Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Didier K. Expérience
28 mai 2022

D'Une Vie, L'Autre - E.20/34

D'une vie, l'autre

… Cinq ans ont passé depuis le départ de Véronique de la maison. Nos protagonistes ont tous suivi des trajectoires différentes et compliquées, mais ça, ce n’est pas très difficile à imaginer. Les enfants ont mûri, tout le monde a vieilli, les situations se sont plus ou moins stabilisées. Véronique a gardé un certain avantage, elle qui ne représentait rien dans son ancienne vie, déstabilise en permanence son entourage par ses décisions. Elle est devenue imprévisible et ses projets continuent de faire la pluie et le beau temps dans sa famille. Ça peut paraitre incroyable mais c’est comme ça…

***

Véronique avait prévenu ses enfants en premier par texto, puis Maryse, et enfin Michel : elle était enceinte.

La nouvelle avait fait son effet. Chacun l’avait reçue à sa façon. Une blague pour Michel, un cadeau pour Rachid, une bombe pour Pauline et Calvin, un moment d’égarement supplémentaire pour Maryse et ses parents.

A près de quarante-cinq ans, Véronique était tombée enceinte des œuvres de Rachid. Ce dernier avait dû se battre pour que sa concubine accepte de porter son enfant à cet âge avancé.

Rachid ne voyait plus sa famille depuis longtemps. Mais cette fois-ci, il avait tenu à informer ses parents, frères et sœurs, que sa « femme » allait avoir un petit. Ils reçurent la nouvelle avec pragmatisme, la première question que le père posa, fut : l’enfant sera-t-il musulman ? La réponse ne souffrait aucune ambiguïté. Elle signifiait qu’il ne pourrait revenir dans le giron familial qu’à cette condition. Ça voulait dire également qu’il mettait un terme à toutes ses frasques : finis la débauche, l’alcool et la drogue.

Rachid, de cette forme de rachat, comprit tout de suite l’avantage qu’il pourrait tirer. Dans un flash de lucidité, il répondit à son père par l’affirmative… Dès le lendemain, sa mère l’appela pour avoir des nouvelles de sa « femme », et demanda à parler à celle-ci.

-          Bonjour ma fille, comment vas-tu ?

-          Bonjour madame, je vais bien. Merci.

-          J’espère que tu ne travailles pas trop. Il faut te ménager maintenant. Mon fils va s’occuper de tout. Je vais bientôt venir te voir. Ne t’inquiète pas ! Tout va bien se passer.

-          Merci madame. Tout va bien. Je n’en suis qu’au début. C’est gentil de m’appeler. Je suis contente de vous parler. J’espère qu’on pourra se voir bientôt.

-          Il faudra aussi penser à ton mariage avec mon fils. C’est mieux pour l’enfant, et pour vous aussi… Qu’est-ce que je suis contente. Je suis heureuse, ma fille. Allez, à bientôt.

Véronique accueillit les recommandations de la mère de Rachid avec bienveillance, même si elle n’avait pas bien compris cette histoire de mariage. En tout cas, la mère de Rachid avait l’air réellement heureuse de lui parler au téléphone.

Manifestement, Rachid devait des explications à sa future femme, ou alors quelque chose lui avait échappé… Véronique ne savait pas encore comment interpréter les informations que l’on venait de lui donner… C’était le futur grand challenge de Rachid : il fallait lui faire avaler une sacrée pilule…

Véronique était catholique et croyante, mais ne pratiquait qu’occasionnellement : elle fréquentait plus souvent sa salle de bain que les églises… Ils n’avaient jamais abordé la question car Rachid était plutôt quelqu’un de terre-à-terre, qui ne s’embarrassait pas avec ce genre de choses, surtout celles qui l’empêchaient de faire la fête, et de vivre comme il l’entendait. Sauf que là, il fallait donner à l’enfant un prénom musulman, sacrifier un ou deux moutons, selon qu’on avait une fille ou un garçon, et envisager fortement la conversion de Véronique à l’islam.

Rachid avait toujours considéré la religion comme une prison et son père comme un rabat-joie moyenâgeux. Celui-ci était un croyant taciturne qui prêchait la rectitude et qui vivait dans la vérité du coran. Cependant, il imposait le minimum à sa famille. Tous ses enfants avaient été élevés selon la tradition musulmane, et dans le respect des lois françaises, ça lui suffisait. Il vivait sa foi tranquillement sans oppresser son entourage, mais c’était encore trop pour le petit Rachid qui n’avait rêvé que de vie facile comme dans les sitcoms américaines. Il aurait voulu s’appeler Johnny ou Quincy, être californien, et passer ses journées à la plage à faire du surf : au lieu de ça, il surnageait dans une cité HLM, plus souvent dans le froid et la grisaille qu’au soleil, il n’avait quasiment jamais vu la mer. Il n’avait jamais réussi à apprendre l’anglais à l’école, encore moins, à parler l’arabe… Faut dire aussi qu’il rêvait en VO, au son de Bob Marley, de Barry White et de James Brown : le folklore de la cité.

Il maudissait son père d’avoir choisi la France comme terre d’accueil, plutôt que les Etats-Unis… Rachid avait des tonnes de griefs à lui reprocher : l’exil en fut plus supportable.

Il avait été chassé du foyer familial le jour où son père avait dû le récupérer au commissariat après une énième garde-à-vue pour trafic de stupéfiants et ivresse sur la voie publique. La rupture avait été consommée ce jour-là. La honte du père avait été plus forte que l’amour pour son fils égaré.

Après des années de turbulences sous l’emprise d’alcool et d’autres substances illicites, Rachid voyait enfin le bout du tunnel. Ce qu’il avait pris pour une chance, c’est-à-dire, naviguer en totale liberté, s’était révélé un calvaire : sa famille lui manquait terriblement… Il n’avait jamais pensé au mariage, encore moins à avoir un enfant, et qui plus est, avec une femme qui n’avait pas ses origines. Tout ça, c’était pour ses frères et sœurs, mais pas pour lui. Lui, il s’en foutait totalement… Il veillait même à ce que Véronique prenne bien la pilule : mais il n’avait pas prévu l’accident. Cet accident qui allait lui permettre de rentrer au bercail. Restait à l’expliquer à Véronique, et là, c’était une autre paire de manches.

Pourtant, il avait déjà eu un enfant avec une fille qui partageait son addiction pour l’alcool. Lors d’une énième cuite mémorable qui avait tourné en bagarre, elle avait pris ses affaires, avait disparu, et n’avait plus jamais donné de ses nouvelles. Sauf une fois, pour lui annoncer qu’elle avait accouché et qu’il avait un fils. Rachid ne reconnut jamais l’enfant, parce que rien ne le prouvait, parce que ça lui faisait peur, également. Il régla quand même les frais d’hôpital par compassion pour son ex-copine. Il n’en parla jamais à personne dans sa famille. Cette expérience lui servit de leçon, il ne se laissa plus jamais piéger.

Il avait été élevé dans la religion, la tradition marocaine et le culte des anciens. Ce qui s’accordait plutôt mal avec les préceptes républicains français. Seule l’hypocrisie était commune aux deux cultures.

Cependant, il n’allait pas devenir un saint du jour au lendemain. Mais il pouvait faire son djihad, c’est-à-dire, un effort : c’était tout ce qu’on lui demandait, d’ailleurs, pour l’instant…

… Chers lecteurs, je vous vois venir : vous vous demandez ce que je raconte là ? Je sais bien ce qu’on dit dans les journaux, mais la traduction est inappropriée. Eh oui, le terme « djihad » ne veut pas dire « guerre sainte », mais signifie : « faire un effort pour soi-même ». Ce sont les médias occidentaux qui ont transformés ce terme… Rachid ne va pas partir en croisade contre les mécréants, mais contre lui-même. Et c’est loin d’être gagné ! Surtout avec un oiseau de nuit comme celui-là, habitué à faire la fête pour n’importe quel prétexte et avec n’importe qui…

Pour le moment, tout était à l’état de promesse : il fallait quand même que Véronique accouche, et ce n’était pas encore pour tout de suite…

Dès qu’elle fut certaine d’être enceinte, elle se précipita chez son employeur, soit sa boite d’intérim, pour leur annoncer la bonne nouvelle : elle arrêtait sa mission. Puis, en deux ou trois clics sur le site internet de Pôle emploi, elle se réinscrivit : elle serait bien mieux au chômage pour profiter de sa grossesse.

Au tout début, elle fut un peu stressée, ce n’était pas évident d’être enceinte à presque quarante-cinq ans, mais son médecin la suivait bien et lui prodiguait tous les soins nécessaires : elle était aux anges. En fin de compte, elle commençait à s’y faire et à s’y plaire. Rachid était plus angoissé qu’elle, mais pas pour les mêmes motifs. Tous les deux avaient de réelles raisons de croire en l’avenir.

 

Didier kalionian - le Blog Imaginaire (c) 2022

(Si cette histoire vous a plu, n’oubliez pas de liker. Merci. Retrouvez la communauté des lecteurs sur Facebook, DKalionian BlogImaginaire)

Publicité
Publicité
Commentaires
Didier K. Expérience
Publicité
Archives
Newsletter
11 abonnés
Visiteurs
Depuis la création 21 451
Publicité