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Didier K. Expérience
29 mai 2022

D'Une Vie, l'Autre - E.21/34

D'une vie, l'autre

Chez son ex, Michel, c’était un peu différent. Il avait ri en recevant le texto, il avait répondu par un smiley moqueur. Puis, voyant qu’il n’y avait pas de retour, il avait fini par croire que Véronique ne blaguait pas : elle était vraiment enceinte.

Depuis qu’ils s’étaient séparés, Michel avait la nette impression que son ex-femme était folle, du moins qu’elle était habitée par une folie douce qu’il n’avait pas su déceler à leur rencontre. Seulement, là, il lui semblait bien qu’elle avait un pète au casque plus prononcé qu’on ne l’aurait cru… Être enceinte à son âge, dans une situation aussi précaire, était une des nombreuses preuves de son dérangement mental… En fait, c’était moins dangereux de traverser le Sahara à pied, que de vivre avec elle.

Michel ne comprenait plus la logique de son ex-femme. Elle, qui avait été si méticuleuse, ne faisait plus attention à rien. Plus rien n’était pressé, plus rien n’avait d’importance, sauf Rachid et l’argent, bien sûr.

La demande de divorce était arrivée très vite, Michel n’avait pas pu résister à l’avalanche que Véronique avait provoquée : il s’était senti enseveli tout de suite. Tel un rouleau compresseur, elle avait mené tambour battant la charge ; la séparation se fit à l’amiable : là-dessus, tout le monde était d’accord.

Puis, très vite, elle avait déménagé, n’emmenant que le strict nécessaire. Aucun meuble n’avait trouvé grâce à ses yeux, au grand dam de Rachid qui aurait bien aimé en prendre quelques-uns pour changer son intérieur, ou tout simplement pour les revendre.

Michel avait gardé les enfants, les meubles et la maison.

Il avait aussi le sentiment d’avoir gardé la raison qui avait fui son ex-femme. Cependant, ce sentiment ne fut pas assez fort pour l’empêcher de sombrer dans une dépression… Il glissa lentement dans un trou noir. Il en avait conscience mais il ne pouvait pas lutter.

Les premières semaines qui avaient suivi le départ de Véronique, l’avaient laissé dans un état de léthargie : il n’avait de goût à rien, ni d’appétit : il avait maigri, ça se voyait. Il se forçait à déjeuner avec ses collègues le midi, mais le soir, rien n’y faisait, il ne pouvait rien avaler.

Il se couchait seul. Il dormait seul.

Il ne trouvait le sommeil que quelques heures avant de se lever : il se levait, fatigué, ça aussi, ça se voyait.

Il connut une perte totale de sa libido : au début, en tout cas. Puis, tout doucement, un démon de jeunesse vint le hanter… Il avait une forte envie de toucher quelqu’un. Le corps de sa femme lui manquait : le corps d’une femme à ses côtés lui manquait. Plus les jours passaient, plus ça le torturait.

Il passa la première semaine à penser à autre chose, puis n’y tenant plus, il se caressa de plus en plus. Il redécouvrit son corps ; ça faisait des semaines qu’il n’avait pas eu d’érection. Son sexe était toujours là, prêt à l’emploi, mais n’ayant que ses mains pour simuler la relation, qu’à la fin, il se masturba.

La première fois fut comme une délivrance. Il s’était masturbé en prenant sa douche : l’éjaculation fut si forte, qu’elle le libéra d’un coup du stress accumulé depuis des semaines.

-          C’est trop bon ! lâcha-t-il dans un râle.

Il retrouvait avec amusement le plaisir solitaire de son adolescence. Il s’y adonna matin et soir, dès qu’il était sous la douche. C’était le bon endroit pour se détendre et pour le faire : il se lavait ensuite, l’eau chassant toute trace. Il répugnait de le faire dans son lit, à ses yeux, le lit était fait pour faire l’amour ou pour dormir : pas pour se masturber.

Michel savait qu’il était dépressif, mais il n’aurait jamais cru qu’un des premiers symptômes visibles, serait le manque de sexe. Il avait envie d’une femme, et il avait envie de jouir… Lors d’une visite pour renouveler son stock d’antidépresseurs, il en parla à son médecin qui le félicita et l’incita plus ou moins à continuer : ce qui ne vous fait pas de mal, est bon pour vous… Il découvrit qu’il ne culpabilisait pas plus que ça : il en avait envie, il ne pouvait pas résister pour le moment.

Quand il vivait avec Véronique, il répugnait franchement à se toucher : ça le dégoutait plus qu’autre chose. Il n’avait aucune passion pour son sexe, ni pour l’acte sexuel en général. Sa gentille petite femme était là pour assouvir des pulsions naturelles ; ils faisaient l’amour comme tout le monde : son ego était comblé.

Il avait eu droit à sa séance le dimanche matin, donc tous les sept jours : c’était suffisant. Quand Véronique avait ses règles, par exemple, il supportait assez bien d’attendre un peu plus longtemps. Mais maintenant, il n’avait plus personne à attendre, il fallait qu’il se libère de ce poids, il était en manque. La « branlette » l’aidait bien sur le moment, mais il ne voulait pas que ça devienne le futur de sa vie sexuelle et affective… Il commença à se resigner : il lui fallait quelqu’un pour remplacer Véronique.

Il dormait mieux, mais ses yeux restaient cernés de fatigue et de stress.

Il s’était remis à fumer. Il buvait des litres de café. Il se dépensait sans compter au boulot pour oublier son échec et retrouver la reconnaissance qu’il n’avait plus dans sa vie privée.

Son esprit rationnel luttait pour rester maitre de ses pensées : il était hors de question de les brouiller sous l’effet de l’alcool ou d’autres substances. S’il buvait du vin de temps en temps, ou s’il se permettait un apéritif le vendredi soir, il n’avait pas d’argent pour acheter de la drogue. Non seulement il n’en avait pas envie, mais il n’en avait encore moins les moyens : la question était réglée.

Il passait son temps libre à regarder la télé.

La première chose qu’il faisait le matin après s’être levé, était de l’allumer. Il ne la regardait pas, il l’entendait, il appréciait cette présence sonore pendant qu’il se préparait. Pauline et Calvin étaient ravis de démarrer la journée de cette façon : ils se gavaient de clips, de pubs et de nutella avant d’aller en cours... Le soir, c’était différent ; il rentrait, il allumait, puis il s’affalait dans le canapé pour ne plus s’en relever de la soirée. Tout y passait, des jeux débiles aux émissions culturelles ou scientifiques, il ne lâchait plus les JT… Cependant il regardait comme un aveugle, il fixait l’écran mais il ne semblait pas voir grand-chose, et il ne retenait jamais rien. Sa seule limite, était sa capacité à garder les yeux ouverts. Souvent, en semaine, il s’endormait tard, devant le poste allumé… Il se laissait glisser dans un sommeil léger, peuplé de rêves débiles dont il ne se souvenait quasiment jamais. La seule chose dont il était sûr, c’est qu’il ne rêvait pas de sa femme : Véronique avait disparu de sa vie et de ses fantasmes. Il finissait toujours par se réveiller au beau milieu de la nuit, dans une mauvaise position, les membres ankylosés, le dos endolori, le palais pâteux. Le cendrier dégageait une odeur désagréable, la fumée de cigarette avait imprégné toute la salle à manger ; il avait parfois l’impression de se comporter comme un futur clochard.

Heureusement, Pauline et Calvin étaient devenus des vrais soutiens. Au début, ils avaient un peu souffert de la séparation de leurs parents, mais finalement, ils supportaient assez bien la situation. Tous les deux n’avaient eu qu’une seule revendication : ils ne voulaient pas vivre avec leur mère. Du coup, ils avaient un peu ravalé leurs prétentions, de peur de devoir émigrer de l’autre côté de l’autoroute, vers la cité des 5000 ; et ils s’étaient rapprochés l’un de l’autre.

Michel avait traversé ces cinq années avec plus ou moins de grâce. La première année avait été la plus dure : celle où tous ses repères s’étaient effondrés, où il avait été obligé de se remettre en question. Il avait dû se résoudre à consulter un psy pour sortir de sa torpeur, et lui redonner le goût de vivre. Ses amis l’avaient assez bien soutenu, également. Il avait accepté tous les conseils, même les plus farfelus.

Il avait fini par s’inscrire à des clubs de sport (natation, musculation, jogging.), voire à des clubs de cuisine. Il y avait une seule constante : il était nul partout. Heureusement, il n’y allait pas tous les soirs, il avait du mal à s’intégrer et à côtoyer les différentes couches sociales. Là où il avait le plus de mal, c’était en sport. Il avait honte de son corps qui avait perdu en souplesse et qui avait pris en rondeurs disgracieuses : il se cachait plus qu’autre chose. Les coachs avaient du mal à le faire participer… En revanche, il participait volontiers en cuisine, surtout lorsqu’il essayait de reproduire des plats sud-américains dont il raffolait. Le résultat n’était pas souvent probant, mais il s’amusait beaucoup. Ça le distrayait d’apprendre à cuisiner avec des inconnus, avec lesquels il dinait ensuite…

Il avait quand même une passion : il aimait argumenter sur tout un tas de questions, et là, il n’était pas mauvais. Il tchatchait, il discutait le bout de gras, sans prendre la tête des autres consommateurs, il s’amusait… De soirées en soirées, il avait fini par rencontrer des gens qui lui avaient donné d’autres adresses, où on aimait débattre de sujets qui lui plaisaient, en buvant un verre de vin, jusque très tard dans la nuit : Michel découvrit les cafés-philos. Malheureusement pour lui, ils étaient tous situés dans Paris, ce qui l’obligeait à sortir de sa banlieue confortable, ou plus exactement de sa zone de confort. Il n’aimait pas conduire dans Paris la nuit ; cependant, sortir le soir lui donnait l’impression de remplir sa vie… C’est vrai, ceux qui vivent la nuit ont toujours l’air de vivre plus intensément que les autres, pensait-il.

Il devint rapidement un des habitués du vendredi soir.

Dans ces cafés, il découvrit des gens qui aimaient partager leur savoir sans se soucier des diplômes de leurs interlocuteurs, ils discutaient en toute simplicité : la convivialité primait. Il n’y avait pas que des gens obsédés par leur nombril, ce qui le rassurait sur le genre humain…

Un soir, il se rendit compte qu’il n’aurait jamais pu participer à ce genre de cafés avec son ex-femme, Véronique.

En revanche, partout où il allait, la majorité des convives étaient des hommes, souvent de son âge, voire plus vieux. Il y avait peu de jeunes, et surtout, quasiment pas de femmes. Certains semblaient avoir dépassé la date limite de péremption, alors qu’ils n’étaient pas si vieux que ça… Michel était content de pouvoir confronter ses idées hors de sa sphère habituelle, il était rassuré sur son état mental et sur la qualité de ses communications, mais il se rendit compte qu’il fallait qu’il fasse un effort pour rester attractif physiquement : l’esprit, c’est bien, mais sans le corps, ça ne sert à rien… Car bien évidemment, Michel n’avait pas intégré ces cafés uniquement pour palabrer, il voulait faire des rencontres, si possible avec des gens intelligents, et pourquoi pas, y croiser l’âme sœur.

De ce point vue-là, il allait d’échec en échec. Il avait beau être le plus sympa des convives à une tablée, ou un bon compétiteur lors d’une séance de sport collective, ou lors de joutes verbales dans un café-philo, rien n’y faisait, il repartait bredouille… Tout le monde le trouvait agréable, charmant, intelligent, mais personne n’avait envie de poursuivre l’expérience avec lui dans un lit.

Il en parlait beaucoup et souvent avec ses meilleurs amis, du moins ceux avec qui il pouvait se confier en toute sincérité. Ils lui avaient tous conseillé de ne pas être trop insistant avec les filles : ce n’était plus la mode des lourdauds… En même temps, il sentait bien qu’il fallait forcer un peu pour que ça marche. Il fallait choisir un juste milieu selon la situation, sauf qu’il n’y arrivait pas. Il draguait avec vingt ans de retard, avec les techniques d’une autre époque.

Il avait bien remarqué que la majorité des gens n’était pas là par hasard, ils étaient quasiment tous cruellement seuls. Mais briser sa solitude ne signifiait pas qu’on veuille obligatoirement coucher avec tout le monde.

Il ne désespérait pourtant pas. Son divorce l’avait fait sortir des rails de sa vie, il avait dû casser de force, la routine qui s’était agglutinée sur lui durant toutes ces années tel un blindage : il avait changé du tout au tout. Dans son cas, c’était même devenu une question de vie ou de mort.

Seulement, il n’avait plus vingt ans, il était perdu en permanence dans ce monde qui avait tourné sans lui depuis si longtemps. Il ne maitrisait pas les codes actuels qui régissaient la société : tout lui échappait.

A quarante ans passés, il se remettait en question brutalement, sans préparation. Ce qui n’avait pas été le cas de Véronique, son ex-femme, qui elle, avait préparé soigneusement sa reconversion.

 

Didier Kalionian - Le Blog Imaginaire (c) 2022

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