cette semaine, tu sais qu’il y a une « Special Cure » aux Caves, demain soir ?

-          Je suis au courant, et bien évidemment, j’y vais. C’est pour ça que je fais cette couleur. Et toi, tu y vas ?

-          Je suis toujours fourré aux Caves, donc quoi qu’il arrive, j’y serai.

-          Dans ce cas, on se boira un coup, je t’invite, ça me fait super plaisir.

Il sourit. Je vois qu’il s’applique, il fait ça très sérieusement.

-          J’ai appris pour ta rupture avec Cheval Fou. C’est dommage.

-          C’est dommage pour qui ? Pour moi, oui ! Pour lui, je ne sais pas, étant donné qu’il m’a viré… Tu le connais ?

-          Un peu… Je n’ai jamais parlé avec lui, mais j’ai des potes qui le fréquentent. Il va plutôt au Blak Klub, non ?

J’acquiesce mollement. Il m’applique le produit sur les cheveux, je ne peux pas vraiment bouger.

-          Il se réapprovisionne là-bas. Je connais Chauve-Pourri, c’est aussi mon dealer, enfin, c’est un peu le dealer de tout le monde. Ils sont toujours ensemble, ces deux-là. Mais les mecs qu’ils fréquentent ne sont pas vraiment recommandables…

-          C’est-à-dire ?

-          Je ne les connais pas vraiment, je me contente de faire mes affaires avec Chauve-Pourri, mais je sais que ses potes n’ont rien à voir avec le milieu gothique. Ils sont juste là pour le business de la dope. C’est du sérieux, rien à voir avec les revendeurs de shit dans le métro. Cheval Fou est un de leurs bons clients, c’est tout ce que je peux te dire.

Manifestement, Feliciano ne connait pas son vrai prénom, mais il l’a bien vu en soirée.

-          C’est un beau mec ! Je me le taperais bien, dit-il avec un large sourire.

-          Tu peux ! Je ne t’en voudrais pas du tout.

On rit !

-          Je plaisantais ! Il ne m’intéresse pas. Tu n’es pas la première à qui il a fait une crasse. Je ne le sens pas, ce mec. En tout cas, quelqu’un s’est vengé en lui tartinant sa boite aux lettres de merde : ça m’a bien fait rire. C’est génial comme vengeance.

Oh ! Il en a entendu parler ! Je suis surprise et même surmasquée !

-          Tu le savais, Eileen ?

-          Hum ! Oui, vaguement…

-          J’imagine bien sa tête quand il a ouvert sa boite, il devait y avoir une odeur, je ne te dis pas. Oh ! Quel fumet !

Il mime qu’il se bouche le nez. Il rit tout en me séchant.

Ma couleur est terminée, je suis pressée de le quitter, j’ai peur d’être démasquée. Même si je ne vois pas Feliciano très souvent, je ne pensais pas que l’info était venue jusqu’à lui… De toute façon, je le reverrai demain soir aux Caves, je lui dois au moins un verre pour la teinture. Je pars en coup de vent.

Dès que je suis dans la rue, j’éclate de rire, je suis trop contente du succès de Némésis, c’est inattendu et pour un premier coup d’essai, c’est un coup de maitre. Il n’y a pas à dire, rien ne vaut une bonne vengeance pour se remettre en selle.

Didier Kalionian – Le Blog Imaginaire © 2019

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