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Didier K. Expérience
27 août 2020

Comme Un Voyage Initiatique (Israël 1999) - E.14/14

 

Voyage 1

C'est dimanche, c’est-à-dire, le premier jour de la semaine en Israël. Éric se lève bien avant moi pour se laver et finir son sac. Il a un sac à dos de cinq kilos pour deux semaines, soit trois paires de chaussettes, trois T-shirts, autant de slips, un pull et un blouson, plus ses affaires de toilettes… Je n’emmène pas grand-chose non plus, mais là, il bat tous les records. Il a déjà fait une semaine et il en reste une autre. J’aime ce genre d’attitude.

On est prêt tous les deux en un clin d’œil. On a un peu de temps devant nous pour prendre un petit dèj’, mais on le prend dans l’hôtel avec nos voisins anglais, qui ne nous adressent pas une seule fois la parole. Quelle bande de sauvages ceux-là ! Ils passent leurs temps à rire de tout et à se moquer de tout le monde. En voyage, les Anglais sont les pires voyageurs que je connaisse, d’une bêtise insondable, absolument associables… Une fois terminé, le patron vient nous demander de quitter nos chambres et de mettre nos sacs dans une consigne payante de l’hôtel : ce qu’on refuse. Là, il change complètement d’attitude avec nous : jusque-là, il avait été serviable, mais maintenant il devient hystérique. Il prétexte des consignes de sécurités antiterroristes que l’on juge totalement délirantes. Il nous demande de quitter immédiatement son hôtel, ce qu'on fait par ailleurs.

J’accompagne Éric à l’arrêt de bus qui le mènera à la gare ferroviaire… Je n’aime pas les adieux, je me sens toujours ridicule dans ces moments-là, je préfère ne pas m’attarder. Globalement, ce fut un bon compagnon de voyage. Lui, qui a partagé cette aventure avec moi, allait disparaitre.

L’arrêt de bus pour l’aéroport se situe près du Gordon, il y a déjà deux personnes qui attendent. La circulation est vraiment dense. Au bout d’une demi-heure d’attente, je commence à m’inquiéter : pas de bus à l’horizon. Les deux autres sont anxieux aussi, ils ne tiennent pas en place et consultent sans arrêt les horaires. Le bus est gravement en retard. Je prends l’initiative de leur proposer de partager un taxi à trois, ils sont d’accord. Une voiture nous arrive rapidement : direction l’aéroport.

Depuis une semaine, je ne fais que faire des connaissances, comme un jeu et c’est tellement facile que je me lâche tout de suite avec les deux. L’un est Allemand, il vient d’Egypte et se rends en Turquie. Il a l’air sympa, je regrette de suite de ne pas le suivre. L’autre est Chinoise et je ne peux en tirer un mot, juste qu’elle est d’accord pour payer son tiers de prix. Le taxi roule difficilement dans Tel-Aviv, mais quand nous sortons enfin de la ville pour prendre l’autoroute, nous voyons l’étendue du problème. Tout est totalement bouché… Le chauffeur nous rassure, en nous disant que c’est comme ça tous les matins, spécialement le lendemain du week-end. Nous avançons doucement mais sûrement. En route, on voit notre bus dans l’autre sens complètement bloqué à l'arrêt, on a bien fait de prendre un taxi.

Après une bonne demi-heure de route, nous arrivons à l’aéroport Ben Gourion. Nous nous séparons après avoir payé. Malgré les bouchons, je suis en avance.

Mon vol est annoncé : très bien… Que puis-je bien faire en attendant ? Mon sport préféré du moment est de brancher tout le monde et n’importe qui. Mon voisin dans la file d’attente fera l’affaire. Il est habillé tout de jeans noir, il porte une grosse croix argentée, le tout recouvert d’une veste en cuir noir. Il a l’air jeune mais il a une tête de type bourru : lugubre. J’en déduis que c'est un Palestinien chrétien et je lui pose la question : « pas du tout » me dit-il en anglais, « je suis un Arabe Israélien, je ne suis pas Palestinien » et il me montre sa carte d’identité en m’expliquant qu’ici, tout le monde a sa religion d’inscrit sur sa carte et sa nationalité. La nationalité palestinienne n’existe pas, me dit-il. Puis, il se retourne, visiblement je ne l’intéresse pas du tout. La file d’attente n’en finit pas, je décide de la quitter et d’aller boire un café en attendant que cela avance : je ne suis pas pressé. Enfin, au bout d’une heure, la file s’est raccourcie. Le hall des départs n’est vraiment pas très grand, finalement.

On est tous sur une même file, un par un. La file est parcourue par de jeunes filles en uniforme qui posent des questions et selon les réponses, vous collent un petit sticker orange sur le sac ou la valise. Devant moi et derrière moi, ils ont droit à ce sticker, mais pas moi. Je ne m’inquiète pas plus que ça. Une de ces filles vient me voir et me demande si je voyage seul, » yes » répondis-je, puis elle fait passer devant moi ceux qui sont derrière moi. Là, je commence à me poser des questions. Que cela veut-il dire ?

Une bonne dizaine de personnes passent devant moi. L’attente continue.

L’embarquement est dans une heure et je n’ai toujours pas enregistré mon vol et mon bagage. La même jeune fille vient me chercher, pas pour l’enregistrement, mais pour me poser des questions. On se met dans coin de la salle d’enregistrement, où sur une table dressée, elle contrôle mon passeport et mon billet d’avion. Je m’aperçois qu’il y a d’autre personne dans le même cas que moi. Principalement des Arabes ou des voyageurs solitaires.

-          Avez-vous une carte du pays ? Ou êtes-vous allé ? Connaissez-vous quelqu’un ici ? Etes-vous juif ? Est-ce la première fois que vous venez en Israël ? Pourquoi êtes-vous venu dans ce pays ? Parlez-vous l’hébreu ?

Pendant que je réponds à ces questions en anglais elle en profite pour fouiller mon petit sac où je gardais mes papiers et mon appareil photo. Elle me mitraille de questions un peu bizarres pour moi, mais je me prête au jeu sans problème, jusqu’au moment où je comprends qu’elle me pose les mêmes questions, mais pas dans le même ordre, pour voir si je mens ou si je me contredis. J’essaie d’être coopératif sans trop en faire. Elle trouve mon guide du routard et voit qu’il y a une carte du pays à l’intérieur, elle appelle une autre personne qui reprend le jeu des questions.

 -          Oui il y a une carte dans ce guide.

-          Mais vous aviez dit que vous n’en aviez pas ? » me dit-elle

-          J’ai oublié.

-          Vous avez un dépliant de Massada. Êtes-vous allé là-bas ? me demanda le gars en costume venu en renfort.

-          Oui, j’ai visité le site, l’hôtel ou j’étais proposait des tours.

-          Vous aviez dit que vous n’étiez allé qu’à Tel-Aviv et Jérusalem, et vous avez un plan de Massada ? Me dit-il.

-          Oui, je suis resté à Tel-Aviv et Jérusalem, mais je me suis promené en Cisjordanie avec un tour au départ de mon hôtel, affirmé-je.

Le gars parle dans son talkie-walkie en hébreu et un deuxième gars en costume arrive en courant. Il prend mon sac à dos et mon petit sac, et s’en va avec, sans dire un mot : je suis stupéfait. Le premier me demande de le suivre dans la direction opposée au deuxième. Il me fait entrer dans une petite cabine et me demande de me déshabiller devant lui, de rester en caleçon et en chaussettes. Je ne dis rien, mais je n’en mène pas large. Des mauvaises idées me viennent à l’esprit, peut-être ai-je un profil de terroriste ou quelqu’un m’a-t-il dénoncé ? Peut-être le patron du Ha Yarkon ? Je ne sais pas. Il prend mes vêtements un par un et les passe sous un scanner qu’il tient à la main. Puis il me rend mes vêtements, me demande de me rhabiller et sort de la cabine. Une fois habillé, je sors à mon tour et je vois que le deuxième gars nous a rejoint avec le contenu de mon sac à dos dans des panières. Je suis confus parce que je sais que tout est sale et sent mauvais. Ils passent tout au scanner. Ils prennent mes affaires avec des gants en latex. Effectivement, ça sent bien mauvais, surtout mes chaussettes. Enfin, je me dis qu’ils doivent voir des voyageurs de ce genre très souvent. D’ailleurs, ils ne paraissent pas gênés. Enfin, ils me demandent de ranger mon sac… D’autres voyageurs me succèdent dans la cabine ainsi que des Arabes, hommes et femmes. Finalement, ils me demandent de tirer une photo avec mon appareil en visant le sol, des fois que ce soit un revolver déguisé. Les questions et la fouille sont terminés, mais ça a duré une bonne heure et maintenant, je suis en retard. Ils me présentent leurs excuses pour la gêne occasionnée, et me demandent d’être compréhensif, mais avais-je le choix ?... J’accepte mais en échange, je demande un siège non-fumeur et une place côté couloir, ce qu’ils acceptent sans problème en m’accompagnant pour l’enregistrement. Il ne manque plus que moi avant de clôturer la liste.

Un bus vient me conduire devant la rampe d’accès. J’ai été considéré presque comme un « terroriste » pendant une heure, et maintenant, je joue les V.I.P. En fin de compte, je suis passé de l’énervement à l’amusement, je suis plutôt satisfait de la stricte application des consignes de sécurités. Tout le monde me regarde lorsque je prends place. On va pouvoir décoller, j’ai hâte de partir et de quitter toute cette parano. Je reconnais les mêmes fous qu’à l’aller.

L’avion décolle vers 14h avec plus d’une heure de retard. Je dors pratiquement durant les quatre heures de vol. Je suis réveillé par un rabbin qui me demande si je veux de l’aide pour faire ma prière. Ils sont une vingtaine, debout dans le couloir à faire leur prière. On nous sert le même repas et les mêmes sketches. Je ne peux m’empêcher de penser à ce que j’ai vécu, les gens que j’ai rencontré, je me sens vraiment triste et heureux à la fois.

L’avion atterrit à Paris Charles de Gaulle vers 20h, avec le décalage horaire. Ça y est, cette fois-ci, c’est fini.

Il fait nuit, on est fin janvier et il fait froid. Tout est gris, sans âme, sans intérêt.

Je récupère mon sac à dos et je me dirige rapidement vers les ascenseurs qui mènent aux sorties. Malheureusement, je suis rattrapé par un des rabbins et un couple qui étaient dans l’avion. Je suis coincé dans l’ascenseur avec eux. Le rabbin leur adresse la parole.

-          Vous étiez en Israël pour quelle raison ? dit le rabbin.

-          Pour l’enterrement de mon père, dit l’homme.

-          Oh, de quoi est-il mort ? demanda le rabbin.

-          Mais de la mort ! Hachem l’a rappelé à lui ! Il est mort de la mort ! Dit l’homme.

-          Bien sûr, suis-je bête ! Ajouta le rabbin, surpris par sa propre question.

Le rabbin fut pris par l’excès de zèle du couple religieux. Tel est pris qui croyait prendre.

Après cet ultime échange qui me rassure sur le mental des gens dans cet avion : ils étaient vraiment dérangés, l’ascenseur arrive enfin au rez de chaussé d’où les bus pour le RER nous attendent. Je m’engouffre dans le bus, puis je disparais dans la foule, ensuite le train de banlieue jusqu'à Paris...

Ce voyage m'a causé une déprime d’un mois. J'ai revu Éric à Paris, près de l’Hôtel-de-Ville deux semaines plus tard, on échangea nos photos et nos impressions, ce fut bref et sans émotions. Les choses étaient différentes, nous étions redevenus des étrangers. On ne savait pas quoi se dire. Je lui rendis l’argent qu’il m’avait prêté : il ne s’en souvenait plus. J'aurais pu ne rien dire, mais je voulais garder la meilleure impression possible. Il m’est arrivé une fois ou deux de croiser Éric dans Paris, mais on ne se reconnaît plus. Que le monde est étrange ! En même temps, c’est sûrement mieux comme ça. Ce voyage m’a causé aussi des dommages, j’ai perdu tous les amis Arabes que j’avais. Ils n’ont pas supporté que je puisse aller dans un pays qui était interdit par une charte virtuelle que personne n’avait fixée, mais que tous les supporteurs des Palestiniens respectaient. Ils m’avaient tous déconseillé ce voyage et je n’avais pas écouté, comme d’habitude.

Or, il me semble que la meilleure façon de soutenir une cause, est de participer d'une façon ou d'une autre. Je suis allé en Israël et je suis allé en Cisjordanie ou dans le futur Etat palestinien, et par ma présence, j'ai fait exister ces deux peuples. Je l'atteste, ils existent bien tous les deux.

Je ne regrette rien et j’aimerais vraiment y retourner. J’ai fait ce voyage en janvier 1999, j’ai écrit ce texte de novembre 2000 à mai 2001 : je me souvenais de tout, enfin presque...

Ce voyage à modifié mon comportement et ma façon de vivre. J’ai changé de fond en comble. Il m’a aidé à me transformer. En rentrant, j’ai changé toute ma vie. J’ai énormément appris sur moi et les autres. C’est pour cette raison que ce texte s’intitule « Comme Un Voyage Initiatique ».

 

Texte publié en 2003 sur un site de voyage, revu en 2017 et 2018.

Didier Kalionian – Le Blog Imaginaire © 2001 - 2019

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