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Didier K. Expérience
21 mai 2022

D'Une Vie, L'Autre - E.13/34

D'une vie, l'autre

La routine qui avait fait basculer sa vie dans une crise profonde, était devenue sa roue de secours et sa couverture. Elle ne s’en plaignait plus. Michel pouvait lui parler pendant des heures de son travail : elle réagissait comme une poupée gonflable : elle disait toujours « oui ». Il ne s’apercevait même pas qu’elle ne l’écoutait pas - elle ne l’écoutait plus depuis des mois – mais elle était là, avec lui. Elle faisait acte de présence comme si elle était au bureau avec ses collègues :

-          Tu comprends ! A chaque fois que mon chef me dit quelque chose, je fais semblant de l’écouter, surtout si c’est pour faire du SAV, ou de la vente par internet…

-          Ah oui…

-          … surtout que la numérotation des pièces de rechange est différente quand c’est une vente ou un retour, moi je n’ai pas que ça à faire…

-          Hum…

-          L’autre jour, je l’ai planté avec ses problèmes…après tout, il est chef, n’est-ce pas ?

-          Oui, bien sûr…

-          Il n’a qu’à faire comme moi, il se démerde…

-          Hum…

Ce genre de conversation pouvait durer plusieurs heures, mais désormais Véronique ne s’en offusquait plus du tout. Quand elle jugeait qu’elle en avait assez entendu, elle se levait d’un bond et commençait à débarrasser pendant que Michel continuait son laïus sans se rendre compte de rien. Sa conversation était tellement importante pour lui, qu’il mettait un point d’honneur à aller jusqu’au bout de son argumentation pour être sûr d’avoir raison : ce que Véronique ne manquait jamais de lui confirmer.

Elle vivait deux journées de travail… On dit souvent que les femmes font plusieurs journées en une seule : le matin au boulot et le soir à la maison. C’était vrai pour Véronique, mais cette fois-ci, elle en était pleinement consciente : ça lui permettait de cacher sa troisième journée le mardi et le vendredi.

Vue de loin, Véronique avait l’air de parfaitement maitriser sa situation, mais en réalité, elle planait littéralement. Elle flottait dans un monde imaginaire où il suffisait d’être là pour exister, où les contingences de la vie de tous les jours n’avaient plus aucunes importances.

Tous les mois, Rachid lui rappelait que le monde réel était plus dur qu’il n’y paraissait. Il avait besoin d’argent, non seulement pour subvenir à ses besoins, mais surtout pour payer les à-côtés dont il ne pouvait pas se passer : c’est-à-dire, l’herbe et les tournées de Ricard dans les différents bouges où il trainait lorsqu’il était désœuvré.

Véronique ne buvait pas d’alcool, elle répugnait même à aller dans les bouis-bouis maghrébins que fréquentait Rachid. Elle était souvent la seule femme à s’y trouver, et jamais aucun homme ne lui avait adressé la parole, sauf pour prendre sa commande… Rachid s’y comportait comme l’homme de la maison, surtout lorsqu’il dinait à la Rose de Tunis : son restaurant préféré. Là, il jouait un rôle que Véronique avait du mal à comprendre : rôle qui tenait à la fois du mari et de l’amant, qui sortait sa conquête du weekend… Cependant, elle aimait ce jeu de soumission, elle n’avait d’yeux que pour lui. Il rayonnait de bonheur.

En revanche, elle tenait à fumer son joint après l’amour. Elle y avait pris goût… Elle avait compris que ça avait un coût, et que ça pouvait être cher. C’était pour elle, tellement extraordinaire de pouvoir faire ce que personne ne faisait dans son entourage, qu’elle mettait un point d’honneur à participer à l’achat d’herbe. Bien entendu, elle ne rencontrait jamais les dealers de Rachid. Non seulement, il ne voulait pas, mais elle était paniquée dès qu’elle savait qu’il y allait. Elle ne savait jamais quand les transactions se faisaient, ni avec qui, ni où, ni rien… Et sa participation, était de trois cents euros tous les mois.

Là, ça commençait à poser un problème :

Michel, en bon chef de famille, tenait et contrôlait parfaitement les comptes. Si elle avait pu masquer un premier retrait, il ne manquerait pas de voir les autres, et de réclamer des explications, qui lui seraient fatales.

Désormais, depuis la mise en arrêt maladie longue durée de Léopold, son chef, elle dirigeait seule la comptabilité. Véronique se rappela l’erreur qu’elle avait commise par inadvertance lors du paiement de l’URSSAF d’un des mois passés. Elle avait réparé cette erreur par un jeu d’écriture qui n’avait éveillé les soupçons de personne. Et pour cause, il n’y avait plus de double contrôle.

Elle tenait une solution momentanée, restait à la mettre en pratique. Véronique n’était ni courageuse ni téméraire, mais elle était mue par une volonté de fer : celle de jouir de la vie à tout prix.

C’était trop risqué de refaire « l’erreur » sur le compte de l’URSSAF : l’entreprise était contrôlée souvent, par des inspecteurs zélés qui remarquaient la moindre faute de frappe, alors elle éplucha consciencieusement les comptes pour savoir où pouvait se cacher une faille. Elle en découvrit une petite, nichée dans un compte des services généraux : JP alimentait une caisse noire pour ses pots et sorties. Ce n’était pas illégal, mais pas très légal non plus.

Un soir, elle fit un premier retrait de cent euros avec la carte de l’entreprise qu’elle imputa à ce compte : « Frais de bouche ».

JP réglait en totalité les sommes concernant ce compte en fin de mois… Il invitait souvent ses clients aux restaurants, les factures étaient parfois très conséquentes : plusieurs centaines d’euros chaque mois.

Il lui suffirait donc, de faire trois retraits par mois pour passer inaperçue. Les comptes étaient impeccablement tenus : personne ne pourrait s’en apercevoir, pensa-t-elle.

Elle ne pouvait pas piocher dans ses économies sans alerter son mari. Véronique n’avait aucune autre source de revenu. L’idée de prendre dans la caisse de l’entreprise l’effrayait, mais elle ne voyait pas d’autre alternative. C’était ça, ou prendre le risque de perdre son amant. Elle aimait Rachid, son corps, sa démesure, tout lui plaisait. Non ! Il fallait qu’elle tente le tout pour le tout. C’était sans risque, elle maitrisait, pensa-t-elle.

Rachid était ravi ! Décidément, sa nouvelle petite femme était pleine de ressources, sans vouloir faire un jeu de mot facile. Véronique lui versait la somme en trois fois, également : tout le monde était content. Il pouvait acheter son herbe et payer le loyer, et Véronique battait des records d’orgasmes deux fois par semaine, soit dix fois par mois quand le mois avait ses cinq semaines.

Véronique aurait, de loin, préféré faire ces retraits en une seule fois, mais elle paniquait dès qu’elle prenait la carte bleue de l’entreprise. Elle trempait son chemisier à chaque fois : comme si elle perdait les eaux… Elle avait l’impression que tout le monde la regardait, qu’on la suivait, qu’on pouvait lire sur son front ce qu’elle était en train de faire…Lorsqu’elle se dirigeait vers la sortie de l’entreprise, elle avait l’impression que tous les regards qu’elle croisait, convergeaient en même temps vers elle, que les caméras de sécurité ne filmaient plus qu’elle.

Elle flippait, mais elle le faisait quand même !

Elle priait la Vierge Marie, elle la suppliait de couvrir son petit « délit » qu’elle commettait pour la bonne cause : elle aidait un malheureux, égaré sur le mauvais chemin. Parfois, la fin justifiait les moyens, se disait-elle.

-          Sainte Vierge ! murmura-t-elle. Je t’en supplie ! Fais-en sorte que tout se passe bien au distributeur… C’est pour Rachid, tu sais, je t’en ai parlé ! Il a besoin d’un peu d’argent. Oh ! Pas beaucoup, juste ce qu’il faut pour vivre… Et puis, ceux à qui je le prends en ont tellement, que ça serait un crime de ne pas s’en servir… Sainte Vierge, tu es si bonne avec les malheureux… Merci pour tout ! Je te rendrais tout au centuple, si tu es d’accord…Je compte jusqu’à trois, s’il ne se passe rien, c’est que j’ai ta bénédiction.

Bien évidemment, la Vierge Marie était toujours d’accord avec elle. Véronique ressentait même qu’elles étaient vraiment de connivence.

De toute façon, elle prenait à un riche pour donner à un pauvre : on ne pouvait pas la sanctionner pour ça. Si elle était certaine d’atteindre le septième ciel, le paradis n’était pas encore pour tout de suite…Véronique ne reculait devant rien pour se justifier. Elle avait peur, mais la jouissance qu’elle en tirait, était au-delà de ses espérances.

La sainte Vierge était sa protectrice, mais Rachid était son Dieu.

Son Dieu approuvait toutes les initiatives qui leur permettaient d’être ensemble. Le sexe était le lien le plus évident, mais désormais, l’argent était en passe de devenir aussi important. Véronique réfléchissait sans arrêt, aux meilleurs moyens de rester avec Rachid sans quitter Michel.

Les sentiments de Rachid pour Véronique restaient confus, elle ne savait toujours pas s’il l’aimait vraiment. Tout ce qu’elle faisait, était des preuves d’amour irréfutables, alors que lui, les recevait comme un cadeau. Rachid avait du mal à verbaliser ses sentiments, il minaudait pendant leurs ébats, mais ça n’allait pas plus loin. Pendant qu’il besognait Véronique, il aimait lui chuchoter des petits mots dans l’oreille : elle en miaulait de plaisir, mais dès que c’était fini, il ne se rappelait plus du tout ce qu’il avait dit.

Véronique survolait le monde du haut de son planeur, elle régnait sur un monde invisible qui n’existait que dans ses rêves. Seuls Rachid et ses orgasmes dirigeaient ses actes, et la ramenaient encore sur Terre, de temps en temps.

Mais, même les rouages les mieux huilés peuvent se gripper, y compris dans les plans les plus parfaits.

 

Didier Kalionian - Le Blog Imaginaire (c) 2022

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