Némésis - E.5/35

En sortant du boulot, je passe par le prisunic de mon quartier et j’achète deux packs de Leffe : ça devrait suffire pour notre petite sauterie. Lui, se charge des pizzas.

J’arrive chez lui sur les coups de 20h, ça sent la tomate cuite. Il vient juste de recevoir les deux pizzas, livrées par un gars en vélo : elles sont encore bien chaudes et ça sent divinement bon. On s’installe dans le salon, il passe un disque d’un groupe que je ne connais pas : IAMX, qui est un groupe anglais actuel, un mélange de gothique et d’indus.

On se pelotonne dans le canapé en buvant des bières : il est vraiment cool ce mec. La soirée sera aussi réussie que les autres. Bien évidemment, je reste pour dormir et plus si affinité.

La nuit a été mouvementée mais sans excès : je suis satisfaite quand même…

Romain est déjà debout quand je me réveille : il est en tenue de sport, il va faire son footing matinal.

-          Tu pars ?

-          Je vais courir. Je vais bruler toutes les toxines que j’ai accumulé hier soir. J’en ai besoin pour être en forme, ce soir.

-          Ok ! Je t’attends pour le petit déj, alors !

-          Non, pas la peine. Je ne déjeune pas le matin, et puis j’en ai pour deux bonnes heures. Je fais le tour du bois de Vincennes, des étirements, et après j’irai à la salle soulever de la fonte. On se voit chez toi ce soir, si tu veux. Je passerai te chercher.

Je me réveille et je suis encore un peu dans le coma quand toutes ces informations me parviennent jusqu’au cerveau.

-          Donc, qu’est-ce que je fais ce matin ? Je rentre, ou je t’attends ?

-          Tu peux rester si tu veux prendre un café, mais sinon, on se verra chez toi ce soir avant d’aller au Blak Klub. Tu ne m’en veux pas, j’espère ?

-          C’est juste que j’aurais aimé faire un câlin.

-          On s’en fera autant que tu voudras ce weekend : c’est promis.

Il m’embrasse, je sens le goût du dentifrice mentholé dans sa bouche. Je me dis que mon haleine doit être plus proche de celle du poney que de la rosée ; après toutes les clopes fumées et les bières que j’ai bues hier soir : il a du courage.

-          Quand tu partiras, merci de claquer la porte. J’ai mes clés.

Après tout, c’est peut-être mieux… Je me lève dès qu’il part : direction la salle de bain pour un brin de toilette sommaire. Je fignolerai chez moi après la sieste.

Ça faisait longtemps que je n’avais pas pris le métro un samedi matin. Heureusement, je somnole plus ou moins, les écouteurs à fond dans les oreilles, les stations défilent, les gens aussi, mais je ne les vois pas. Je me hâte de rentrer, la lumière du jour me gêne terriblement, surtout quand j’ai les traits un peu tirés. J’espère ne pas croiser mes voisins ni la gardienne, eux, que j’évite cordialement depuis une bonne dizaine d’années. J’entends bien continuer sur cette voie.

Je n’ai pas envie de réfléchir, je préfère me recoucher dès que je suis chez moi. Je pense à Romain en me lavant les dents. Je branche le réveil sur 17h. Je lui envoie un petit texto avant de me coucher.

-          « A tout à l’heure, mon Cheval Fou. Je serais prête vers 18h »

Le réveil sonne comme prévu à 17h, j’ai la tête dans le cul. Mais, aujourd’hui, il n’est pas question de trainasser, j’attends mon pur-sang. Avant de passer à la salle de bain, je jette un œil à mon portable. Je n’ai pas de messages. Je suis un peu déçue, mais ce n’est pas grave,

J’ai pris le temps de me préparer comme il fallait : je suis impeccable. J’ai un nouveau rouge qui me fait des lèvres aguichantes et très pulpeuses ; ma bouche ressort vraiment bien, on ne verra que ça dans la boite. Je m’applique à faire le contour des yeux avec du khôl, puis je noircis mes paupières façon Cléopâtre. J’applique la laque sur mes cheveux blonds qui seront en spike ce soir. Je me sens belle et désirable, j’espère rendre jalouse un max de filles.

En attendant que mon chevalier servant n’apparaisse, je dresse la table pour un apéro : bières et amuse-gueules. Ça nous occupera bien avant d’aller au Blak Klub.

Je reçois un texto de Romain vers 19h.

-          « Je passerai vers 22h. Désolé, peux pas faire autrement »

Je me mords la langue, j’ai trois heures d’avance, ce qui ne m’arrive jamais d’habitude. Je n’ai plus qu’à allumer la télé, à regarder les infos, et à attendre que ça passe. Je suis habillée pour sortir en boite, je ne peux rien faire d’autre dans cette tenue. J’essaie de ne pas boire toutes les bières : à mon âge, ce n’est pas facile de résister. Bref ! je m'ennuie.

Enfin, Romain arrive. Je sens la délivrance : mon cœur bat la chamade. Je lui fais mon plus beau sourire, on s’embrasse gentiment. L’attente est oubliée. Je lui propose une bière. Je le regarde déambuler dans le salon : il est magnifique. Il enlève sa gabardine qui me dévoile son look de ce soir : il est torse-nu sous un gilet en cuir, ses bras tatoués et musclés sont seyants à souhait, il porte un pantalon en cuir à lacets qui lui moule bien le fessier, et dont le bas est rentré dans une paire de New Rock. Ses cheveux sont lâchés, il a les yeux soulignés au khôl, sa barbe est taillée façon Jésus. On dirait une rockstar. Il est tellement beau, qu’on se fait une série de selfies pour immortaliser le moment.

-          Désolé, je n’ai pas pu me libérer avant. Tu ne m’en veux pas, j’espère ?

-          Non, pas du tout !

Je lâche un soupir, tout de même.

-          Je propose qu’on y aille tout de suite parce qu’il y a un concert ce soir : IAMX, je t’en ai fait écouter hier soir, tu t’en souviens ? C’est gratuit pour nous, ce sont des potes qui organisent la soirée.

Je souris par gentillesse, mais dans ma tête se dessine un gros « Oh ! merde » ! Je n’ai pas envie d’assister à un concert : ça veut dire qu’on va être bloqué derrière la scène pendant deux heures, sans pouvoir faire autre chose que de regarder. Bon, on verra bien…

On fait le trajet en métro, par la M11, de Belleville à Chatelet, en une quinzaine de minutes. Je le trouve nerveux, il est pressé d’arriver au Blak Klub, pourtant, on est largement dans les temps…Il est un peu plus de 23h quand on arrive : il y a déjà la queue. Donc, ce soir, il y aura beaucoup de monde. Romain aperçoit une connaissance parmi les videurs, celui-ci lui fait signe de doubler et d’entrer : je me sens comme la reine d’Angleterre.

A l’intérieur, c’est déjà plein comme un œuf : c’est un mauvais signe pour moi. On fait la queue pour le vestiaire obligatoire. On n’a pas le choix, ça ne me plait pas. Puis, on descend dans la boite où aura lieu le concert. Je ne connais pas la réputation de ce groupe, mais ils ont indiscutablement beaucoup de fans : c’est blindé. Parmi les spectateurs, je reconnais nombre de personnes que je croise aux Caves. Ce qui veut dire que la soirée au Blak Klub était vraiment celle où il fallait être ce soir. Nocturna est là, elle m’adresse un petit coucou, je reconnais mes autres copines, Stella et Nina. Pendant que je reluque le public, Romain discute avec un type bizarre, qui doit avoir dans les soixante ans, on dirait William Burroughs qui aurait rencontré Dracula.

-          Eileen, je te présente un ami à moi : Chauve-Pourri !

C’est un ami à lui ? Mais qu’ont-ils en commun ? Waouh ! Chauve-Pourri, ça, c’est un surnom ! Je me contente de sourire en guise de réponse.

-          Tu m’attends là ? Je vais au bar chercher des boissons, et je reviens, me dit Romain.

Ils partent tous les deux en direction du bar. Nocturna en profite pour venir me voir, elle est accompagnée d’une copine.

-          Il y a un monde fou ce soir. Je ne savais pas que ce groupe marchait autant ?

-          Salut Eileen ! IAMX, c’est plus qu’un concert, c’est une performance… Et puis, il n’y avait rien d’autre ce mois-ci. Ça nous permet de changer de crèmerie.

Le brouhaha du public ajouté à la musique d’ambiance : on ne s’entend plus. Nocturna est obligée de crier pour parler.

-          Je te présente ma copine Mélanie.

-          Enchanté Mélanie, moi c’est Eileen. On s’est déjà vu aux Caves, je crois.

Manifestement, Nocturna et Mélanie sont ensemble. Elles arborent toutes les deux un look « dominatrice » avec chaines, cuir, et cravaches : elles sont superbes, et diablement sexy.

-          Cheval Fou t’a présenté son pote ?

-          Ouais, vite fait ! C’est qui ce type ?

-          Ben, c’est un dealer ! Il traine dans le milieu depuis 1977 : il aurait rencontré Johnny Rotten, si tu vois ce que je veux dire, dit-elle d’un air moqueur. Tu ne l’as jamais vu ? Il a tout fait, punk, batcave, new wave, dark, électro, tout je te dis… maintenant, il fait vieux, c’est tout, dit-elle en riant.

Romain revient avec des bières, son pote n’est plus avec lui. Il se fraye un chemin jusqu’à moi. Nocturna et Mélanie le saluent gentiment, puis s’éclipsent. La lumière s’éteint et le concert commence.

Didier kalionian - Le Blog Imaginaire (c) 2018

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